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Le ministre de la Justice incarcéré 4 jours pour une émission télé : voici son récit
01·03·23

Le ministre de la Justice incarcéré 4 jours pour une émission télé : voici son récit

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

Photo d’illustration (cc) Pixabay

Auteur⸱e
Dominique Jonkers
Traducteur Dominique Jonkers

« Il faut investir dans l’humain, pas seulement dans les briques. Une prison ne peut pas devenir une oubliette ». Voilà les sages conseils que retiendra Vincent Van Quickenborne (Open VLD) après quatre jours d’incarcération dans la prison de Haren. Dans le premier épisode de l’émission Recht naar de gevangenis (Directement en prison, NDLR), diffusé mardi soir sur la chaîne Play4, on découvre notre ministre de la Justice, menotté, en cellule d’isolement, faire le « fatik » (sobriquet donné aux détenus chargés de menues tâches) et le « contrebandier ».

« Une fois seulement », s’esclaffe le ministre quand on lui demande s’il a déjà séjourné derrière les barreaux. « Quelques heures, pendant mes études, dans une cellule de la police de Louvain, parce que nous avions fait trop de tapage. Un péché de jeunesse. Heureusement, j’ai pu rentrer rapidement chez moi. »

Cette fois-ci, les choses sont bien différentes : c’est volontairement que notre ministre s’est laissé incarcérer. « Tout dirigeant politique devrait vivre cette expérience », estime-t-il. « Parler de détenus, nous faisons cela très souvent — certainement au Parlement — mais parler avec un détenu, c’est quelque chose que nous sommes peu nombreux à avoir déjà pris le temps de faire. Pour moi, participer à l’émission était une évidence. »

« Nous avons échoué »

Le ministre s’est retrouvé en cellule avec trois durs à cuire, trois ex-détenus qui ont retrouvé le droit chemin :  Wilfried, vingt ans de tôle, ainsi que Steven et Nick, qui ont chacun une bonne dizaine d’années en cabane à leur actif. « J’ai parlé avec eux pendant des heures », raconte Vincent Van Quickenborne après une visite de la plus grande prison du pays. « C’est Steven qui m’a dit ceci : ‘Il faut investir dans l’humain, pas seulement dans les briques‘. Et il a raison : pendant des siècles, nous nous sommes bercés d’illusions, en pensant qu’enfermer un homme était le moyen d’en faire quelqu’un de meilleur. C’est terrible à dire, mais nous avons échoué. La détention n’est utile que si elle a du sens. »

Plus concrètement, cela veut dire qu’il faut travailler avec les détenus. Les rendre meilleurs, mieux les armer contre ce qui les attendra à leur libération. Les aider à se libérer de leurs assuétudes, leur donner l’occasion de travailler ou d’étudier, d’apprendre quelque chose de ce temps passé derrière les barreaux. Ne pas se contenter d’attendre qu’un journal publie un nouveau fait divers. « Réaliser tout cela, voilà ce qui me motive. »

Pas de fouille à nu

L’épisode Recht naar de gevangenis commence par une scène spectaculaire, tournée au cabinet du ministre Van Quickenborne. Soudain débarquent des hommes des Unités spéciales, qui maîtrisent le ministre, lui bandent les yeux et le transportent à Haren tout menotté. Et le ministre ne semble pas jouer la comédie. « Je ne savais pas qu’on allait ‘m’appréhender’.  Tout s’est passé en un éclair, il y a eu un moment de panique. Je me rappelle encore l’odeur de la transpiration d’un de ces agents. J’ai trouvé ça très angoissant. »

C’est le début de quatre jours derrière les barreaux. Si on lui épargne la fouille à nu, tout le reste du régime carcéral est vrai. « Je savais que c’était temporaire, que j’avais des perspectives, explique-t-il. En cellule, on décompte le temps. Mais pas Wilfried, Nick et Steven, qui m’ont expliqué qu’en avançant dans le temps, ils avaient cessé de le faire. Heureusement, on m’a aussi épargné les violences et les hurlements. »

« Au préalable, nous avions passé un accord avec les fonctionnaires : si je criais ‘Terminus’, tout s’arrêtait. Heureusement, ce n’est jamais arrivé. La prison de Haren s’avère très humaine : elle est aérée, et il y a des fenêtres. Au loin, je voyais les avions, le viaduc de Vilvorde, des enfants qui se baladaient. J’avais vue sur l’avenir. Quel énorme contraste par rapport à la prison de Forest, où je me trouvais il y a peu : tout y est sale, c’est épouvantable. On fait littéralement ses besoins dans un seau. »

Notre ministre a trouvé cela extrêmement choquant : « le manque d’intimité ; l’ennui, aussi. Des toilettes derrière une porte battante, j’ai trouvé ça très inconfortable. »

9 heures en cellule d’isolement

L’essentiel de son incarcération, le ministre l’a passé en cellule. En revanche, en tant que fatik, il a pu participer à la distribution des repas et à certaines tâches d’entretien. Il a aussi appris comment faire de la contrebande, en l’occurrence pour se procurer discrètement une version papier du quotidien De Standaard. D’une certaine manière, une prison est une place de marché secrète.

Un des moments d’émotion de ce premier épisode est celui où son épouse et ses deux jeunes enfants viennent lui rendre visite. De l’autre côté d’un plexiglas, on lui adresse des bisous volants. « Cela m’a profondément ému. Même quand l’expérience n’est que temporaire, c’est choquant d’être ainsi privé de liberté, au point de ne pas même pouvoir serrer ses enfants dans ses bras. On se sent tout petit ».

Pour un Comité de concertation sur la surpopulation carcérale en Belgique

Histoire de tester les procédures, les gardiens l’ont placé en cellule d’isolement pendant pas moins de neuf heures. Pour passer plus facilement le cap, il a dévoré un roman de Bill Bryson, Down Under, une brique de 450 pages qui relate un voyage à travers l’Australie. « Enfant, j’ai souvent réalisé des voyages imaginaires à travers l’Australie. Alors maintenant, ce voyage, je vais vraiment le faire, avec mes enfants. Dans la cellule d’isolement, je lisais environ cinquante pages par heure. Croyez-le ou non, mais la porte de la cellule s’est ouverte au moment exact où je finissais de lire la dernière page. »

Ces journées sans smartphone, sans télé et sans alcool, il a adoré ça. « C’était fucking libérateur. J’y ai appris à savourer intensément une simple tartine au fromage. Ou un bol de soupe. Délicieux. Une vraie cure de détox. Tôt le matin — je suis un lève-tôt — je lisais la biographie de Wilfried Martens. »

L’avenir : les maisons de détention

Si grande et si humaine soit-elle, la prison de Haren reste une prison. Vincent Van Quickenborne croit fermement à un maillage de petites maisons de détention, réparties un peu partout sur le territoire flamand. Il rêve d’en créer plus d’une centaine. Une tournée des villes et villages de Flandre devra aider à convaincre les bourgmestres et la population. « L’essence même d’une bonne détention, c’est d’éviter le gigantisme. Il faut assurer un minimum de convivialité, de perspective d’avenir, et des accompagnants de détention comme modèles. Une justice à taille humaine. Si j’ai appris une chose pendant cette détention, c’est qu’il faut travailler avec les détenus. Investir en eux ne fera jamais gagner de voix à personne, mais c’est indispensable. »

Regardez la bande-annonce de l’émission « Recht naar de gevangenis »

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