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« Leadership toxique » à la VRT : comment des révélations au Parlement flamand ont éclipsé l’affaire De Pauw
29·03·24

« Leadership toxique » à la VRT : comment des révélations au Parlement flamand ont éclipsé l’affaire De Pauw

Temps de lecture : 5 minutes

Voilà des jours et des jours que le Parlement flamand bruisse de la polémique relative à la décision — prise par le patron de la VRT, Frederik Delaplace — de reporter sine die la diffusion d’un documentaire consacré à l’affaire Bart De Pauw (présentateur vedette de la VRT condamné en 2021 pour harcèlement, NdT).
Or soudain, voilà que ce sujet est éclipsé par un autre : en plein milieu de ce débat, huit députés flamands ont en effet reçu une lettre ouverte qui épingle une tout autre affaire qui, toujours à la VRT, touche la rédaction de l’émission d’information pour la jeunesse (« Redactie Jong »). Celle-ci produit notamment l’émission « Karrewiet » d’information pour la jeunesse (équivalent des Niouzz de la RTBf, NdT).

Depuis sept années déjà, une guerre ouverte oppose une rédactrice en chef et plusieurs membres de son équipe. Les journalistes d’investigation du quotidien Het Laatste Nieuws (HLN) ont rencontré plusieurs témoins et reconstitué l’histoire que révèlent ces nouveaux soubresauts.

Le moment a été choisi avec grand soin : c’est en plein débat sur l’attitude du patron de la VRT, Frederik Delaplace, à propos de la diffusion du documentaire consacré à l’ex-présentateur vedette Bart De Pauw et intitulé « Het proces dat niemand wou » (« Le procès dont personne ne voulait »), qu’une une lettre ouverte anonyme a déboulé sous forme de courriel dans la boîte de messagerie de huit députés flamands. Ce courriel évoque 24 victimes, au sein de l’équipe éditoriale jeunesse de VRT NWS qui produit notamment l’émission Karrewiet et la chaîne Instagram nws.nws.nws. Celles-ci se plaignent de « leadership toxique, de comportements transgressifs, de favoritisme, de harcèlement, de réunions décisionnelles imaginaires, de manipulation, d’une politique du “diviser-pour-régner” et de discrimination ».

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Ce conflit, les journalistes d’investigation de HLN en avaient connaissance depuis un certain temps ; ils s’étaient déjà entretenus avec plusieurs membres et anciens membres de cette rédaction, à propos d’une rédactrice en chef, systématiquement désignée dans la lettre ouverte par l’expression « spilfiguur » (« pivot » ou « personnage central »). Les signataires disent « ne plus savoir à quel saint se vouer », et affirment « avoir tenté d’actionner toutes les procédures possibles, au sein de la VRT, afin que ce problème structurel soit ouvertement abordé ».

Le problème, dont l’origine remonterait à « plus de sept ans », perdurerait encore aujourd’hui. Le courriel mentionne que « plusieurs personnes sont traumatisées par cet état des choses, que certaines ont besoin de soutien psychologique, que plusieurs autres encore ont quitté la VRT à cause de cette personne ». L’enquête de HLN révèle par ailleurs qu’à l’occasion d’une enquête interne menée auprès de 30 employés, pas moins de 88 % des répondants ont blanchi la rédactrice en chef visée.

« Un cauchemar »

Il est pourtant curieux de constater, comme le montre notre enquête, que c’est précisément à cause de l’attitude de leur hiérarchie que de nombreux jeunes collaborateurs quittent l’équipe de rédaction JONG. « On retrouve là un schéma comportemental récurrent et reconnaissable de cette rédactrice en chef », commente l’un des journalistes qui ont décidé de démissionner. Son récit est confirmé par au moins quatre autres témoins que nous avons rencontrés et qui brossent un tableau similaire de cette rédactrice en chef et de la manière dont elle traite les journalistes. Ils évoquent notamment les nombreuses occasions où eux-mêmes ou des collègues en ont été réduits à s’enfermer dans les toilettes pour pleurer, les promesses de CDI ou de prolongations de CDD, répétées, mais non tenues, les injonctions à ne plus fréquenter tel ou telle collègue, les cas d’arrêt-maladie pour raison de burn-out ou les collègues qui ont dû chercher un soutien psychologique.

« Elle commence par installer vite une relation de confiance très solide, mais à la moindre contradiction, le couperet tombe sans pitié. »

Une de ces personnes a même déposé plainte, mais seulement après avoir quitté la VRT. Elle explique : « si vous êtes jeune journaliste, sans expérience, et que vous postulez à un emploi auprès d’elle, elle vous promet monts et merveilles. Elle vous explique très vite à quel point vous êtes carrément fantastique dans tel ou tel domaine, et que cela vous démarque de tous les autres membres de la rédaction. C’est là que son petit jeu commence. Elle installe immédiatement une relation de confiance très solide, en laissant entendre à quel point vous êtes quelqu’un d’unique et de particulier, l’un ou l’une des meilleur(e)s journalistes qu’elle ait jamais rencontré(e)s. Ce sont ses propres paroles, littéralement. Mais à la première contradiction, au premier avis quelque peu divergent que vous émettez par la suite, elle vous tronçonne sans pitié ».

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« Elle s’amuse à monter vos collègues contre vous. Et à vous pointer du doigt, vous, comme étant celle qui souffre d’un problème de communication : la grande gueule, celle qui commet des erreurs », poursuit cet ex-membre de l’équipe. « Elle vous isole de tout le monde, de toutes les autres rédactions, et s’arroge tout le pouvoir. C’est elle, la personne à qui il faut s’adresser en cas de problème, c’est elle qui attribue les opportunités. Elle et personne d’autre. C’est la position à laquelle elle aspire. On peut se demander comment cette situation de folie a pu rester impunie aussi longtemps au sein de la rédaction jeunesse de la VRT : c’est justement depuis cette rédaction qu’est menée l’action STIP des autorités flamandes contre le harcèlement. C’est d’autant plus grave que cette rédaction est le premier point d’ancrage de nombreux jeunes qui se lancent dans la vie professionnelle, pleins d’espoirs, et finalement confrontés à ce cauchemar. Après mon départ, j’ai dû consulter un psychologue puis un thérapeute. Heureusement, tout s’est arrangé depuis ».

« Vous voulez savoir pourquoi la direction de la VRT protège à ce point cette personne ? », postule un autre ex-membre de l’équipe de rédaction JONG. « Elle réussit ce qu’elle entreprend, atteint ses objectifs et répond aux attentes des grands patrons. Avec l’émission “Karrewiet” et avec nws.nws.nws, elle marque des points et contribue au succès du numérique au sein de la VRT. De toute évidence, elle est devenue importante, un atout exclusif ! »

« Percer l’abcès »

À la demande de la direction générale, le département des Ressources humaines de la VRT a entre-temps mené une enquête approfondie sur le fonctionnement de Redactie Jong. Les résultats de cette enquête, qui ont fuité la semaine dernière, semblent diamétralement opposées à toutes les plaintes déposées ces dernières semaines et ces derniers mois auprès du conseil de rédaction.

Selon l’enquête officielle, 88 % des personnes consultées, qui travaillent activement dans cette rédaction, sont satisfaites de leur responsable hiérarchique. On aurait interrogé une trentaine de jeunes collaborateurs. Certains d’entre eux ne travaillent qu’à temps partiel et ne sont donc pris en compte que partiellement dans ce pourcentage. Chaque rencontre a fait l’objet d’un entretien approfondi, pendant plus d’une heure, abordant non seulement le fonctionnement de la rédaction, mais aussi, systématiquement, le bien-être des personnes concernées. L’une des conséquences immédiates de l’enquête des RH a été la mise à l’écart d’un adjoint de cette rédactrice en chef, avec effet immédiat. « Une marionnette de la ‘chef’ », selon plusieurs ex-collaborateurs. « Trop jeune pour assumer cette fonction », selon d’autres.

Certaines sources affirment que l’enquête menée par le conseil de rédaction était de « nature informelle », et qu’à cette occasion, certaines questions suggestives auraient été posées dans l’intention de faire préciser certains éléments des plaintes. Dans le même temps, certaines personnes accusent la directrice de la rédaction d’avoir fait en sorte que ses adjoints assistent aux entretiens avec le département des ressources humaines, au mépris de l’indépendance de l’enquête. L’ensemble de l’enquête pourrait donc être à refaire. Aux journalistes de HLN, l’un des ex-membres de l’équipe de rédaction Jong a précisé ceci : « je sens que les victimes de cette situation au sein de la VRT espèrent maintenant voir d’autres collègues crever l’abcès qui affecte cette rédaction. Une attitude hypocrite, probablement, mais peut-être logique ».

Par un courriel interne adressé au département Information, la rédaction en chef de VRT NWS a démenti avoir identifié « de quelconques indications de comportement transgressif ou de leadership toxique ».

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Pas de commentaire

Voilà donc ce qui s’est passé [jeudi] après-midi, quand cette lettre ouverte anonyme est parvenue aux députés flamands. La cellule d’enquête de HLN a ensuite contacté les responsables de rédaction concernés, à savoir Luc Pauwels, du comité de rédaction de la VRT ; et Liesbeth Vrieleman, rédactrice en chef de VRT NWS. Ni l’un ni l’autre n’ont pu être joints pour un commentaire.

Par un courriel interne adressé au département Information, la rédaction en chef de VRT NWS a démenti avoir identifié « de quelconques indications de comportement transgressif ou de leadership toxique ». Une « enquête interne indépendante aurait cependant révélé l’existence de certains points d’attention au sein de la rédaction concernée », notamment sur le plan de « la culture du feed-back » et de « questions de déconnexion ». Selon la rédaction en chef, une feuille de route serait actuellement en cours de préparation. Dans son courriel, la rédaction en chef réitère en outre sa « confiance dans l’équipe de rédaction et dans la rédactrice en chef ».

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