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Élections 2024 : les entrepreneurs flamands se laissent peu à peu séduire par l’extrême droite
12·09·23

Élections 2024 : les entrepreneurs flamands se laissent peu à peu séduire par l’extrême droite

Bart Eeckhout est l’éditorialiste en chef du quotidien De Morgen.

Temps de lecture : 6 minutes Crédit photo :

BELGA (DIDIER JOURET)

Bart Eeckhout
Auteur
Guilhem Lejeune
Traducteur Guilhem Lejeune

Cordon sanitaire ou pas, le président du Vlaams Belang, Tom Van Grieken, ressortira du débat entre les présidents de partis flamands organisé par le Voka, le réseau d’entreprises flamand, avec l’agréable sentiment d’avoir toute sa place dans ce format. Comment expliquer cette évolution ?

C’est un prestigieux débat qu’a organisé lundi dernier au Bozar, à Bruxelles, le Voka, l’organisation faîtière des patrons flamands. Lorsque les modérateurs ont demandé quel parti serait favorable à une reconduction, au fédéral, de la formule « Vivaldi », aucun dirigeant n’a appuyé sur le bouton vert qui se trouvait devant lui. Le président de la N-VA, Bart De Wever, a aussitôt publié l’image sur les réseaux sociaux, et nombre de journaux lui ont emboîté le pas. « Les partis flamands s’accordent bien sur un point : personne ne veut d’une Vivaldi II », titrait ainsi le quotidien Het Laatste Nieuws.

À la réflexion, il n’y a là rien de bien étonnant. La Vivaldi n’est pas un parti, mais une coalition rassemblant sept formations politiques. Il serait donc curieux que leurs figures de proue y lient leur destin volontairement et anticipativement. D’une certaine façon, cette coalition hétéroclite est restée, pendant trois ans, un gouvernement d’urgence, qui s’est par ailleurs compliqué la tâche avec l’irrépressible propension au profilage et à la polarisation des présidents francophones (pour l’essentiel) Georges-Louis Bouchez (MR) et Paul Magnette (PS). Il est donc logique qu’une réédition du même scénario n’enflamme pas les présidents flamands. Ils n’ont pas promis pour autant qu’ils ne formeraient « plus jamais » un tel gouvernement : nul ne sait ce qu’il adviendra après les échéances de 2024.

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Un autre moment du débat mérite peut-être que l’on s’y attarde. Le premier président à avoir arraché les applaudissements de la salle sur un élément de fond a été… Tom Van Grieken. Son intervention portait sur la crise de l’azote, dont il a affirmé que les autorités flamandes étaient responsables du fait de leur interprétation bien trop rigoureuse des règles européennes régissant la protection de la nature. Au passage, cet argument, qui n’est pas dénué de fondement, a également pu être entendu aux Pays-Bas. Il serait excessif de désigner d’emblée, pour cette raison, Tom Van Grieken comme le vainqueur du débat : Bart De Wever, notamment, a aussi suscité quelques applaudissements plus tard dans la soirée.

Rompre le cordon sanitaire

Il est pour le moins notable que le président du Vlaams Belang se soit attiré la sympathie d’un public d’entrepreneurs au moment même où il défendait un point de vue — « traiter l’agriculture et l’industrie sur un pied d’égalité » — qui ne fait pas du tout leur affaire. Le constat que les chercheurs ont dressé par le passé au sujet d’autres catégories d’électeurs d’extrême droite s’applique aussi aux sympathisants du Vlaams Belang : le soutien à un parti ne coïncide pas toujours avec les intérêts socioéconomiques — c’est même parfois tout le contraire. Une question spécifique (l’immigration, pour citer un exemple évident) ou l’envie de bousculer l’establishment politique revêtent une importance plus décisive dans le fait d’apporter sa voix à la droite radicale.

Le fait que la droite radicale trouve des soutiens au sein d’un public composé de membres du Voka n’a évidemment rien d’extraordinaire. Rappelons que le Vlaams Belang représente de 20 à 25 % de l’électorat flamand : on peut donc s’attendre à y trouver des entrepreneurs. Une enquête de portée limitée et qu’il convient de manier avec précaution a été menée auprès des membres du Voka de Flandre-Occidentale en juin dernier. Quelque 10 % des personnes interrogées y déclaraient avoir l’intention de voter pour le Vlaams Belang, contre à peine 2 % en 2019. Elles étaient 20 % à ne pas encore avoir arrêté leur choix et 50 % à se dire désabusées par la politique.

« Par ses applaudissements lors d’un débat, une partie du public du Voka signifie que, malgré ses fréquentes sorties xénophobes et islamophobes, elle considère le Vlaams Belang comme un parti semblable aux autres. »

Plus que le soutien en soi, c’est son affichage au grand jour qui interpelle. Par ses applaudissements lors d’un débat, une partie du public du Voka signifie que, malgré ses fréquentes sorties xénophobes et islamophobes, elle considère le Vlaams Belang comme un parti semblable aux autres. C’est d’ailleurs la position officielle de l’organisation. « On ne peut pas ignorer les électeurs », avait affirmé Hans Maertens, administrateur délégué du Voka, après les bons scores obtenus par le Vlaams Belang aux élections de 2019. « Il faut donc avant tout discuter avec ce parti. » Car pour le Voka, seul compte « ce qui figure précisément dans l’accord de gouvernement. Et ce qui bénéficie à nos entreprises, à la population et à la Flandre. » Après que le philosophe Anton Jäger a comparé, dans ces colonnes, la position de l’organisation patronale à celle adoptée par les industriels allemands dans les années 1930, Hans Maertens a précisé la position de neutralité du Voka : « En tant que réseau d’entreprises flamand, nous dialoguons avec tous les courants politiques et sommes ouverts à toutes les visions de la société. » Le Voka n’est donc pas absolument favorable à une coopération avec le Vlaams Belang, mais il n’y est pas non plus absolument opposé.

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Tom Van Grieken sera ravi de l’apprendre. Sa stratégie consistant à sortir son parti de l’isolement semble porter ses fruits. Le président du parti ne cherche plus à commencer par rompre le cordon sanitaire pour ensuite convaincre le reste de la société : il entend adopter la démarche inverse. « Avant, je pensais qu’il fallait d’abord briser le cordon sanitaire dans la sphère politique, puis dans les médias, pour ensuite être accepté par la société », expliquait-il récemment dans ce journal. « Mais grâce aux réseaux sociaux, l’ordre est désormais inversé. » En clair, si certains faiseurs d’opinion ou membres d’organisations telles que le Voka considèrent le Vlaams Belang comme n’importe quel autre parti, il sera d’autant plus difficile pour la N-VA, par exemple, d’ignorer l’extrême droite si, à l’issue des élections, une majorité semble pouvoir se dessiner entre les deux formations.

Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que le désenchantement général des entrepreneurs à l’égard de « la » politique constitue le principal moteur de la radicalisation des convictions. Ce mécontentement vise principalement le niveau fédéral, en raison de réformes décevantes, mais le gouvernement flamand n’est pas épargné. Le PTB n’étant en aucun cas une option pour les entrepreneurs, ne reste que le Vlaams Belang pour ceux qui souhaitent donner une leçon aux partis classiques.

Protectionnisme

La normalisation de l’extrême droite au sein des milieux d’affaires intervient à un moment où la politique industrielle se trouve à un point de bascule important, mais aussi à un moment où la politique de repli ultranationaliste du Vlaams Belang pourrait causer un grand tort à l’industrie. Pourquoi ? Les crises internationales successives — le COVID-19, la guerre, le choc énergétique et le changement climatique — ont brusquement mis en évidence la fragilité du tissu économique européen. Le coût élevé de l’énergie et la baisse des exportations vers la Chine font crachoter le moteur de l’Union européenne (UE) qu’est l’Allemagne. Autre motif d’inquiétude : le protectionnisme qui caractérise la nouvelle politique d’investissement des États-Unis vient balayer l’ordre libre-échangiste qui prévalait jusque-là.

« La dernière chose dont a besoin l’industrie flamande, c’est donc que l’Europe se livre en son sein à une surenchère protectionniste. »

En Belgique, l’économie résiste encore relativement bien, entre autres grâce aux mesures publiques de soutien au pouvoir d’achat, mais dans un tissu économique aux multiples ramifications tel que celui de l’Europe, une récession comme celle que connaissent actuellement les Allemands est contagieuse. Face à cette nouvelle réalité, l’UE fait preuve de moins de sévérité en matière d’aides d’État et de protectionnisme. Raison de plus pour qu’une région exportatrice prospère mais de petite taille comme la Flandre s’inquiète encore davantage. En effet, les grands pays voisins, qui disposent de réserves budgétaires importantes, ont ainsi toute latitude pour concurrencer les petits États membres ou régions à coups d’avantages et autres subventions. La dernière chose dont a besoin l’industrie flamande, c’est donc que l’Europe se livre en son sein à une surenchère protectionniste.

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Le président du Voka, Rudy Provoost, semble d’ores et déjà avoir compris que le moment est mal choisi pour se lancer dans des équipées politiques hasardeuses. L’organisation patronale flamande ne considère même pas qu’une nouvelle réforme de l’État est prioritaire. « Nous réclamons des pouvoirs publics plus efficaces, ce qui est tout à fait possible dans le cadre actuel », expliquait-il la semaine dernière dans le quotidien économique De Tijd.

Un appel qui ne va pas dans le sens de la N-VA, qui cherche à faire de son opposition à la Vivaldi une rampe de lancement pour son projet confédéral. Il ne va pas non plus dans le sens de l’ensemble des autres partis : tout le monde souhaite que le pays soit plus efficace et mieux géré. Mais comment faire ? La fuite des voix vers les franges radicales rend la bonne gouvernance de plus en plus difficile, et c’est parce qu’ils sont désabusés par les méthodes de gestion actuelles que de plus en plus d’électeurs se tournent vers elles. Qui pourra enrayer cette spirale infernale ?


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