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Pourquoi les Flamands se sentent-ils moins en sécurité alors que la criminalité baisse ?
21·02·24

Pourquoi les Flamands se sentent-ils moins en sécurité alors que la criminalité baisse ?

Temps de lecture : 5 minutes Crédit photo :

Photo de Aarón Blanco Tejedor sur Unsplash

Auteur
Fabrice Claes
Traducteur Fabrice Claes

Quelles sont les villes et communes flamandes où le citoyen se sent le moins en sécurité ? D’après l’Observatoire flamand des villes et des communes, pas celles où explosent des grenades et où des gangs de narcotrafiquants se tirent dessus.

L’année dernière, à 46 reprises, Anvers a sursauté. Explosions de grenades ou de bombes incendiaires, fusillades sur des façades d’habitations. Une attaque a visé la maison d’une dame de 90 ans, et une fille de 11 ans, Firdaous, a été tuée d’une balle perdue. Les règlements de compte entre bandes criminelles touchent désormais aussi la ville de Malines.

Le procureur général a également signalé que Bruxelles a connu l’année passée dix-huit fusillades entre clans de narcotrafiquants, chose inédite dans la capitale.

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Bruxelles a beau ne pas être reprise par l’Observatoire flamand des villes et communes, le lieu où le Flamand se sent le moins en sécurité reste surprenant : Turnhout, une ville de province. Pas moins de 24 pour cent des habitants affirment s’y sentir souvent, voire toujours, en insécurité, pour une moyenne de 7 pour cent en Flandre.

« Je ne me suis jamais senti en insécurité à Turnhout. Pas une seule seconde », déclare Dré Wolput, 68 ans, animateur d’un blog sur sa ville. « Cependant, je sais que certaines personnes évitent certains endroits à Turnhout, comme la Merodelei. Ou certaines plaines de jeux où il n’est pas rare de retrouver des traces de consommation de drogues. »

La criminalité est-elle pour autant plus présente à Turnhout ? L’observatoire compare aussi le nombre d’actes criminels enregistrés dans les villes et les communes. En Flandre, la moyenne s’élève à 64,3 actes pour 10 000 habitants. À Turnhout, le taux est nettement supérieur : 89,3. Même en comparaison avec la plupart des villes comptant un nombre similaire d’habitants, comme Termonde, le nombre de constats à Turnhout est supérieur.

Il ne s’agit toutefois pas de grande criminalité, de fusillades, ni de violence. « À Turnhout, les événements de ce genre sont rares », précise M. Wolput. D’après l’observatoire, il s’agit plutôt d’actes de vandalisme, de troubles du voisinage et de nuisances causées par la consommation de stupéfiants. Mais le nombre de cambriolages, par exemple, est inférieur à la moyenne à Turnhout. En 2023, nous avons compté 14,14 effractions pour 10 000 habitants. La police locale a signalé sur son site web qu’elle en a fait une priorité : 24 agents combattent activement les cambriolages, dont le nombre a diminué ces dernières années.

« Le sentiment d’insécurité est une émotion, qui n’a pas nécessairement d’explication rationnelle »

Chez les habitants de Réthy, par contre, non loin de là, le nombre de cambriolages a augmenté l’année passée : 41,42 pour être exact. Et dans la commune de Sint-Martens-Latem, en Flandre orientale, promue par l’observatoire au rang de commune la plus heureuse de Flandre, on compte pas moins de 65,75 cambriolages par tranche de 10 000 habitants. On peut donc à la fois être victime d’un délit et heureux.

D’où vient alors ce sentiment d’insécurité à Turnhout ? « Le sentiment d’insécurité est une émotion, qui n’a pas nécessairement d’explication rationnelle », précise Stefaan Pleysier, docteur en criminologie à la KU Leuven et auteur d’une thèse sur le phénomène. « Il n’existe pas de relation exacte entre les problèmes réels que rencontre une ville et le sentiment d’insécurité qui y règne. »

« Le sentiment d’insécurité peut naître d’un acte dont on a été victime, mais aussi du fait d’avoir entendu ce que quelqu’un d’autre a subi. Notre perception peut évoluer en fonction du nombre de fois qu’on a entendu parler de criminalité. »

Pour M. Wolput, c’est exactement ce qui se passe à Turnhout : « Les gens se montent la tête mutuellement, sur les réseaux sociaux. »

Immigration et diversité

Comme bien d’autres, M. Wolput évoque l’arrivée rapide de personnes d’origine étrangère, surtout depuis la crise de l’asile en 2015. Plusieurs centres d’accueil ont été ouverts dans la région, et les personnes qui ont quitté ces centres ont généralement cherché un logement dans la ville la plus proche. Sur 47 000 habitants, un tiers est désormais d’origine étrangère. Chez les moins de 18 ans, c’est la moitié. « Ce phénomène est renforcé par les 300 à 500 départs annuels d’habitants qui vont s’installer dans les communes voisines. »

« Mais cette population allochtone ne provoque pas nécessairement de nuisances ni de criminalité », témoigne M. Wolput. Les chiffres de la police le confirment. « Il n’y a pas de violence dans la rue, il n’y a pas d’agressions. C’est avant tout une question d’intimidation. Parfois, on croise des groupes de quatre ou cinq garçons d’origine étrangère sur le trottoir. On doit alors marcher sur la rue, car les jeunes ne s’écartent pas pour nous laisser passer. Cette attitude peut parfois être perçue comme intimidante. »

« L’arrivée de personnes étrangères n’est pas la seule cause, analyse l’échevine de l’Égalité des chances, Kelly Verheyen (Vooruit). Le tissu social de la ville s’est détricoté ces dernières années. De nombreuses associations et traditions ont disparu. Face à ce phénomène, combiné à une vague d’immigration rapide, les habitants ne se sentent plus chez eux, ils se sentent déracinés. »

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Quand un village devient ville

Le cas de Turnhout n’est pas isolé. À Denderleeuw, en Flandre orientale, 24 pour cent de la population se dit souvent ou toujours en insécurité. Pourtant, la ville ne connaît pas un taux de nuisances ou de criminalité supérieur au reste de la Flandre. Le nombre de délits enregistrés y connaît d’ailleurs une diminution constante depuis 2020.

« Ces dernières années, nous avons vu arriver de nombreux Bruxellois, ce qui a fortement modifié la composition de notre population, explique le bourgmestre Jo Fonck. Les habitants qui ont grandi ici ont assisté à une urbanisation extrêmement rapide de leur village. »

« Le sentiment d’appartenance à une communauté en a souffert. Les voisins ne se connaissent plus, ils ne bavardent plus entre eux. C’est révélateur de cette perception d’insécurité. » Il n’en demeure pas moins que 78 pour cent des habitants déclarent se sentir heureux à Denderleeuw.

À Machelen, non loin de Zaventem, où les habitants sont « les plus malheureux de Flandre » selon l’observatoire, une personne sur cinq se sent en insécurité. Cette commune aussi a connu une croissance démographique fulgurante. Elle se compose désormais de 64 pour cent de personnes d’origine étrangère. « En décembre, il y a eu un seul cambriolage dans notre commune. En novembre, deux », se défend Jean-Pierre De Groef, bourgmestre, comme si son village était devenu dangereux. « Cela étant, nous ne pouvons pas nier ce ressenti de la part de nos habitants. Notre conseil communal a déploré le manque de soutien dont dispose notre zone de police. Et l’implantation, par les autorités fédérales, d’un centre pour demandeurs d’asile n’arrange rien, tout comme la construction d’une mégaprison à la frontière de notre commune. »

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Biens inoccupés et dégradations

« Pour une ville, il est difficile de contrer ce sentiment, affirme M. Pleysier, criminologue. À la fin du siècle dernier, plus de 25 pour cent de la population de Malines se sentait en insécurité. On parlait de Chicago-sur-Dyle. Mais vers 2006, ce pourcentage est redescendu à un niveau normal. Pour y parvenir, la ville a investi dans l’espace public, et elle s’est attaquée aux biens inoccupés et aux dégradations. »

À Ostende aussi, 20 pour cent des habitants disent se sentir en insécurité. « Une donnée qui date : cela fait vingt ans que ça dure, rappelle le bourgmestre Bart Tommelein (Open VLD). En 2011, ce chiffre était de 22 pour cent. Il a donc baissé depuis lors. Ceci dit, nous ne voyons pas d’explication. La criminalité à Ostende n’est pas supérieure à celle d’autres grandes villes. Mais notre population est assez âgée. C’est la seule explication que je puisse trouver. »

« On ne peut pas relier le sentiment d’insécurité à un seul facteur, conclut M. Pleysier. Souvent, les gens ont le sentiment que le monde change trop vite. Ils ont l’impression de perdre le contrôle. Un monde qui change rapidement d’aspect a tendance à susciter ce sentiment d’insécurité. »

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