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La Bataille de Courtrai (1302) expliquée sur la VRT ne déconstruit pas tous les mythes
25·01·23

La Bataille de Courtrai (1302) expliquée sur la VRT ne déconstruit pas tous les mythes

Temps de lecture : 4 minutes
Auteur⸱e
Maxime Kinique
Traducteur Maxime Kinique

Que s’est-il passé « exactement » en 1302 ? La série télé « Het verhaal van Vlaanderen » a consacré un épisode entier aux événements qui se sont déroulés cette année-là, mais cela n’a pas suffi pour déconstruire tous les mythes. Quid, en outre, de Jan Breydel et du célèbre cri de ralliement « scilt ende vriend » ?

  1. Où est passé Jan Breydel ?

« Het verhaal van Vlaanderen » se tait dans toutes les langues à propos de l’homme dont la statue domine la Grand-Place de Bruges au côté de celle de Pieter de Coninck, dont le stade du plus grand club de football du pays porte le nom et qui possède son propre assortiment de lard et de jambon. Rien, pas même une brève mention.

« Un choix délibéré », explique l’historienne Lisa Demets (UGent), consultée dans le cadre de cet épisode. Depuis un certain temps, les historien·nes s’accordent à reconnaître que Jan Breydel n’a pas joué un rôle important dans la bataille de 1302. Il y avait « peut-être trois Jan Breydel » sur le champ de bataille, mais celui que tout le monde connaît – et qui apparaît entre autres dans « De leeuw van Vlaenderen » de Hendrik Conscience – n’est mentionné dans les sources contemporaines qu’à partir de 1308, et constitue dès lors un personnage d’un récit fictif. « L’équipe derrière Het verhaal van Vlaanderen n’a tout simplement pas voulu attiser ce débat », estime Demets.

D’un point de vue historique, ne pas évoquer Jan Breydel dans un programme consacré à l’année 1302 apparaît donc comme un choix judicieux, selon Demets. Ce choix n’en demeure pas moins quelque peu surprenant dès lors que le but de l’épisode consiste précisément à démythifier une bataille qui occupe une place importante dans la mémoire collective flamande. Beaucoup de téléspectateurs et téléspectatrices sont ainsi restés sur leur faim : où est donc passé ce diable de Breydel dont on leur a tant rebattu les oreilles à l’école ? Et qu’est devenu « scilt ende vriend », le célèbre cri de ralliement pendant les Matines brugeoises ?

Les téléspectateurs et téléspectatrices sont embarqués pour ce raid nocturne sans beaucoup d’informations. « L’épisode ne dit pas, par exemple, que la milice d’artisans brugeois avait fui la ville avant les Matines et qu’ils allaient se retrouver plus tard grâce à ce cri de ralliement. Mais n’était-ce qu’un simple mot de passe, ou schild ende vriend avait-il été effectivement choisi parce qu’il était difficile à prononcer pour des francophones ? On n’a certes pas de certitude absolue à ce propos, mais cela aurait été tout de même bien d’aborder cette question », estime Demets.

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  1. Longue vie au peuple flamand opprimé ?

Rolf Falter, un historien qui a écrit un livre qui sortira prochainement au sujet de 1302, se dit satisfait des « corrections qui ont été apportées à quelques mythes solidement enracinés », la principale étant peut-être que la Bataille des éperons d’or n’était pas un conflit linguistique, mais un conflit social, déclenché par les artisans de l’époque, qui revendiquaient une plus grand part du gâteau – tant en termes d’argent que de pouvoir -. « Mais l’épisode diffusé sur Eén se concentre quasi exclusivement sur ce conflit social, alors qu’il existait bien d’autres types de rapports dans cette société très complexe. »

Même critique dans De Standaard, sous la plume de Marc Reynebeau : « Het verhaal van Vlaanderen ne prend pas la peine de brosser le contexte politico-institutionnel de l’époque, avec un système féodal pourtant d’une importance capitale pour une bonne compréhension des événements. » Et le journaliste de relever, en filigrane, le conflit entre le comte de Flandre et son suzerain français, Philippe le Beau. Or, l’épisode reste muet quant aux raisons pour lesquelles les rapports entre ces deux personnages ont commencé à se dégrader et quant aux conséquences qui en ont découlé dans les duchés voisins.

Demets fait ainsi référence à la Charte de Kortenberg et au rôle précurseur joué à cet égard par le duché de Brabant. « C’est un document d’une importance capitale, comparable à ce que représente la Grande Charte pour les Britanniques. » Au même moment, des révoltes d’artisans ont éclaté à Bruxelles, Gand, Liège et même Paris.

On se doit à cet égard de souligner que « Het verhaal van Vlaanderen » tente de couvrir le territoire tel que nous le connaissons aujourd’hui, mais en revient un peu trop facilement au comté de Flandre. « L’essence même de la bataille des Éperons d’or, c’est le transfert de pouvoir qui s’est réellement opéré au sein de la société », décode Falter. Cela concerne, comme Reynebeau le fait justement remarquer, toute la région des Pays-Bas du Sud, soit « un territoire qui correspond grosso modo à la Belgique d’aujourd’hui. »

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  1. Tom Waes nous aurait-il donc raconté un nouveau mythe ?

Le programme a lui-même placé la barre très haut, en affirmant à plusieurs reprises relater les événements tels qu’ils se sont déroulés « exactement » à Courtrai. Falter n’est toutefois pas convaincu et fustige notamment une analyse militaire trop superficielle. « Het verhaal van Vlaanderen » veut nous faire croire que la première victoire d’un corps d’infanterie sur une armée de chevaliers est imputable à l’ingéniosité et à la hargne, mais cette analyse est trop courte, selon lui. « Le financement rassemblé par la ville de Bruges était un autre élément capital, qui a permis non seulement de motiver l’armée, mais aussi de bien l’équiper pour aller au combat », objecte-t-il.

Le « côté Daens » sur lequel joue l’épisode est lui aussi un brin excessif, ajoute Demets. « Il y avait également beaucoup d’inégalités au sein même des corporations », insiste-t-elle. Traduction : il n’y a pas que les pauvres qui ont participé aux combats, mais également de riches bouchers. Le fait que ceux-ci aient préféré la brutalité des affrontements à la capture de Français n’était d’ailleurs pas simplement dû à un manque d’étiquette militaire. « C’était également en partie un choix tactique », indique Falter. « Si vous voulez capturer des prisonniers pendant les combats, vous devez mobiliser des forces vives. Or, la priorité était d’éviter que la phalange se brise. »

On pourrait citer d’autres exemples encore d’opportunités loupées de rendre compte de manière exhaustive et précise de la vérité historique, mais ce n’est certainement pas une raison pour jeter le bébé avec l’eau du bain, assurent les deux historiens. « Quand vous ne disposez que de 50 minutes, vous devez faire des choix », tempère Demets. En l’occurrence, le choix de Eén était clair : la mise en scène de la bataille a pris beaucoup de temps, mais elle ne manquait pas d’allure et était de nature à divertir les téléspectateurs et téléspectatrices. Cela justifiait bien de négliger quelques détails.

Falter se réfère à une série documentaire sur 1672, une année mythique pour nos voisins néerlandais. Cette série présente une lecture de l’histoire poussée jusque dans les détails, mais a attiré près de deux fois moins de personnes devant leur petit écran que « Het verhaal van Vlaanderen ». « Notre histoire étant quelque chose que nous partageons, chacun·e de nous peut s’exprimer à ce sujet. C’est ce qui fait le charme de ce programme : tout le monde en parle ! », conclut Demets.

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