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La grande consultation citoyenne fédérale ne vaut pas un clou!
27·02·23

La grande consultation citoyenne fédérale ne vaut pas un clou!

Paul Becue est licencié en droit, sciences des économies appliquées et diplomatiques et contribue régulièrement au site Doorbraak.

Temps de lecture : 6 minutes
Auteur

L’enquête citoyenne « Un pays pour demain » lancée par le gouvernement fédéral ne manquait pourtant pas d’ambition. Pour faciliter la mise sur pied de cette consultation en ligne sur l’avenir de la Belgique, qui a coûté 2,1 millions d’euros au contribuable, un comité scientifique avait été constitué par arrêté royal du 29 juin 2021. Dénomination complète : arrêté royal portant création d’un Comité scientifique dans le cadre de la plateforme en ligne sur la modernisation, l’augmentation de l’efficience et l’approfondissement des principes démocratiques des structures de l’État.

Composé de douze professeurs et de neuf autres profils académiques, ledit comité avait été créé en vue de « garantir la transparence et l’impartialité de la plateforme en ligne lancée par le gouvernement fédéral afin que les citoyens, la société civile, les milieux académiques et les autorités locales puissent donner leur avis sur la modernisation, l’augmentation de l’efficience et l’approfondissement des principes démocratiques des structures de l’état ».

Faible taux de réponse

L’initiative a fait l’objet d’une large campagne publicitaire à la radio et à la télévision, ainsi que dans la presse écrite et sur les réseaux sociaux. Avec 10 605 répondants au total, le résultat est pour le moins décevant : moins de 0,1 % de la population. Même sans compter les mineurs jusqu’à 15 ans, la participation reste faible. Le groupe d’âge le plus représenté ? Les 45-64 ans, avec près de 40 % des réponses.

Le taux de participation par région correspond peu ou prou à leur proportion au sein de la population belge : 58,2 % en Flandre, 31,5 % en Wallonie et 10,3 % à Bruxelles.

Le gouvernement invite les citoyens à donner leur avis, mais les écoutera-t-il ?

Notons également le nombre élevé, parmi les répondants, de diplômés du supérieur (université ou haute école) : 73,3 %. Ce dernier point, en particulier, signifie que les résultats ne sont pas représentatifs de l’opinion de la population et qu’ils ne peuvent donc être utilisés et interprétés comme tels.

Certains groupes cibles sont surreprésentés, tandis que d’autres se sont à peine fait entendre. En page 11, le rapport l’admet même explicitement : « Dans ce contexte, il est impossible de déduire si, dans le cadre des différentes questions, une idée ou une solution particulière était, ou non, soutenue par la population. L’objectif était de recueillir des idées et des solutions possibles pouvant être discutées et développées dans les phases ultérieures à ce processus. » En d’autres termes, cette étude n’a servi à rien.

Une barre placée très haut

L’enquête avait choisi six thèmes :

  • L’organisation de la Belgique ;
  • La répartition des compétences entre les différents niveaux de pouvoirs ;
  • Le fonctionnement du parlement et du gouvernement ;
  • L’organisation des élections ;
  • Le rôle du citoyen ;
  • Les droits fondamentaux, c’est-à-dire les droits de base dont chaque citoyen doit disposer pour pouvoir s’émanciper en tant que personne ou que groupe au sein de la société.

Chaque thème était accompagné de plusieurs enjeux, censés refléter les préoccupations actuelles de la société. Ainsi le rôle des citoyens impliquait-il, par exemple, des enjeux liés aux pensions, à l’énergie et à l’euthanasie. L’enquête allait très loin dans sa réflexion, ce qui n’était certes pas dénué de fondement, étant donné que l’objectif premier de l’enquête était d’en savoir davantage sur la structure étatique que les Belges souhaitaient voir mise en place. Problème : cette approche a surtout provoqué la noyade des répondants dans une surabondance de postulats et de questions complexes.

La consultation citoyenne fédérale, un flop qui coûte cher

D’autres raisons peuvent expliquer le faible taux de réponse. La majeure partie de la population est indifférente à la politique, et notamment à la complexité des questions communautaires et de la structure étatique. Tant que le débat ne concerne directement le portefeuille, personne ne s’en soucie vraiment. Le montant colossal des transferts financiers entre la Flandre et la Wallonie, qui s’élève à 7,6 milliards d’euros, pèse pourtant bel et bien sur la prospérité de la Flandre à moyen terme, mais pour l’instant, la plupart ne le ressentent pas.

L’enquête a été menée principalement en ligne, ce qui en a découragé quelques-uns, bien qu’un petit nombre y ait également participé en version papier.

Questions ouvertes

Le choix de poser des questions ouvertes constitue sans nul doute l’un des grands motifs du faible taux de réponse. Même si de courtes explications entendaient compenser l’éventuelle méconnaissance de la structure actuelle de l’État, avec ses régions et ses communautés, beaucoup ont été perdus en chemin. D’autant qu’il était également demandé aux répondants de faire preuve de créativité et de développer leur raisonnement, façon dissertation. La démarche était donc très chronophage, a fortiori à une époque où les citoyens sont sollicités de toutes parts et amenés à remplir mille sondages : nous voulons tous y répondre aussi vite et brièvement que possible.

« Les responsables de l’enquête reçoivent une multitude de réponses diverses et variées, ce qui complique grandement le traitement et donc l’identification de tendances générales »

Autre inconvénient des questions ouvertes : les responsables de l’enquête reçoivent une multitude de réponses diverses et variées, ce qui complique grandement le traitement et donc l’identification de tendances générales. L’interprétation des réponses s’avère aussi très subjective, ce qui conduit in fine à beaucoup d’ambiguïté.

Il ne serait pas étonnant d’apprendre que ce choix pour des questions ouvertes ait été porté par le front francophone, qui a toujours défendu, pour des raisons stratégiques évidentes, des compromis laissant beaucoup de place à l’interprétation, avec tous les dysfonctionnements qui en découlent au niveau du fonctionnement de l’État. Cette approche cadre avec leur habituelle approche immobiliste, qui a notamment pour but de préserver les transferts nord-sud.

Résultats

Tous les résultats sont présentés dans un rapport complet de 205 pages. L’analyse des réponses s’est faite de deux manières. D’une part, par l’intelligence artificielle (IA), où toutes les réponses ont été analysées. Et d’autre part, par l’analyse complémentaire d’un échantillon des réponses par l’équipe de recherche. L’algorithme de l’IA fait l’objet d’une description dans un rapport séparé.

Le rapport est donc très complet. La consultation des questions ouvertes offre parallèlement un large éventail de possibilités, sans qu’aucune ne se démarque vraiment. Pour la structure de l’État belge, par exemple, les propositions vont de la refédéralisation des compétences à la scission pure et simple de la Belgique, en passant par le retour à l’État unitaire d’autrefois. Les partisans d’une scission suggèrent tantôt l’indépendance des entités fédérées, tantôt une fusion de la Wallonie avec la France et de la Flandre avec les Pays-Bas. Bruxelles deviendrait dans ce cas de figure la capitale fédérale de l’Union européenne. Le rapport dresse la liste des huit scénarios proposés en cas de scission du pays, mais ne se prononce pas sur leur pertinence et n’en dégage aucune.

La Communauté germanophone, pionnière de la démocratie participative

Ajoutons encore qu’il aura fallu neuf mois pour que le rapport de l’enquête soit établi. Initialement prévu pour octobre 2022, il a été publié en février 2023, ce qui constitue déjà un signe que les résultats ont probablement fait l’objet de longs débats, qui n’auront donc abouti à rien. L’analyse est restée complètement stérile, si bien qu’en définitive, nous en sommes au même stade qu’il y a un an.

Enquête de l’OVV

En mars 2022, le Centre de coordination des organisations flamandes (Overlegcentrum van Vlaamse Verenigingen, OVV) avait déjà réalisé une enquête en collaboration avec l’agence iVOX de Leuven. Pour connaître la position actuelle de la population flamande sur une série de questions communautaires, ils ont lancé une enquête auprès d’un échantillon de 1 000 personnes en mars 2022. Ils ont ensuite recompilé les résultats de manière scientifique et avec toute la rigueur statistique nécessaire. Et elle a coûté beaucoup moins cher : 7200 euros (!)

Les réponses aux questions à choix multiples sur la structure idéale de l’État belge étaient par ailleurs plus claires, bien qu’aussi diversifiées : 26% expriment leur préférence pour un État plus unitaire qu’aujourd’hui, 17% y sont aussi opposés. L’État fédéral actuel, c’est-à-dire le statu quo, ne récolte que 16%. 12% optent pour une construction fédérale avec plus d’autonomie pour les régions, et seuls 7% – heureusement – choisissent la formule à quatre régions (avec les Cantons de l’Est). Enfin, 20% se déclarent favorables à une division de la Belgique en deux ou trois États indépendants. Dans l’ensemble, donc, une fragmentation très marquée des opinions.

Conclusion

La grande consultation citoyenne du gouvernement fédéral ne vaut donc pas un clou. Sur le plan des idées, c’est sans doute un document intéressant, qui a demandé beaucoup de temps et d’énergie, mais concrètement, il ne sera d’aucune utilité.

« La grande consultation citoyenne du gouvernement fédéral ne vaut donc pas un clou. »

En fait, cette même conclusion peut être tirée pour la plupart des coûteuses études lancées par le fédéral, dont celle sur la réforme fiscale. Pour faire taire les critiques qui entourent ce sujet si délicat, un comité d’experts dirigé par le professeur Mark Delanote avait été mis en place. Celui a présenté en juillet son rapport afin d’exposer sa vision à long terme, à contre-courant donc de ce que font habituellement les politiques, dont l’horizon temporel se limite en règle générale à la prochaine échéance électorale. Le document a été immédiatement battu en brèche par les libéraux francophones. Résultat : la cruelle impression que tout ce travail a été d’emblée mis à la poubelle et l’argent jeté par les fenêtres. En attendant, la Vivaldi n’a toujours rien décidé dans ce dossier.

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