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Arrêtons de chercher des excuses pour les électeurs de droite radicale !
05·01·24

Arrêtons de chercher des excuses pour les électeurs de droite radicale !

Bieke Purnelle est écrivaine freelance et directrice de Rosa, le centre de connaissance en matière de genre et de féminisme. Sa chronique paraît un vendredi sur deux dans le quotidien De Standaard.

Temps de lecture : 5 minutes Crédit photo :

(c) Devonyu via canva.com

Bieke Purnelle
Auteur⸱e
Maxime Kinique
Traducteur Maxime Kinique

Cessons dons d’édulcorer les choses, écrit Bieke Purnelle. Les personnes qui votent pour un xénophobe tel que Geert Wilders sont probablement xénophobes elles aussi, et pas simplement « frustrées », « trompées » ou « en colère ».

Depuis que la tempête Wilders a déferlé sur les Pays-Bas, j’ai dû lire une trentaine d’articles et textes d’opinion sur son électorat. Même les Incas n’ont pas été étudiés de manière aussi approfondie que les électeurs et électrices de droite radicale ! Politologues, sociologues et autres experts  accumulent les heures supplémentaires pour expliquer le succès éclatant du dieu blond. À chaque victoire d’un parti populiste de droite radicale succède une phase d’analyse, dont nous connaissons aujourd’hui par cœur les grands axes.

Ces analyses postulent que les électeurs qui votent pour un parti de droite radicale ne sont pas racistes, mais simplement mécontents. Qu’ils sont aveuglés et trompés. Qu’ils sont en colère. Qu’ils ne sont ni entendus, ni représentés, ni reconnus dans leur fureur à propos de leur existence misérable. Qu’ils votent tout à droite par protestation. Qu’ils sont pauvres. Qu’ils ne votent pas pour un homme ou une femme politique, mais contre tout le reste, par opposition aux autres électeurs, qui voteraient consciemment pour un programme de parti et pour certaines idées. Qu’ils votent avec leurs tripes plutôt qu’avec leur raison. Qu’ils disent A, mais pensent B. Que leur vote traduit surtout la crainte et le sentiment d’insécurité qui les tenaillent. Qu’ils n’ont rien contre les personnes de couleur ou celles qui sont issues de l’immigration, mais qu’ils veulent tout bonnement leur part du gâteau. Etcaetera. Certaines analyses ressemblent à s’y méprendre au mythe de mauvais goût selon lequel les femmes veulent généralement dire oui lorsqu’elles disent non. Parfois, pourtant, la réalité est plus simple qu’on pourrait le penser.

Les élections aux Pays-Bas prédisent ce qui va se passer en Flandre, à une différence près…

Si j’étais une électrice de droite radicale, je me sentirais offensée par tant de dénigrement et de paternalisme. Par l’idée que je serais trop bête pour réaliser pour qui je vote ; qu’en mon for intérieur, je veux en réalité tout autre chose que le contenu du programme pour lequel je vote ; que le choix que j’effectue dans l’isoloir est davantage dicté par le cynisme que par des considérations rationnelles.

Je ne vote pas pour la droite radicale, mais cela ne m’empêche pas d’éprouver le même sentiment d’indignation que son électorat. Cela fait trente ans, déjà, que j’observe que l’électeur ou l’électrice de droite radicale est analysé·e comme un·e patient·e d’un hôpital psychiatrique qui présenterait une drôle de pathologie, comme un nouveau phénomène naturel dont il faudrait étudier minutieusement les causes. Le patient ou la patiente en question n’occuperait pas simplement une chambre, mais carrément une aile entière, obligeant d’autres personnes nécessitant des soins urgents à patienter dans la salle d’attente, pressées comme des sardines.

« Croyez-vous sérieusement que les personnes qui s’inquiètent du réchauffement climatique, des discriminations sur les marchés du logement et du travail ou des inégalités sociales traversent la vie en sifflant ? »

Entretemps, le phénomène prend de l’ampleur dans des proportions galopantes alors que nous nous affairons toujours à essayer d’en comprendre l’origine. Je ne vois pas tout ce flux de théories et d’analyses à propos de l’électorat libéral, socialiste, écologiste, chrétien-démocrate ou communiste. Je n’entends jamais parler des souhaits et opinions de ces électeurs, ni du degré de convergence entre leurs pensées et émotions et les positions du parti pour lequel ils votent. Selon moi, il est fort probable qu’un grand nombre de ces électeurs soient tout aussi mécontents ou désespérés que les sympathisants de la droite radicale. Croyez-vous sérieusement que les personnes qui s’inquiètent du réchauffement climatique, des discriminations sur les marchés du logement et du travail ou des inégalités sociales traversent la vie en sifflant ? Qu’elles se sentent « entendues » et « reconnues » ?

Voter pour le Vlaams Belang, est-ce forcément inutile ?

La moitié de mon cercle d’amis et de connaissances est en colère. Très en colère, même, et ce sur à peu près tout : l’insécurité de l’emploi et l’insuffisance des salaires, les prix astronomiques sur le marché du logement et l’état déplorable des transports en commun, la crise de l’accueil de la petite enfance (quel scandale !), la guerre à Gaza, l’absence d’une politique climatique efficace, la pénurie d’enseignants et les listes d’attente dans les soins de santé, l’exploitation des travailleurs au sein de nos entreprises, etc.

Il est possible que le démantèlement des services sociaux, l’insécurité économique, la disparition de la cohésion sociale et la diversification de la société suscitent des envies d’ordre, de structure et de sécurité au sein de la population. Je suis tout à fait encline à croire, également, que certaines personnes considèrent que la meilleure manière de remettre de l’ordre est d’adopter une gestion autoritaire et de fermer les frontières. Mais cette théorie du chaos est peut-être un peu courte pour expliquer pleinement ce virage à droite.

Car parmi les sympathisants des partis de droite radicale, on retrouve également des personnes qui ne manquent de rien sur le plan matériel, qui perçoivent des salaires élevés ou qui vivent dans une fermette, avec deux voitures garées devant la porte d’entrée. Qui se débat dans les tréfonds de la société, en effet ? Les personnes de couleur avec des flexi-contrats précaires, qui ont tout à craindre d’une rhétorique virulente contre l’immigration et évitent généralement de voter pour les partis qui tiennent ce genre de discours.

Tom Van Grieken (VB) : « Notre programme n’a pas changé, il fallait juste le présenter différemment »

Je me rappelle une étude réalisée en 2005 par la politologue Hilde Coffé. Celle-ci a repris les propositions du programme de la VRT Doe de stemtest (Note du traducteur : faites le test électoral) pour passer au crible l’électorat du Vlaams Belang. L’une des conclusions de son étude était que les électeurs du Belang sont pour une large majorité d’accord avec les positions dures du parti en matière d’immigration. Près de 95 pour cent d’entre eux ont ainsi déclaré qu’ils étaient opposés au droit de vote aux élections communales pour les personnes issues de l’immigration. Globalement, les électeurs du Vlaams Belang n’adhéraient pas moins aux positions de leur parti que ceux de Groen, mais les positions défendues par le Belang étaient plus proches du point de vue de l’électeur flamand moyen que celles des écologistes. La thèse selon laquelle la Flandre est traversée par un fort courant de droite conservatrice ne se traduit donc pas que dans les sondages, les résultats des urnes et les propos à l’emporte-pièce tenus sur les réseaux sociaux. Reconnaître cette réalité-là et oser la nommer me paraît plus honnête et utile que s’obstiner à édulcorer les choses et à mettre un pansement sur les motivations d’un groupe d’électeurs.

« Reconnaître cette réalité-là et oser la nommer me paraît plus honnête et utile que s’obstiner à édulcorer les choses et à mettre un pansement sur les motivations d’un groupe d’électeurs. »

Lorsque des personnes votent pour un homme ou une femme politique ou pour un parti ouvertement xénophobe, sans doute le font-elles parce qu’elles partagent ces positions et pas (seulement) parce qu’elles sont bêtes, angoissées, pauvres ou en colère, ou qu’elles cochent toutes ces cases. Nous avons consacré suffisamment de temps à étudier le nombril de l’électeur et de l’électrice de droite radicale. Trois quarts des électeurs ne votent pas pour l’extrême droite. Cela en dit peut-être moins sur les problèmes qu’ils observent et rencontrent que sur le fait qu’ils ont d’autres idées pour résoudre ces mêmes problèmes. Il est grand temps d’analyser leur voix !

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