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Musée virtuel, Canon, série télé… la Flandre s’achète-t-elle une identité à 5,7 millions d’euros ?
14·03·24

Musée virtuel, Canon, série télé… la Flandre s’achète-t-elle une identité à 5,7 millions d’euros ?

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

BELGA (DIRK WAEM)

Maxime Kinique
Traducteur Maxime Kinique

Pour concrétiser sa volonté de construire une nouvelle nation, le gouvernement flamand a investi dans un musée, un canon et une série télévisée. La trilogie est à présent terminée, mais qu’ont rapporté au juste ces projets, qui ont coûté plusieurs millions d’euros ?

Petit retour en arrière. À l’été 2019, le président de la N-VA Bart De Wever rédige une note qui servira de base pour les négociations en vue de la formation d’un gouvernement. En quelques phrases à peine, il parvient à susciter l’émoi chez à peu près tous les historiens. De Wever entend utiliser le passé au service de sa vision de l’avenir. Pour construire une nation, les Flamands doivent prendre conscience de leur histoire.

Il présente un canon pour renforcer la « conscience identitaire » et un trajet pour un musée qui serait dédié à l’histoire de la Flandre. La VRT est priée elle aussi de contribuer à ce « renforcement de l’identité flamande ». Le Canon de Flandre est lancé l’an dernier et Tom Waes entreprend un voyage dans le passé à travers la série Het Verhaal van Vlaanderen. Avant-hier, enfin, c’est au tour du nouveau musée d’être présenté.

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Ne cherchez pas un nouveau bâtiment, car ce musée est en réalité une app. Pour surfer sur la vague de la modernité, celle-ci s’est vu attribuer un nom anglais : Flanders All Around Museum. Ses utilisateurs peuvent y découvrir toutes sortes d’anecdotes en lien avec le patrimoine de plusieurs villes flamandes. Si vous êtes à Dendermonde (Termonde) et scannez un code QR, vous verrez apparaître sur la grand-place un mammouth, dont le squelette est conservé au Vleeshuismuseum local. Pendant la présentation, Jan Jambon n’a pas manqué d’insister sur le caractère « novateur » de cette initiative, avec une Flandre qui se sert de la technologie pour créer un confluent entre passé et futur. La vérité, toutefois, est que ce musée numérique n’est guère qu’une solution par défaut, tant il est apparu rapidement que le scénario de la construction d’un musée en pierre n’était pas réaliste. Des musées belges et étrangers auraient en effet dû céder leurs plus belles pièces de collection, ce que tous rechignaient à faire.

De belles réussites

Le développement de cette app a tout de même nécessité un sacré budget : environ 3 millions d’euros, d’après les estimations du cabinet Jambon. Le Canon flamand, quant à lui, représente un investissement de 700.000 euros. Enfin, la série télévisée Het Verhaal van Vlaanderen a été soutenue à concurrence de 2 millions d’euros par les différents départements du gouvernement flamand qui ont mis la main au portefeuille. Au total, les trois projets ont donc coûté quelque 5,7 millions d’euros.

Aujourd’hui, les nationalistes flamands bombent le torse et se targuent des belles réussites que constituent d’ores et déjà le Canon et Het Verhaal van Vlaanderen. Grâce à ces deux initiatives, nombre de Flamands ont redécouvert le passé de leur région. D’après les chiffres du CIM (note du traducteur : le Centre d’information sur les médias, une association qui a notamment pour mission de mesurer l’audience des principaux médias en Belgique), Het Verhaal van Vlaanderen a été l’an dernier le programme le plus regardé sur les chaînes flamandes après The Masked Singer. Il a été le porte-drapeau des productions estampillées VRT en 2023.

Le Canon a lui aussi été un coup dans le mille. Dans la liste des titres les plus vendus établie par GfK (note du traducteur : une organisation spécialisée en études de marché), il n’a été devancé l’an dernier que par Ilja Leonard Pfeiffer et Lucinda Riley. Le site web a été consulté plus de 1,4 millions de fois et a accueilli 75.000 visiteurs uniques. « Nous constatons que c’est surtout pendant les heures d’école que les chiffres de fréquentation sont élevés », indique Wim Heylen de la fondation Canon van Vlaanderen.

Le Canon a lui aussi reçu un accueil très favorable, mais la raison en incombe précisément au fait qu’il n’a pas viré, comme on pouvait le craindre, au pamphlet nationaliste. Quel impact la trilogie a-t-il eu, alors, sur le sentiment des Flamands d’appartenir à une nation ? Difficile à dire, évidemment. L’avenir nous dira combien de temps durera le succès rencontré par les trois projets historiques. L’intérêt des médias pour le nouveau musée pâlit déjà par rapport à celui pour le Canon. Le Canon et Het Verhaal van Vlaanderen sont proposés comme supports didactiques pour l’enseignement de l’histoire et les trajets d’intégration mais comme ils ne sont pas obligatoires, aucun lien structurel n’a été établi avec les programmes scolaires. Ceux-ci suffisent d’ailleurs largement, d’après les historiens, pour transmettre aux jeunes un niveau suffisant de connaissances historiques. « Il y a déjà énormément d’informations disponibles à propos des plus beaux fleurons de l’histoire de Flandre », indique Karel Van Nieuwenhuyse, qui est responsable de la formation des professeurs d’histoire à la KU Leuven.

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L’académicien a le sentiment que la profession fait certes parfois référence au Canon, mais cela ne va guère plus loin. À titre d’exemple, Paul Panda Fernana, le premier intellectuel congolais à avoir critiqué ouvertement le colonialisme, apporte un angle d’attaque intéressant pour aborder cette page de l’histoire.

Deux enseignants avec lesquels De Morgen a eu l’occasion de s’entretenir affirment ne pas utiliser le Canon dans leurs cours. « Je n’entends jamais mes collègues en parler », confie Jonas Goossenaerts. « Mais dans les cours de néerlandais que je donne à des allophones, j’ai des étudiants qui se montrent très enthousiastes au sujet de la série télévisée. »

L’enseignant et auteur Pieter Serrien s’est inspiré de la série pour proposer un travail à ses élèves : vérifier si la Révolution industrielle y est présentée d’une manière pertinente sur le plan historique. « Je n’ai pas l’impression que le Canon ait eu beaucoup de retentissement dans l’enseignement », estime-t-il. « En soi, je me réjouis que du matériel soit mis gratuitement à disposition, mais je pense qu’il eût été préférable d’envoyer d’abord une circulaire aux enseignants afin de les interroger sur leurs besoins. »

Les besoins sont ailleurs

Aujourd’hui, le monde enseignant se dit amer à propos des millions qui ont été consacrés à ces projets censés renforcer le sentiment d’appartenance à une nation alors que les besoins sont ailleurs. Le gouvernement sort une trilogie sur le patrimoine et la culture, mais les matières artistiques sont constamment sacrifiées, selon Van Nieuwenhuyse.

« Du point de vue des enseignants, il aurait été plus judicieux de consacrer cette enveloppe à des recyclages », soutient l’historien. « Une grande réforme est en cours, qui prévoit notamment la fixation de nouveaux objectifs minimums dans l’enseignement secondaire. Pour que le succès soit au rendez-vous, des recyclages seront nécessaires afin qu’enseignants et chercheurs puissent entrer en dialogue à propos de la question de savoir comment réaliser ces nouveaux objectifs. »

Non, le canon flamand n’est pas un projet innocent qui vise seulement à informer et à divertir

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