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Élections : Flamands et Wallons inégaux devant la loi ?
20·10·22

Élections : Flamands et Wallons inégaux devant la loi ?

Temps de lecture : 5 minutes Crédit photo :

NICOLAS MAETERLINCK (Belga)

Auteur
Guilhem Lejeune
Traducteur Guilhem Lejeune

Voilà bien longtemps que le débat portant sur la répartition des sièges à l’issue des élections agite le mouvement flamand. On prétend qu’à la Chambre, un candidat wallon pourrait obtenir un siège en recueillant moins de voix qu’un Flamand. Le dernier colloque de Pro Flandria a été l’occasion pour Barbara Pas, députée Vlaams Belang, d’exprimer son mécontentement à ce sujet. Mais peut-on réellement parler de discrimination ?

L’article 10 de la Constitution belge dispose que tous les Belges sont égaux devant la loi. À sa suite, l’article 11 est libellé comme suit : « La jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges doit être assurée sans discrimination. » Lors des dernières élections, en 2019, le Vlaams Belang a recueilli pas moins de 810 177 suffrages. À ce titre, le parti a obtenu dix-huit sièges à la Chambre des représentants. Or, le PS, en récoltant nettement moins de voix (641 623), on a obtenu vingt.

Autre exemple : avec 416 452 votes, Ecolo a décroché treize sièges, contre seulement huit pour Groen, qui a pourtant totalisé 413 836 suffrages. Barbara Pas voit dans ces résultats la preuve que, sur le plan électoral, la voix d’un Flamand pèserait moins que celle d’un Wallon.

Un système moins simple qu’il n’y paraît

Le système de répartition des sièges n’est toutefois pas aussi simple qu’il n’y paraît : pour obtenir un siège, tous les partis ne doivent pas recueillir le même nombre de voix. Aux dernières élections, le seuil s’établissait ainsi à environ 32 000 voix pour Ecolo et le PS, contre 45 000 pour le Vlaams Belang et près de 52 000 pour Groen. Comment expliquer ces disparités ?

Les députés sont élus dans leur circonscription (la division politique au sein de laquelle est organisé le scrutin, ndlr). La Chambre des représentants en compte onze, qui correspondent aux dix provinces du pays plus Bruxelles.

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Les sièges sont répartis sur la base de la méthode D’Hondt : selon le système électoral du scrutin proportionnel, les sièges à attribuer sont répartis en fonction du nombre de suffrages valablement exprimés pour les partis participants.

« Certains partis wallons n’atteignent pas le seuil électoral, ce qui entraîne une importante déperdition de voix. Ceux qui le franchissent doivent donc recueillir moins de votes »

Comme seul un nombre limité de sièges sont à attribuer dans chaque circonscription, un nombre important de voix se perdent. Dans les circonscriptions wallonnes, on compte en effet davantage de partis qui recueillent peu de suffrages. Certains d’entre eux n’atteignent pas le seuil électoral, ce qui entraîne une importante déperdition de voix. Ceux qui le franchissent doivent donc recueillir moins de votes.

Les autres facteurs

D’autres facteurs expliquent cette répartition inégale des sièges. En Wallonie et à Bruxelles, le niveau des votes blancs et nuls ainsi que de l’abstention est bien plus élevé qu’en Flandre. Or, si les électeurs sont moins nombreux, le seuil permettant aux partis de décrocher un siège à la Chambre s’en trouve mécaniquement abaissé.

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De plus, seuls les citoyens en droit de voter se rendent aux urnes, mais la répartition des sièges se fonde sur l’ensemble de la population. Le nombre de sièges qu’une province peut attribuer dépend en effet d’un recensement décennal de la population. Plus les habitants sont nombreux, plus le nombre de sièges est important. La logique qui sous-tend cette méthode de calcul est simple : les députés ne représentent pas uniquement les électeurs, mais la population dans son ensemble. De ce fait, les provinces qui comptent beaucoup de mineurs (comme Bruxelles) se trouvent avantagées. Enfin, les circonscriptions sont généralement plus petites en Wallonie qu’en Flandre.

Pas un exemple unique

La Belgique n’est pas le seul pays à connaître ce genre de déséquilibre. « On a assisté à une situation similaire aux États-Unis en 2000 », expliquait Nicolas Bouteca, politologue à l’Université de Gand, dans le Standaard en 2014. « Al Gore avait récolté plus de voix, mais George Bush avait remporté plus d’États. Résultat : c’est Bush qui est devenu président. »

« Curieusement, une ligne de démarcation sépare la Flandre de la Wallonie, à l’instar de la frontière linguistique. Mais elle tient davantage à une série de coïncidences qu’à une méthode de répartition visant délibérément à damer le pion aux Flamands », écrivait la journaliste Eveline Vergauwen à l’époque. Une analyse qui est loin de faire l’unanimité.

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La Flandre milite de longue date pour une répartition proportionnelle en vertu de laquelle tous les partis, à l’exception du PS, d’Ecolo et du MR, se verraient attribuer plus de sièges. De nombreux Flamands, parmi lesquels, par exemple, le député Peter De Roover (N-VA), affirment en effet que ce n’est pas un hasard si seuls les partis francophones venaient à perdre en importance dans un système de répartition proportionnelle. Ils se sentent lésés et considèrent qu’un siège wallon a moins de valeur.

Une critique ancienne

En 1964 déjà, Raymond Derine livrait une analyse très critique de ce système dans Aktuele Vlaamse Standpunten (« Point de vue flamands actuels », non traduit), ouvrage dans lequel il appelait à faire évoluer la loi : « Bien que l’ajustement du système de répartition des sièges et la révision de la Constitution soient deux problématiques distinctes qui ne doivent pas nécessairement être traitées simultanément, la réaction de la Wallonie a conduit à les rattacher. »

« Selon Raymond Derine, quelque 500 000 Flamands étaient déjà, à l’époque, privés de représentants à la Chambre, raison pour laquelle il souhaitait que la répartition des sièges soit fondée sur la population de la Flandre et de la Wallonie »

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Raymond Derine voulait que les choses changent. Il estimait qu’aucun « homme sérieux ne pouvait mettre en doute le bien-fondé de cette revendication des Flamands ». Selon lui, quelque 500 000 Flamands étaient déjà, à l’époque, privés de représentants à la Chambre, raison pour laquelle il souhaitait que la répartition des sièges soit fondée sur la population de la Flandre et de la Wallonie.

« Un Flamand est égal à un Wallon. Il s’agit tout bonnement d’une exigence démocratique, d’une application pure et simple du principe du suffrage universel. La situation aurait dû être réglée depuis bien longtemps. Il est extrêmement préoccupant, pour la démocratie belge, qu’il soit si compliqué de mettre en œuvre cette réforme », écrivait-il.

Cour constitutionnelle

Si un citoyen estime qu’une loi viole le principe de non-discrimination inscrit aux articles 10 et 11 de la Constitution, il peut, en principe, saisir la Cour constitutionnelle pour demander l’annulation de la norme contestée. La Cour constitutionnelle contrôle en effet la constitutionnalité des lois belges, des décrets flamands et wallons ainsi que des ordonnances de la Région de Bruxelles-Capitale. Les recours en annulation doivent toutefois être introduits dans le délai imparti, à savoir six mois suivant la publication de la norme attaquée au Moniteur belge.

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Cependant, il est également possible de (faire) saisir la Cour constitutionnelle indirectement, au moyen d’une question préjudicielle — c’est-à-dire, concrètement, une question qu’un juge pose à la Cour constitutionnelle avant de rendre sa décision. Autrement dit, dans le cadre d’une procédure intentée devant une juridiction belge, tout justiciable confronté à une norme juridique dont il estime qu’elle est inconstitutionnelle peut demander au juge de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.

En Belgique, les règles applicables aux élections sont définies dans les lois électorales, qui sont donc, en principe, susceptibles d’être annulées pour autant que le délai maximal de six mois soit respecté. Comme la plupart des lois électorales sont déjà très anciennes, ce délai est généralement dépassé et le recours en annulation a peu de chances d’aboutir. Mais il reste toujours possible de poser une question préjudicielle dans le cadre d’un litige particulier.

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