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Conner Rousseau (Vooruit) : “J’espère que les Wallons savent que les extrêmes menacent notre prospérité”
05·07·23

Conner Rousseau (Vooruit) : “J’espère que les Wallons savent que les extrêmes menacent notre prospérité”

Un an avant des élections qui s’annoncent cruciales pour l’avenir du pays, DaarDaar part à la rencontre des présidents de partis flamands. Qui se cache derrière l’homme ou la femme politique? Comment sont-ils arrivés en politique ? Comment voient-ils l’avenir du pays ?

Après Sammy Madhi (CD&V), Nadia Naji (Groen), Egbert Lachaert (Open VLD), Raoul Hedebouw (PTB) et Tom Van Grieken (VB), nous poursuivons notre série de portraits avec Conner Rousseau, président de Vooruit depuis le 8 novembre 2019. Au programme : une biographie publiée le lundi, ainsi qu’une interview diffusée le mercredi.

[Projet soutenu par le Fonds pour le journalisme]

Temps de lecture : 9 minutes
Aubry Touriel
Auteur

Conner Rousseau, le président de Vooruit, se présente comme la seule alternative face à l’extrême droite flamande. En Flandre, il se dit prêt à s’allier avec la N-VA de Bart De Wever, comme son parti le fait déjà dans l’actuelle coalition à Anvers. Par contre, au fédéral, il est impensable d’envisager une alliance entre les socialistes flamands et les nationalistes sans l’aval du PS.

Son ambition ? Mettre sur pied une coalition progressiste. Mais pour ce faire, pas question de se tourner vers le PTB. Pour lui, les extrêmes risquent de paralyser le pays et un vote pour le PTB équivaut à un vote pour le Vlaams Belang : c’est un poids mort.

Votre mère, père, grand-mère et arrière-grand-mère sont/étaient actifs en politique. Vous avez ça dans le sang ?

J’ai deux sœurs et un frère et je suis le seul à être entré en politique. Ce que je partage avec mes aînés politiques, c’est l’indignation. Je ne supporte pas l’injustice et j’ai surtout la volonté de changer les choses. À mon avis, ce qui caractérise les socialistes, c’est que lorsque nous voyons un problème, nous voulons le résoudre. Quand les partis extrêmes voient un problème, ils le montent en épingle.

Qu’est-ce qui a déclenché votre envie de faire de la politique ?

Lors des nombreux camps de vacances que j’animais, j’ai découvert à quel point l’égalité des chances pour chaque enfant était importante. C’est pour cette raison que je me suis lancé dans la politique. Dans la ville où ma mère était bourgmestre, Saint-Nicolas, j’ai également pu voir comment elle pouvait faire la différence au niveau local. Ces deux éléments réunis m’ont convaincu dès le plus jeune âge que c’était en politique que je voulais faire la différence.

Qui est Conner Rousseau, le président de Vooruit qui casse les codes des partis traditionnels ?

Comment vos amis vous décriraient-ils ?

Il faudrait leur demander, mais je dirais : débrouillard, pragmatique, dynamique, passionné, actif et parfois même hyperactif. Mais je ne suis pas facile à vivre.

J’ai malheureusement peu de temps à consacrer à mes amis. Je suis néanmoins toujours là au moment où ils ont le plus besoin de moi. Récemment, un de mes meilleurs amis, confronté à une forte dépendance à l’alcool et à la drogue, avait des pensées très sombres et s’était enfermé chez lui. J’ai pris congé une journée, je suis venu frapper à sa porte pour le faire sortir de sa tanière.

Je me suis à moitié battu avec lui parce qu’il ne voulait pas me suivre. Ensuite, j’ai passé toute la journée à me déplacer d’institut psychiatrique en institut pour le faire interner.

Si vous aviez 24 heures de libres, que feriez-vous ?

Si je le faisais aujourd’hui, je dormirais parce que je suis assez fatigué. Mais en temps normal, si tout était possible, je jouerais au tennis. Ensuite, je sortirais et j’irais en camp.

Quel est le plus grand préjugé qu’on a sur vous ?

Étant donné que je mise beaucoup sur la communication, les gens pensent souvent que c’est juste du marketing, pour épater la galerie. Ils imaginent souvent qu’un travail de politicien est plus rose qu’il ne l’est. Mais, pour pouvoir communiquer ou faire des propositions, il faut aussi étudier et faire du travail de fond pendant des heures. En fait, l’une de mes principales qualités c’est de rester moi-même dans n’importe quelle situation.

Quel est le meilleur conseil que vous ayez reçu ?

Ma mère ne voulait pas que je me lance en politique. Elle m’a tout de même expliqué : « Si tu décides quand même de le faire, tiens toujours ta parole. On ne pourra jamais t’enlever le fait que tu es une personne de parole. » Et c’est ainsi que mes collègues me connaissent, je suis un homme de parole et je le resterai.

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Racontez une chose que vous ne faites pas bien.

J’ai très peu de patience.

Citez une personne qui vous inspire.

Je n’ai pas d’exemple en politique. J’essaie d’être la meilleure version de moi-même. Il faut réaliser ses propres actes. Copier quelqu’un d’autre, ça arrive souvent, mais cela ne débouche pas sur quelque chose de vraiment nouveau.

Ce qui m’inspire le plus, ce sont les enfants en camp de vacances. Ils me rappellent pourquoi je fais de la politique : aider les gens qui ont moins d’opportunités. Ou les gens qui font des choses très ordinaires, mais qui travaillent vraiment dur.

Les rencontres ou les choses du quotidien m’inspirent, pas quelqu’un de célèbre. Une de mes meilleures amies est mère célibataire et travaille très dur avec un salaire très bas. Malgré ça, elle s’en sort toujours le mieux possible. Je me dis alors que je n’ai pas à me plaindre de ma vie.

De quelle mauvaise habitude voulez-vous vous débarrasser ?

Si je vois une injustice au Parlement ou quand j’entends des idioties, j’ai tendance à m’emporter trop vite. Je dois encore apprendre à exprimer calmement ce que j’ai à dire, sans faire de vagues.

Avez-vous un péché mignon ?

Sortir et boire une bière, même si je le fais très peu. Pour l’instant, cela fait quelques mois que je ne bois pas d’alcool. Lors des périodes très chargées au travail, je ne bois pas, ni en semaine ni le week-end, pour rester en forme. J’ai aussi eu des périodes sans glucides pour rester encore plus vif.

Les glucides fatiguent notre corps pendant la journée. Et si on est occupé de 6h30 du matin à minuit et demi, toutes les petites choses peuvent faire la différence. J’ai même commencé à boire du café alors que je détestais ça avant, mais c’est vraiment nécessaire.

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Qu’est-ce qui vous rend heureux ?

Être en camp à Nieuport ou avec mes amis.

Votre rêve ?

Donner à chaque enfant des chances égales dans ce pays. Oui, c’est mon rêve politique de pouvoir vraiment faire la différence en termes d’égalité des chances.

Personnellement, je n’ai pas de rêve en particulier. J’essaie surtout de mettre toutes les chances de mon côté pour gagner les élections et pouvoir entrer dans le gouvernement flamand. C’est en effet au niveau régional qu’on peut faire le plus pour les enfants et les jeunes.

Vous souvenez-vous de votre premier jour en tant que président de parti ?

Le jour où j’ai appris les résultats, j’étais dans les anciens bureaux du parti. Le soir, j’ai offert un fût à Gand avec des amis.

Le jour où je suis devenu président, c’était lors d’un congrès, je m’en souviens très bien. J’ai fait mon apparition sous des lumières en signe d’éclair électrochoc et quand je sautais, des stroboscopes se déclenchaient. Je trouvais ça cool.

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C’était un moment gênant, mais personne ne l’a vu en Wallonie. Vous ne devriez pas le montrer…

Quel est le moment le plus marquant de votre présidence ?

Le moment où le roi m’a nommé préformateur reste gravé dans ma mémoire. Ça ne faisait que quelques mois que j’étais président. J’avais alors 27 ans et le roi de mon pays me demande de faire ce que tout un groupe de personnes n’a pas réussi.

« J’ai constitué un accord de gouvernement à 27 ans, et toi ? »

J’ai aussi beaucoup appris durant cette période et ma courbe d’apprentissage s’est alors vraiment accélérée, comme si on m’avait jeté dans le bain et on m’avait dit « débrouille-toi ! ». A ce moment-là, j’ai vraiment su que la politique était faite pour moi.

Si on me demande ce que j’ai déjà accompli dans ma vie, je peux répondre : « J’ai constitué un accord de gouvernement à 27 ans, et toi ? »

Votre grand-mère était fière quand vous vous êtes rendu au Palais royal. Elle vous aide par ailleurs à mieux communiquer, comment ?

Ma grand-mère, une dame très douce, était femme de ménage. En tant que politique, il est important que les gens que vous défendez comprennent ce que vous faites. Les politiciens parlent souvent d’une manière que seuls les intellectuels ou les politiciens comprennent. J’aimerais qu’une fille de 15 ans ou ma grand-mère de 84 ans, une femme de ménage qui n’a pas lu de livres intellectuels, puissent me comprendre.

Je l’appelais donc régulièrement à mes débuts et je le fais toujours pour lui demander : « Hé mamy, j’étais à la TV. Qu’as-tu retenu ? As-tu compris ce que j’ai dit ? » Si elle a compris, beaucoup de gens vont comprendre. Elle pose des questions très simples et ça m’aide quand je dois faire une interview pour m’exprimer clairement.

Quels sont les stéréotypes sur Vooruit ?

L’extrême droite essaie de faire croire que les socialistes défendent les gens qui ne travaillent pas et les profiteurs. Nous défendons les personnes qui ont un coup dur, les malades, les personnes licenciées ou bien sûr les plus faibles, mais aussi les gens qui n’ont pas de difficultés.

En Flandre, nous avons déjà réussi à changer la perception : le parti qui défend vraiment les travailleurs, c’est Vooruit. Ce sont les libéraux qui s’opposent à une fiscalité plus équitable, à des contributions justes des plus grandes fortunes. Ce sont eux qui ont appliqué un saut d’index la dernière fois.

Président de parti : le poste politique le plus puissant en Belgique ?

Vous pouvez tout à fait avoir un impact considérable en tant que président de parti, mais je pense que ce genre de discussions intellectuelles sur le pouvoir d’un parti est sans queue ni tête. Les gens votent toujours pour qui ils veulent.

Quand on forme un accord de coalition, cela se passe entre sept présidents. Imaginez un scénario où les 150 députés doivent constituer un accord de gouvernement… Ça ne prendrait pas un an, mais dix ans. Les gouvernements doivent mieux prester, les partis doivent mieux travailler. Mais ne mettez pas cela sur le dos des présidents de parti !

Pour vous, le système actuel des dotations doit-il rester comme il est ?

L’État pourrait donner moins d’argent au parti. Les dotations des partis pourraient être réformées. Je n’ai pas vu d’autre système qui fonctionne mieux. Dans certains pays comme aux États-Unis, n’importe quelle grande entreprise peut donner de l’argent aux politiciens. Est-ce le modèle que l’on veut ?

Quel est le plus grand enjeu des élections de 2024 ?

Maintenir l’extrême droite à l’écart du gouvernement flamand.

Vous essayez de personnifier le fait que vous êtes le seul opposant de l’extrême droite. Un peu comme Bart De Wever il y a dix ans…

Je ne sais pas. Je n’étais pas en politique il y a dix ans, mais ce que je sais, c’est que Vooruit a du potentiel, à en croire les sondages. Si le Vlaams Belang et le N-VA obtiennent ensemble une majorité, personne ne peut garantir qu’ils ne vont jamais gouverner ensemble. Même si la N-VA dit qu’elle ne veut pas mener une alliance avec le Belang, il faudra le voir pour le croire.

« Pour ma génération et pour toutes les générations, il est important de prendre en compte la colère, les craintes et les peurs de ces gens et d’y faire face. »

Voulons-nous bloquer et démanteler la Belgique ? Voulons-nous bloquer la Flandre, mettre notre prospérité en péril ? Pour ma génération et pour toutes les générations, il est important de prendre en compte la colère, les craintes et les peurs de ces gens et d’y faire face.

Êtes-vous pour le maintien du cordon sanitaire ?

Je soutiens le principe, mais je n’en ai pas besoin : nous, les socialistes flamands, ne coopérerons jamais avec le Vlaams Belang.

Si vous voulez y coller l’étiquette « cordon », faites-le. Mais le cordon sanitaire en lui-même n’a jamais enlevé un vote à l’extrême droite. Je veux expliquer aux gens pourquoi l’extrême droite ne fonctionne pas. Il n’y a aucun pays au monde où l’extrême droite a gouverné, où la liberté et la prospérité des gens se sont améliorées. Ça ne marche pas. Ça a l’air sympa sur les réseaux sociaux. C’est surtout très simple : l’extrême droite résout tout, il renvoie tous les étrangers et tous les Wallons. Ça parle à certains, mais ça ne marche pas.

Imaginez que vous obtenez la majorité absolue, quelle est la première mesure que vous prenez ?

Investir dans les services à la jeunesse. Nous détricoterons les économies réalisées dans le domaine de la protection de la jeunesse. Les besoins sont nombreux au nord du pays. Le gouvernement flamand est vraiment en train d’affaiblir la Flandre. En ce qui concerne les jeunes et l’égalité des chances, je pense qu’il faut vraiment investir dans l’aide à la jeunesse et dans l’éducation, pour que tout le monde puisse participer.

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Aura-t-on un gouvernement flamand avant les élections communales ?

Je l’espère et j’espère aussi que nous aurons un gouvernement fédéral avant les élections communales. Mais bon, ce serait alors un record. Avec la formation la plus rapide d’un gouvernement, ou presque. J’espère aussi que tous mes collègues se rendent compte que tous ces jeux autour de la formation d’un gouvernement ne font qu’augmenter les extrêmes et compliquent les choses pour ceux veulent vraiment avancer.

Votre coalition préférée ?

Je me base sur le contenu, notre programme et ce que nous pouvons réaliser pour améliorer ce pays. Ce ne sera d’office pas avec les extrêmes, mais qui alors ? Nous verrons bien quelle majorité pourra se dégager.

Envisagez-vous une alliance avec Bart De Wever comme on le lit dans la presse flamande ?

Oui, mais si le PS ne veut pas travailler avec Bart De Wever au fédéral, nous ne gouvernerons pas avec la N-VA, point final. Je ne changerai rien à cela. Je voudrais mettre en place un gouvernement progressiste. En Flandre, malheureusement, on nous donne le choix entre le Vlaams Belang et Vooruit et la N-VA y figure dans les deux cas. C’est mathématique.

Pouvons-nous travailler ensemble ? Oui, nous le pouvons, mais pas avec les extrêmes. Nous sommes un parti constructif, mais avec une opinion tranchée, comme nous le montrons avec la Vivaldi, à Anvers et à Gand.

J’espère qu’en Wallonie, les gens se rendent compte que les extrêmes constituent la plus grande menace pour notre prospérité.

Un vote pour le PTB mène à un vote pour le Vlaams Belang : c’est un poids mort. Ce sont des votes avec lesquels nous ne pouvons rien faire. Si les extrêmes grossissent, le PS pourrait presque être forcé de coopérer avec la N-VA, quelles sont les autres solutions ?


Ne ratez aucun épisode de cette série:

Sammy Mahdi (CD&V): semaine du 22 mai

Nadia Naji (Groen): semaine du 29 mai

Egbert Lachaert (Open Vld): semaine du 5 juin

Raoul Hedebouw (PTB/PVDA): semaine du 12 juin

Tom Van Grieken (Vlaams Belang): semaine du 26 juin

Conner Rousseau (Vooruit): semaine du 3 juillet

Bart De Wever* (N-VA): semaine du 10 juillet

* Bart De Wever a refusé de participer à notre série d’interviews, mais une biographie et un article bonus paraîtront aussi sur le président de la N-VA.

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