DaarDaar

Le meilleur de la presse
flamande en français

Coming out de Conner Rousseau: même en 2023, assumer son orientation sexuelle reste difficile
20·06·23

Coming out de Conner Rousseau: même en 2023, assumer son orientation sexuelle reste difficile

Dave Sinardet est professeur de science politique à la Vrije Universiteit Brussel (VUB) et à l’Université Saint-Louis Bruxelles. Il écrit une chronique bimensuelle pour De Morgen.

Temps de lecture : 3 minutes
Dave Sinardet
Auteur⸱e
Guilhem Lejeune
Traducteur Guilhem Lejeune

Lorsque Elio Di Rupo a été nommé à la tête du pays, il y a douze ans, j’ai reçu de très nombreux appels téléphoniques de journalistes étrangers. Pour la première fois, un homme ouvertement homosexuel accédait au poste de Premier ministre : du jamais vu ! Ils se montraient invariablement surpris par mes explications : cela ne faisait pas beaucoup de bruit en Belgique — sa méconnaissance du néerlandais faisait les choux gras de la presse, mais son orientation sexuelle était un non-sujet. Il en irait tout autrement dans leur pays, me répondaient alors souvent les journalistes.

Neuf ans plus tard, rebelote : Petra De Sutter devenait la première ministre transgenre d’Europe. Au niveau national, l’événement — si tant est qu’il fût considéré comme tel — suscitait généralement la même réaction : « Et alors ? »

En Belgique, personne ne semblait considérer ces évolutions comme marquantes — et c’est précisément pour cette raison qu’elles ont constitué de véritables tournants.

Il en va de même du coming out que Conner Rousseau vient de faire à contrecœur : nombre de commentateurs ont estimé, ces derniers jours, que l’annonce était, sur le fond, totalement dénuée d’intérêt. Les choses sont très différentes en ce qui concerne le contexte d’accusations de comportement inapproprié dans lequel elle s’inscrit. Mais pour ce qui est du fait qu’il est (aussi) attiré par les hommes, on s’en contrefiche.

Le président des socialistes flamands aurait d’ailleurs préféré ne pas faire d’annonce publique. Non pas parce qu’il estime que c’est la chose la plus naturelle au monde, comme beaucoup d’autres personnalités, qu’elles relèvent ou non de la sphère politique. Étonnamment, c’est tout le contraire : il aurait préféré taire son orientation parce que, selon ses propres dires, il « lutte » désespérément avec celle-ci. Sans le vouloir, il prouve ainsi que la question reste source de difficultés.

C’est passé plutôt inaperçu, mais le message véhiculé par Conner Rousseau sur la situation des hommes qui sont (aussi) attirés par les hommes en 2023 est tout sauf réjouissant. La vidéo dans laquelle il s’exprime est truffée de termes tels que « stressé », « paralysé », « difficile », « combat »… Comme s’il avait mené une lutte acharnée contre ses propres sentiments, mais en vain. Pourquoi ? « Ça ne facilite vraiment pas la vie, de ne pas être totalement hétéro », explique-t-il mot pour mot.

Le chanteur Will Ferdy est décédé, son coming-out en 1970 a marqué les esprits

Même Will Ferdy affichait plus d’optimisme lorsqu’il est devenu, en 1970, la première personnalité à sortir du placard alors même que — de manière assez prévisible, dans la Flandre éminemment catholique et conservatrice de l’époque — sa carrière en a terriblement souffert.

Si l’on faisait visionner ces deux vidéos l’une après l’autre à un extraterrestre, il en conclurait que, même si l’acceptation sociale de l’homosexualité semble être l’un des bouleversements sociaux les plus notables de ces dernières décennies, la donne n’a pas radicalement changé en un demi-siècle.

La Belgique n’était-elle pas censée être un pays de cocagne pour les homosexuels ? Et si les choses restent si difficiles, selon le président de Vooruit, son parti n’a-t-il pas, justement, une mission à accomplir ?

Le contexte particulier dans lequel s’inscrit le coming out de Conner Rousseau soulève des interrogations quant à la sincérité de son « combat ». Par ailleurs, certains observateurs trouvent son histoire triste et contreproductive. Rares seront en effet celles et ceux que le visionnage de cette vidéo déprimante, qui met en scène le président pourtant jeune et populaire d’un parti politique progressiste, incitera à sortir du placard dans un élan d’enthousiasme.

« La Belgique n’était-elle pas censée être un pays de cocagne pour les homosexuels ? »

Quoi qu’il en soit — au-delà de la personne de Conner Rousseau —, cette vidéo a au moins le mérite d’attirer notre attention sur une réalité sociale : de nombreuses personnes ont encore du mal à assumer leur orientation sexuelle.

Alors même que nous sommes en 2023. Alors même que nous sommes le deuxième pays au monde à avoir légalisé le mariage entre personnes de même sexe. Alors même que cette loi remonte à plus de vingt ans. Alors même que certains caciques de partis de droite radicale et, jusqu’à récemment, ouvertement homophobes, sortent du placard. Alors même que certaines personnes en lutte avec elles-mêmes évoluent dans un milieu progressiste. Alors même que leur entourage réagirait sans doute avec compréhension. Malgré tout ça, accepter son orientation n’est pas évident pour tout le monde.

Sans même évoquer le cas des personnes qui vivent dans un milieu très religieux dont elles risquent d’être exclues si elles présentent à leurs proches un ou une partenaire du même sexe. Ou de celles qui travaillent au port ou à l’usine. Ou de toutes celles qui, en raison de leur situation personnelle ou de leur condition sociale, ne parviennent pas à être totalement elles-mêmes.

J’ai moi-même été dans cette situation. Les rares figures publiques à évoquer librement leur homosexualité m’ont beaucoup apporté à l’époque. C’est précisément pour cette raison que j’ai toujours considéré qu’il était important de suivre cet exemple, d’abord avec mon entourage, puis sur la place publique. Et que j’ai toujours encouragé les autres à faire de même — dès lors qu’ils s’y sentent prêts.

Partager :
Mots clés :
© DaarDaar ASBL 2021 - Mentions légales - Vie Privée

Gratuit pour les employés de la Commission Paritaire 200 grâce à notre collaboration avec Cefora!

 Vous constatez un manque de cohésion entre collègues néerlandophones et francophones dans votre entreprise? 

Workshop, teambuilding... Inscrivez-vous aux nouvelles formations bilingues de DaarDaar! 

Si vous versez minimum 40€ en un an, vos dons seront déductibles fiscalement à hauteur de 45%.

Vous avez aimé cet article ? Alors soutenez-nous en devenant Amis de DaarDaar ! 

 

Nous voulons rester accessibles à tout le monde. Mais les traductions de qualité, ça a un coût.