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PFAS à Zwijndrecht : une catastrophe environnementale sans fin…
31·07·23

PFAS à Zwijndrecht : une catastrophe environnementale sans fin…

Temps de lecture : 7 minutes
Aubry Touriel
Auteur

Les habitants de Zwijndrecht, près d’Anvers, sont victimes du plus grand scandale environnemental de Belgique. Pendant des décennies, l’usine de 3M déversait du PFAS dans la nature, un produit toxique « éternel ». Entre colère et peur, les riverains tentent d’obtenir des compensations auprès de la multinationale américaine.

« Les gens ont le droit d’avoir peur », lance Jan, habitant de Zwijndrecht depuis 20 ans interrogé dans le podcast Dring Dring de DaarDaar. « Certains habitants ont déjà dit qu’ils allaient déménager. Ils ont peur pour leur santé. »

Alors que cet avocat habite à quatre kilomètres de l’usine pollueuse de 3M, il subit aussi l’impact de la pollution au PFAS : « Le gros souci, c’est que 3M a continué à déverser du PFAS dans l’environnement alors qu’il s’accumule dans la nature et dans le sang. »

Dring Dring #1: le PFOS, l’un des plus graves scandales environnementaux de Belgique

Persistants et toxiques, les « per- et polyfluoroalkylées » aka. PFAS, sont un groupe composé d’au moins 10 000 substances chimiques. Leur particularité ? Elles sont quasi indestructibles. Une fois libérées dans la nature par les usines, elles s’infiltrent dans les sols, dans l’eau et ne se décomposent pas naturellement.

Poêles antiadhésives, emballages alimentaires, mousse anti-incendie imperméable et même papier toilette… Les PFAS sont présents un peu partout dans la vie courante. Et c’est cette résistance qui les rend si dangereux pour la santé et l’environnement.

Alerte lancée en 2021

Le plus grand site de production de PFAS en Belgique est celui de 3M à Zwijndrecht, une commune adjacente au port d’Anvers. Depuis le printemps 2021, cette multinationale américaine est au cœur d’un scandale au nord du pays. Tout a commencé avec la liaison Oosterweel, le mégachantier qui vise à boucler le ring d’Anvers grâce à un tunnel en dessous de l’Escaut.

Dans le cadre de la préparation du chantier, des analyses de sol ont été effectuées autour de l’entreprise 3M, qui produit ces substances chimiques depuis les années 1970. Thomas Goorden, militant écologiste, nous raconte comme il a lancé l’alerte au printemps 2021 auprès de la rédaction du Standaard : « En 2019, une amie active dans un bureau qui analysait les PFAS en Europe m’a averti. J’ai ensuite obtenu un rapport de plus de 1000 pages en janvier 2021 dont les conclusions sont alarmantes : les analyses du sol révèlent une très forte pollution sur le terrain de 3M et aux alentours. Pire encore, les autorités étaient au courant depuis au moins octobre 2017 et ont étouffé l’affaire. »

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Normes ajustables

Selon le lanceur d’alerte, il existe un PV de réunion qui prouve que le bourgmestre d’Anvers Bart De Wever et d’autres ministres flamands ont décidé ensemble de ne pas communiquer à la population : il fallait contrer toutes les objections vis-à-vis du projet Oosterweel, assure Thomas Goorden : « Ils ne voulaient pas mettre le chantier en péril. C’est la raison pour laquelle Lantis, l’entrepreneur en charge de la construction de la liaison Oosterweel, a utilisé des normes dépassées dans ses rapports. »

En 2020, l’OVAM recommande dans ses nouvelles lignes directrices de ne pas dépasser une dose de 20 nanogrammes de PFOS par kilo par jour (une molécule de la famille des PFAS). Des valeurs fixées par l’Agence américaine EPA en 2016.

« Ils ne voulaient pas mettre le chantier en péril. C’est la raison pour laquelle Lantis, l’entrepreneur en charge de la construction de la liaison Oosterweel, a utilisé des normes dépassées dans ses rapports. »

Pourtant l’OVAM savait que l’agence européenne EFSA travaillait à un renforcement des normes. Une semaine après l’annonce de l’OVAM, l’EFSA publiait ses nouvelles normes, cette fois pour 4 types de PFAS : 0,63 nanogramme par kilo par jour. Soit un niveau 30 fois inférieur à celle de l’autorité flamande pour l’ensemble de la famille de ces « produits chimiques éternels ».

Impact énorme pour les habitants

En juin 2021, les autorités flamandes prennent à la hâte des mesures de précaution. Les riverains habitant dans un rayon de 15 km autour de l’usine sont priés de ne pas consommer d’œufs de poules élevées en plein air et de ne pas manger de légumes et des fruits de son potager.

Les habitants sont également invités à faire analyser leur sang. Environ 800 riverains y ont participé. Résultat : plus de la moitié d’entre eux présentaient une valeur trop élevée en PFOS. Chez certains résidents, les niveaux de PFOS dépassaient même les 700 µg par litre, alors que le seuil d’alerte est de 20 µg.

L’étude choc sur la pollution au PFOS à Zwijndrecht : la santé des adolescents en péril

Comme tous les autres habitants de Zwijndrecht, Linda a reçu une invitation pour une prise de sang afin d’analyser son taux de PFOS : « Je ne vais pas le faire. Je préfère ne pas savoir. » Cette sexagénaire explique à DaarDaar qu’elle ne suit pas non plus les recommandations : « On ne peut pas manger d’œufs et des fruits du jardin, alors qu’on l’a fait toutes ces années. T’as vu, je suis toujours là ! »

Une deuxième étude menée par l’Institut flamand de recherche technologique (VITO) se concentrait sur les jeunes entre 12 et 17 ans. Elle révèle que les PFAS perturbent le système immunitaire. Chez un quart des 300 adolescents testés, les valeurs s’avèrent si élevées que les effets négatifs sur la santé sont perceptibles. Certains adolescents de Zwijndrecht grandissent plus lentement : ils mesurent de 1,3 à 1,7 centimètre de moins que la moyenne, leur puberté arrive plus tard, leur taux d’hormones sexuelles est perturbé, ils courent davantage de risques d’infections en raison d’un système immunitaire plus faible…

Commission : aucun responsable politique

Trois semaines après la sortie dans les médias du scandale, le Parlement flamand a lancé une commission parlementaire consacrée aux PFAS. Neuf mois plus tard, en mars 2022, les conclusions sont claires : la multinationale 3M est désignée comme la principale responsable de la pollution et le gouvernement flamand devrait obliger l’entreprise à payer tous les coûts d’assainissement.

Par contre, cette commission n’a pas explicitement identifié de responsabilités politiques dans ce dossier.

Après de longues négociations, le gouvernement flamand a réussi à faire appliquer le principe du pollueur payeur : il a obtenu 571 millions d’euros de 3M pour tenter de résoudre les problèmes de pollution au PFOS. « Le pollueur paie. Nous sommes en voie de restaurer le cadre de vie des habitants. Ils ont de nouveau une perspective positive », se réjouit Hans Reynders, coordinateur PFAS désigné par le gouvernement flamand.

Pollution au PFOS : la responsabilité politique reste tabou

Actions au Conseil d’État

À la suite de ses révélations, Thomas Goorden est contacté sur les réseaux sociaux : « Des gens m’ont trouvé sur Facebook et ont commencé à fuiter des documents. « Thomas, le gouvernement a conclu un accord secret avec 3M pour qu’ils puissent installer des décharges illégales. » »

Voici le mode opératoire de ces décharges de Lantis : l’entrepreneur emballe et transporte les terres polluées de la rive gauche pour les enfouir sur le site de 3M ou dans les talus autour du futur tunnel de l’Escaut. Thomas Goorden et d’autres organisations environnementales (Greenpeace, Bond Beter Leefmilieu et Grondrecht) ont alors introduit une procédure au Conseil d’État. Fin 2021, une partie des travaux de l’Oosterweel sont interrompus : il s’agit d’une pratique illégale selon un arrêt provisoire du Conseil d’État.

En avril 2022, l’arrêt définitif tombe : les chantiers concernés doivent de nouveau être suspendus. Le tribunal a estimé que Lantis n’avait pas de permis pour déverser la terre contaminée dans les accotements. De plus, le sol doit être assaini, ce qui n’est pas non plus le cas actuellement.

Afin de réduire les risques de nouvelles actions en justice, le gouvernement flamand, l’entrepreneur Lantis, la commune de Zwijndrecht et certains groupes d’action (Bond Beter Leefmilieu, Natuurpunt Waasland et le mouvement citoyen Zwijndrecht Gezond) ont conclu un « pacte d’assainissement » en octobre 2022. Ce document détaille notamment la manière de traiter la pollution par les PFAS à Zwijndrecht et aux alentours.

En échange, les groupes d’action concernés se sont engagés à renoncer à d’éventuelles actions en justice : ils ont estimé que les travaux de la liaison Oosterweel prennent dorénavant suffisamment en compte le traitement de la pollution liée au PFOS.

Pollueur payeur : la Flandre montre l’exemple

Comment dépolluer le sol à Zwijndrecht ?

La seule méthode actuellement sur la table pour dépolluer le sol, c’est de creuser jusqu’à une profondeur d’au moins 70 cm dans les zones les plus touchées, c’est-à-dire 4600 parcelles de terrain étalées sur près de 5km2. Koen, agriculteur bio à Zwijndrecht, s’inquiète au micro de DaarDaar : « Les 30 à 40 premiers centimètres, c’est mon capital, c’est là que se trouve la fertilité de mon sol et celle de tous les agriculteurs. S’en débarrasser maintenant serait tragique. »

Pour éliminer en partie le PFOS de l’eau, 3M a recours à des filtres à charbon actif. Usagés, les filtres sont détruits dans des fours qui dépassent les 1400 degrés situés en… Wallonie. Hans Reynders explique : « Les filtres à charbon actif de 3M sont en effet envoyés pour destruction dans des cimenteries en Wallonie », sans préciser le nom des usines en raison du « caractère confidentiel » de l’information.

Première famille compensée

Les citoyens ne restent pas les bras croisés face à ce scandale. Mi-avril, le juge de paix d’Anvers ordonne à 3M de verser des dommages et intérêts provisoires de 2.000 euros à une famille qui a subi des « nuisances disproportionnées ». C’est une première, constate Geert Lenssens, l’avocat de la famille : « Alors que les normes en PFAS sont de 6,9 µg PFAS/litre de sang, le père, la mère et les enfants ont enregistré des valeurs de respectivement 2000, 700 et 300 µg. On ne peut pas laisser faire quand on voit l’impact que ça a sur des enfants, ça brise le cœur. »

« On ne peut pas laisser faire quand on voit l’impact que ça a sur des enfants, ça brise le cœur. »

Même si 3M a l’occasion d’aller en appel, l’avocat n’en demeure pas moins confiant : « Nous avons un dossier très solide. Je ne vois pas comment un juge d’appel pourrait réfuter qu’il s’agisse d’un problème de nuisance disproportionné. Le débat devant le Juge sur les compensations finales, dont les montants peuvent encore fortement monter, reste ouvert. Les montants seront déterminés au fur et à mesure que les nuisances se produiront. »

Fort ce procès pilote, d’autres familles se réunissent pour aller en justice, notamment via le collectif de citoyens Dark Waters 3M : « 450 familles ont déjà répondu dans la semaine après l’annonce du verdict. Nous allons lancer la même procédure en masse », ajoute Geert Lenssens.

Pollution au PFOS, un scandale extrêmement flamand

Mauvaises nouvelles à l’horizon

Les PFAS sont partout en Europe, mais particulièrement à Zwijndrecht, comme le montre une carte du quotidien Le Monde répertoriant les foyers de contaminations au PFAS. La zone ultra-rouge dans le nord de la Belgique saute directement aux yeux.

Selon les estimations de l’Agence européenne des produits chimiques. Si rien n’est fait, près de 4 millions et demi de tonnes de PFAS finiront dans l’environnement dans les 30 prochaines années.

De son côté, la multinationale américaine a déclaré qu’elle arrêtera la production totale de PFAS en 2025, ce qui risquera d’entraîner la suppression de deux emplois sur trois sur le site de Zwijndrecht.

Depuis le mois de juin, les autorités flamandes ont lancé la campagne pour la troisième analyse de sang. Les 70.000 riverains habitant dans un rayon de 5 kilomètres autour du site de 3M à Zwijndrecht sont invités à y participer. Les inscriptions sont toujours ouvertes et l’intérêt des citoyens est grand. À l’heure d’écrire ces lignes, on dépasse déjà les 10.000 inscrits.

Les travaux d’assainissement, eux, ne commenceront en théorie qu’en 2024. Il faut d’abord obtenir les permis nécessaires. Ces travaux vont durer en théorie au minimum 5 ans, juste pour la première zone la plus touchée qui représente un tiers de la superficie totale à dépolluer.

« C’est du jamais vu : mes clients craignent une situation apocalyptique : il faudra déraciner les arbres, ils devront probablement quitter temporairement leur propriété. Et tout cela prendra plus de 10 ans », met en garde Geert Lenssens.

Steven Vervaert, échevin de Zwijndrecht, la seule commune dirigée par un bourgmestre écologiste en Flandre préfère parler de « problème » que de « catastrophe ». Même s’il concède qu’il sera impossible de revenir à des niveaux zéro de pollution, il souligne que la situation est dorénavant gérée avec prudence.

Le scandale lié au PFAS semble sans fin. Thomas Goorden prévoit le pire avec une variante des PFAS peu étudiée : les PFAS à chaînes courtes. En raison de leur petite taille et de leur volatilité, les PFAS à chaînes courtes peuvent facilement contaminer les denrées alimentaires, les eaux de surface et souterraines et les ressources d’eau potable. « Croyez-moi, les vraies mauvaises nouvelles arriveront bientôt. »

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