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13·07·18

La frontière linguistique affecte aussi les vaches flamandes et wallonnes

Temps de lecture : 3 minutes Crédit photo :

(c) Alexas_Fotos

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Il possède deux lopins de terre, emploie deux comptables, utilise deux étables et exploite deux types de vaches : les Flamandes et les Wallonnes. « L’agriculture a été régionalisée. Elles ne peuvent donc pas se mélanger à l’étable », résume Eric Van Steenkiste, agriculteur établi sur la frontière régionale.

« Voilà les Flamandes : des vaches à lait brunes et blanches. Elles sont sur un terrain wallon, c’est autorisé, mais elles ne peuvent pas côtoyer les vaches wallonnes », explique Eric Van Steenkiste, 54 ans, agriculteur à Lessines (ou Lessen), dans le Hainaut, ainsi qu’à Grammont (ou Geraardsbergen). Le cœur du problème : ses terres sont traversées par la frontière entre la Flandre et la Wallonie.

Les bêtes « flamandes » broutent de l’herbe sous une chaleur de plomb, l’œil vitreux. En face d’elles, un vieux chariot bâché arbore le drapeau belge et les visages de Fellaini et consorts. Un peu plus loin, une grande étable abritant encore plus de vaches.

« Et voilà les Wallonnes : des vaches à viande », poursuit l’agriculteur, parfaitement bilingue, qui passe sans cesse d’une langue à l’autre et ponctue son néerlandais de « mais » et de « parce que ». « J’espère que vous voyez la différence ? Bleu-gris avec du blanc, la blanc-bleu-belge de type culard. On a donc du blanc-brun côté flamand et du blanc-bleu côté wallon. Ce qui permet de les séparer facilement. »

Un détail qui a toute son importance sur cette exploitation. Autrefois, lorsqu’elle était gérée par les parents d’Eric Van Steenkiste, il s’agissait d’une ferme belge en territoire flamand. En 2000, une nouvelle étable a été construite du côté wallon de la frontière. Deux ans plus tard, l’agriculture est devenue une compétence régionale et les deux bâtiments doivent désormais faire l’objet d’une séparation stricte.

Depuis, les questions communautaires causent des tracas quotidiens. Car la Wallonie et la Flandre appliquent des règles différentes en matière d’hygiène, de primes, de quotas d’engrais et de pollution de l’environnement. Les périodes durant lesquelles il est permis d’épandre l’engrais sur les champs, le calcul de la quantité d’engrais par vache, le seuil de compensation due à la pollution et les règles concernant l’épuration des eaux et l’arrosage divergent de part et d’autre de la frontière.

Mais surtout, les vaches ne peuvent pas se trouver sur le même pâturage ou dans la même étable. « Tout le monde répète le slogan “Tous ensemble”, mais ici, on doit tout le temps tout séparer. Et on en a marre, oui. J’ai trop de place dans mon étable wallonne et j’en manque dans mon étable flamande, mais les vaches flamandes ne peuvent pas rentrer dans l’étable wallonne. Si un inspecteur de l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (AFSCA) s’en aperçoit, on m’infligera une amende. »

Pourquoi ? La réponse est stupéfiante : « On se pose la question depuis des années. » Même si l’agriculteur connaît l’explication : les bêtes de deux agriculteurs différents ne peuvent pas se mélanger pour éviter les contaminations, et pour ce qui est des primes et des quotas d’engrais, le « poids » d’une vache est différent en Wallonie et en Flandre.

« La comptabilité est différente selon la bête », ajoute Eric Van Steenkiste. « C’est notamment pour cette raison que nous avons deux comptables. Mais le fait qu’elles ne puissent pas vivre au même endroit, c’est proprement ridicule. Ce sont mes bêtes, je m’occupe aussi bien des unes que des autres et elles respectent parfaitement les critères sanitaires. »

Un veau nommé Hazard

Renseignements pris auprès de la Fédération wallonne de l’agriculture (FWA), il se pourrait que le cas d’Eric Van Steenkiste soit loin d’être unique. « Au moins 200 agriculteurs de la région se trouvent dans cette situation », estime Étienne Triffin de la FWA. À la tête du Département wallon de l’Agriculture, Bernard Hennuy estime quant à lui qu’ils pourraient être « environ 1000 au total ». « Mais généralement, il n’y a pas de complications, car l’agriculteur s’établit à une adresse et choisit donc la région dont il relève. En l’espèce, des bêtes se trouvent littéralement de part et d’autre de la frontière. Ce qui me semble exceptionnel et complique le dossier. »

Comme l’illustre le cas d’un veau noir et blanc qui vient de naître. Le lendemain de sa naissance, il se trouve dans un box et boit du lait dans un seau. « C’est un culard. La mère est une vache à lait flamande, le père un culard. Comme il a besoin d’aliments et de soins différents, je préfère le mettre avec les Wallonnes », explique Eric Van Steenkiste. « Mais je dois d’abord l’inscrire via la mère flamande. Pour obtenir la naturalisation wallonne, je dois remplir beaucoup de paperasse et réaliser des tests sanguins. C’est un peu ce que voulaient faire les Français avec Eden Hazard. »

À côté du veau flamand qui doit être naturalisé wallon s’en trouve un autre, brun et blanc, né deux jours plus tôt et « purement flamand ». Sur place, un négociant admire les veaux. Un peu plus tard, il repart avec une jeune vache flamande dans sa remorque. « On a vendu une vache flamande à un Wallon », conclut Eric Van Steenkiste. « Si ce n’était plus possible, il faudrait mettre la clé sous la porte. Alors qu’il n’y a pas si longtemps, on se trouvait tout simplement en Belgique. »

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