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Élections 2024: pourquoi la N-VA ambitionne de prendre les commandes de la Belgique
19·04·24

Élections 2024: pourquoi la N-VA ambitionne de prendre les commandes de la Belgique

L’historien Vincent Scheltiens de l’université d’Anvers livre dans De Morgen une analyse fine des raisons pour lesquelles la voie du séparatisme n’est plus une option pour la N-VA. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le parti indépendantiste flamand de Bart De Wever brigue désormais une place dans la coalition fédérale et même le poste de Premier ministre. Explication.

L’historien a également participé à notre série vidéo consacrée aux 60 ans de la frontière linguistique en Belgique.

Temps de lecture : 6 minutes Crédit photo :

(c) Belga

Récapitulons. Personne ne veut gouverner la Flandre avec le Vlaams Belang après le 9 juin. Hormis la N-VA. Qui ne veut pas l’admettre. Son président estime même la question « hors de propos ».

Tandis que nous prenons acte, dans d’autres États membres de l’UE, la droite conservatrice multiplie les alliances avec l’extrême droite. Autant de tandems qui, dans les pays concernés, rognent les droits de la communauté LGBTQ+ (à l’adoption, à l’acceptation, à l’espace public) et des femmes (à l’avortement). Les acquis sociaux des travailleurs et d’une partie du secteur culturel sont eux aussi visés.

Hors de propos, donc, et pourtant, chez nous comme ailleurs, on observe la façon dont les partis d’extrême droite jouent la carte « Poutine » et, dans certains cas, reçoivent même de l’argent pour ce faire, que ce soit en tant que parti (cf. le Rassemblement national) ou qu’individus. Et quand ils n’affirment pas ouvertement leur appui aux Russes, ils soutiennent les Chinois. Aussi n’est-il pas complètement illogique de se demander si la N-VA suivra, elle aussi, cette voie – la droite portugaise fait toutefois figure d’exception. Mais non, selon le président, cette question n’a pas lieu d’être.

En attendant d’en savoir plus, son parti renforce, pas son positionnement, l’assise de l’extrême droite en Flandre. À commencer par la publication de l’essai – passablement hallucinant – de son président sur le wokisme ; une contribution aux guerres culturelles polarisantes si chères à l’extrême droite, que le bourgmestre d’Anvers mène lui aussi tambour battant. D’autres mandataires du parti concourent à la montée en puissance de l’extrême droite par l’expression furieuse de leur islamophobie. Autre précision utile : sondage après sondage, le naufrage de la N-VA se confirme, même si son avance sur les autres partis démocratiques, dont tous ont exclu une alliance avec le Belang, reste considérable. Un temps, sous l’impulsion d’un autre président très en vue, la N-VA avait semblé reprendre des couleurs en se rapprochant d’une vision sociale-démocrate, mais l’explosion en plein vol du concerné avait inversé la tendance.

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Ressentiment historique

En tout état de cause, si quelqu’un bénéficie du cordon sanitaire pour le moment, c’est bien le président de la N-VA. Il sait que tous les autres partis ont besoin de lui, puisque même tous ensemble, ils n’y arriveront pas. Le hic est que ses électeurs continuent de franchir massivement la prétendue muraille qui le sépare de l’extrême droite, preuve que cette muraille n’est bien que pure fiction, tant sur le plan sociologique que politique. Il n’y a pas de muraille, ni pour ses électeurs ni pour nombre de ses militants et autres cadors.

Les deux partis en tête des sondages privilégient, en plus de positions très conservatrices sur le plan éthique, très à droite sur le plan politique et très antisociales, une même interprétation du flamingantisme. Tous deux partagent un ressentiment historique à l’égard de la Belgique. Un pays qu’ils considèrent comme un obstacle à leur marche en avant, un boulet qui ralentit leur progression. En cause : les Wallons, ces paresseux gauchistes incompétents. D’où la nécessité d’arriver d’abord au confédéralisme, première étape vers une République flamande indépendante. CQFD ? Attendez une minute.

Certes, la N-VA et le VB sont les seuls partis qui, à long terme, veulent continuer à détricoter la Belgique, la diviser, la laisser s’étioler, la faire éclater : leurs discours ne manquent pas d’exemples à charge. Mais dans ce contexte, n’est-il tout de même pas curieux que cette même N-VA veuille simultanément assainir le budget catastrophique de l’État, renforcer sa défense, prendre ses « responsabilités » au fédéral, « ne pas se laisser poignarder dans le dos une deuxième fois » et, accrochez-vous bien, proposer un Premier ministre (pour diriger le pays qu’elle veut donc démolir). Ce dédoublement de personnalité confinant à la schizophrénie va encore plus loin, puisque le parti a désormais déposé des listes en Belgique francophone… Cherchez l’erreur.

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Un État paria honni de tous

Reprenons. Le président de la N-VA a laissé entendre à plusieurs reprises que, pour lui, l’autonomie flamande ne passera pas par la « voie catalane ». On le comprend sans peine, car les régions qui lancent des déclarations d’indépendance unilatérales pour s’affranchir d’États membres de l’UE – que ce soit la Catalogne en 2017 ou hypothétiquement la Flandre en 2025 – n’ont aucune chance d’être reconnues comme État membre à part entière de l’UE. Ainsi, la voie unilatérale ne mènera pas à une Flandre autonome et prospère au sein de l’UE, mais à un État paria, honni de tous. Un État qui devra sans doute sortir de l’UE. Peut-être aussi de la zone euro. Et qui devra dans ce cas adopter sa propre monnaie. Protéger ses propres frontières. Avec sa propre police et sa propre armée. Avec ses propres ambassades et consulats dans le monde entier…. Sans solution pour la capitale, qui a sa propre dynamique, sui generis. Une opération passablement complexe et coûteuse.

Face aux barrières à l’importation et à l’exportation, l’infarctus économique et la crise menacent. Une grande partie de la semoule dans laquelle pédale le Royaume-Uni depuis le Brexit est un avant-goût de ce que pourrait donner qu’un tel flexit. D’autant que de l’autre côté de la Manche, ils n’ont même pas eu à gérer le problème de la capitale. Cet aventurisme tient du suicide. Et du cauchemar aux yeux de la fédération patronale Voka et de toutes les entreprises qui entretiennent mille et une relations vitales avec des partenaires de l’Union européenne.

Le président de la N-VA est confronté à un autre problème. Contrairement au référendum de 2016 sur le Brexit ou à celui de 2017 sur la Catalogne, aucun sondage n’indique que ses rêves séparatistes sont partagés par une majorité d’homodoxes. Même parmi les électeurs du Vlaams Belang, alors que ce parti proposait encore, en juin de l’année dernière, une « feuille de route » pour l’indépendance de la Flandre – fondée sur la demande unilatérale d’une majorité de membres au Parlement flamand.

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L’hypothèse italienne

Une question se pose : le président de la N-VA ne serait-il pas en train d’entamer, en catimini, un virage à l’italienne, comme l’avait fait Matteo Salvini. Sa Lega Nord, alors dirigée par Umberto Bossi, s’était fait élire en prenant ses distances avec le sud du pays, bien plus pauvre (la « Wallonie » italienne), et avec les voleurs et les profiteurs de Rome (« Bruxelles »). La solution alternative pour leur riche Lombardie (la « Flandre prospère ») était toute trouvée : une Padanie indépendante. Dérivée du nom latin du fleuve Pô (Padus), cette invention géographique entendait concrétiser les ambitions séparatistes du Nord. Nul ne doute que le président de la N-VA est lui aussi capable de sortir de son chapeau un nom latin pour qualifier son nouvel État. On notera qu’après avoir occupé plusieurs postes au sein du gouvernement, Salvini a abandonné l’adjectif « Nord » pour étendre son ambition politique à l’ensemble de l’Italie. Et la rhétorique indépendantiste a disparu… Aujourd’hui, les perspectives séparatistes de la Flandre ne semblent pas plus prometteuses.

Quelles différences peut-on dégager entre la situation actuelle et la participation de la N-VA au gouvernement Michel I en 2014, lorsque les nationalistes flamands avaient mis le communautaire au frigo pour pouvoir – je cite – mettre de l’ordre dans ce pays ? Je vois au moins quatre éléments.

  1. L’étude du cas de la Catalogne en 2017 a démontré l’inefficacité de toute indépendance décrétée de manière unilatérale. L’aventurisme n’est tout simplement pas une option pour le président de la N-VA.
  2. Depuis Michel I, les rapports de force au sein de l’UE se sont radicalisés dans de nombreux États membres, dont beaucoup ont basculé vers l’extrême droite. L’Espagne est passée juste à côté, mais avec l’Italie, la Hongrie, les Pays-Bas – où Wilders abandonne l’idée d’un nexit – et, qui sait, prochainement la France, l’UE entame un sérieux virage à tribord. Il est intéressant de noter qu’au cours de l’été 2023, la N-VA s’est montrée plus enthousiaste à l’égard de la victoire en Espagne du Partido Popular (droite conservatrice), qui ne pouvait aspirer au pouvoir qu’avec le soutien du parti d’extrême droite VOX, qu’à celle des séparatistes catalans.
  3. Si, selon leur raisonnement, la Flandre paie la facture de la Belgique, la N-VA a tout à gagner à prendre elle-même les commandes du fédéral. Et pour pouvoir asseoir sa présence durablement à ce niveau, les rapports de force politiques en Wallonie doivent changer. D’autant qu’une septième réforme État ne fait aucunement l’unanimité.
  4. Comme l’a souligné Bart Eeckhout dans le quotidien De Morgen, le PS est non seulement confronté à de mauvais sondages, mais aussi, à plus long terme, à un déclin structurel.

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Changement de paradigme

Ces quatre éléments expliquent le désir de la N-VA de recentrer son ambition politique sur le fédéral, sa volonté d’en prendre les commandes et de faire de la Belgique l’un des meilleurs élèves de l’OTAN. Et maintenant, donc, ces listes wallonnes. La N-VA sait qu’en Wallonie, certains terreaux sont fertiles et prêts à se rallier à des idées de droite conservatrice, avec une pincée de recettes propres à l’extrême droite, dont des positions islamophobes radicales, une rhétorique autoritaire fondée sur l’ordre et la discipline, la promesse néolibérale de faire table rase du passé. Et ssi elle doit, pour y parvenir, avoir recours à des personnalités controversées, comme son premier candidat francophone, et bien ainsi soit-il.

Compte tenu de l’absence de perspectives nationalistes flamandes d’une part, et de la priorité à accorder à un programme très à droite d’autre part (conformément au vent nouveau qui souffle sur l’UE, la question flamande pourrait donc, dans cette hypothèse, devenir une question belge. Un changement de paradigme qu’il conviendra de négocier délicatement.

Certes, les racines nationalistes flamandes sont beaucoup plus profondes que les racines padanes, mais la N-VA a du temps devant elle et ne fait finalement face qu’à peu de résistance. Les vestiges du Mouvement flamand, qu’elle ignore et méprise, ne détermineront pas sa trajectoire. Elle pourra toujours continuer à agiter des lions au bord des routes et à entonner ses vieux classiques. Les partis démocratiques flamands, quant à eux, n’auront pas davantage d’influence. En définitive, aucun de ceux-là n’a d’autre ambition que de jouer les seconds rôles à ses côtés.

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