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[Analyse] Pourquoi ne rend-on pas les magistrats responsables de leurs erreurs ?
25·10·23

[Analyse] Pourquoi ne rend-on pas les magistrats responsables de leurs erreurs ?

Erwin Verhoeven est journaliste spécialisé justice pour le quotidien Het Laatste Nieuws.

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

Photo de Tingey Injury Law Firm sur Unsplash

Fabrice Claes
Traducteur Fabrice Claes

Le magistrat qui n’a pas trouvé le dossier Lassoued risque seulement une sanction disciplinaire pour « négligence vis-à-vis des tâches liées à sa fonction ». Sa responsabilité civile n’est donc pas mise en cause, quand bien même sa faute a indéniablement porté préjudice à autrui. Faut-il le sanctionner davantage ? Notre expert se penche sur la question. Et sur notre bric-à-brac judiciaire.

La Belgique souffre depuis longtemps du manque de partage et de la mauvaise circulation des informations et des dossiers au sein de la police, des services de sécurité et de la Justice. À la suite des errements de l’affaire Dutroux, la police a subi une réforme. Après les attentats de Zaventem et de Bruxelles, une commission d’enquête parlementaire a accouché d’un rapport d’une rare épaisseur. Celui-ci contenait toute une série de recommandations, dont la plupart traitaient de l’architecture de nos services de sécurité.

En résumé, les bonnes résolutions de l’époque furent les suivantes : « Les différents services publics et de sécurité doivent fonctionner de manière moins isolée et former ensemble une machine bien huilée dont chaque pièce possède une fonction clairement définie. Les informations pertinentes doivent circuler sans entrave d’un niveau de pouvoir à l’autre, d’un service public à l’autre. Cette circulation efficace de l’information est également de mise entre les partenaires internationaux et les services belges. De ce fait, les services de sécurité pourront détecter suffisamment tôt les potentiels terroristes, se concerter rapidement et définir les priorités de manière plus flexible. » Il va de soi que ledit rapport n’oubliait pas de mentionner l’argument classique du « manque de personnel et de moyens ».

Les bévues judiciaires, une triste tradition belge

Concrètement, le rapport contenait quelques centaines de recommandations. Notre tout nouveau ministre de la Justice Paul Van Tigchelt (Open Vld) a annoncé hier matin à la radio publique flamande que ces recommandations avaient été mises en œuvre. Une déclaration qui mérite à tout le moins d’être nuancée. Il y a un an, le Comité P a signalé n’avoir aucune idée de ce qu’il en était. Dans une note, le Comité évoquait une masse d’informations, trop éparpillées, désordonnées et insuffisantes pour procéder à une évaluation. Le Comité I, chargé de contrôler les services de renseignement, adoptait un ton plus positif. Du moins en ce qui concernait la Sûreté de l’État. Dans l’affaire qui nous occupe, il s’agit surtout d’une erreur du parquet de Bruxelles, une instance absente du rapport de la commission d’enquête parlementaire de l’époque. Dans la capitale même, on met en cause la pénurie de personnel. À juste titre. À la rentrée judiciaire, le procureur général Delmulle pouvait compter sur 70 pour cent du cadre prévu, à savoir 119 magistrats, et ce, en raison de congés et de détachements. Mais également d’une mesure d’économie classique dont on se garde bien de faire la publicité : la place d’un magistrat qui part à la retraite n’est déclarée vacante que le jour où ce magistrat tire définitivement sa révérence, alors que la procédure de nomination dure une année entière.

« Nous dépensons environ autant que les Pays-Bas, un pays souvent pris en exemple en matière de justice. Par contre, cet argent est-il bien dépensé chez nous ? C’est une autre question. »

Pourtant, la Belgique consacre plutôt beaucoup d’argent à la Justice. Les derniers rapports de la commission européenne pour l’efficacité de la Justice du Conseil de l’Europe et le Tableau de bord de la justice de la Commission européenne situent notre pays dans la moyenne. Nous dépensons environ autant que les Pays-Bas, un pays souvent pris en exemple en matière de justice. Par contre, cet argent est-il bien dépensé chez nous ? C’est une autre question. Dans notre pays, un budget important est alloué à l’aide judiciaire et à tout ce qui s’y rapporte. Puis, il existe un problème spécifique à Bruxelles, où il est difficile de trouver des candidats. En effet, qui veut encore aller travailler dans une région qui se dégrade lentement mais sûrement, où les magistrats du parquet (ou les policiers) sont confrontés chaque jour à une escalade exponentielle de conséquences liées à une grande ville à la population très diversifiée ? Les parquets de Tongres ou de Furnes représentent des environnements de travail nettement plus agréables et les prix des logements y sont bien moins élevés.

Justice : la divine infaillibilité du magistrat

Le magistrat en question a été pointé du doigt par les médias, nom et photo à l’appui, et traîné dans la boue, ce que regrettent – et ils ont raison – le procureur général Delmulle et les syndicats de la magistrature. En effet, nous n’avons pas affaire ici à un joueur de football qui a raté un penalty. Mais ! Il n’en demeure pas moins que si vous ou moi commettons une faute au travail, et que cette faute porte préjudice à autrui, nous devons en assumer la responsabilité civile. Les magistrats non. Ils constituent une exception absolue. Une exception justifiée par les meilleures intentions, à savoir la garantie de l’indépendance et de l’impartialité des juges. Ce n’est que dans certains cas, très limités et bien définis, qu’il est possible d’engager des poursuites civiles contre un magistrat afin de le faire répondre des fautes qu’il aurait commises dans l’exercice de ses fonctions. Par exemple contre un procureur général qui inculpe une personne sans respecter les dispositions légales, et qui traduit malgré tout cette personne devant la cour d’assises.

« Si vous ou moi commettons une faute au travail, et que cette faute porte préjudice à autrui, nous devons en assumer la responsabilité civile. Les magistrats non. »

Peut-être serait-il bon d’élargir cette responsabilité. Et de permettre aux proches des deux supporters suédois de demander des comptes au magistrat concerné et de le placer face à ses responsabilités, en tant que partie dans une procédure civile. Peut-être cela fera-t-il réfléchir les magistrats à deux fois dans l’exercice de leur métier. Avant qu’ils ne regardent dans la mauvaise armoire par exemple. Ou avant qu’ils donnent trop vite une deuxième chance à un potentiel dangereux récidiviste. Quitte à prélever sur leur salaire une assurance de responsabilité civile professionnelle.

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