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Le blocage politique n’est pas une spécialité belge
28·02·23

Le blocage politique n’est pas une spécialité belge

Dave Sinardet est professeur de science politique à la Vrije Universiteit Brussel (VUB) et à l’Université Saint-Louis Bruxelles. Il écrit une chronique bimensuelle pour De Morgen.

Temps de lecture : 4 minutes
Dave Sinardet
Auteur⸱e
Guilhem Lejeune
Traducteur Guilhem Lejeune

« Le gouvernement Jambon avait pour mission, en faisant preuve d’unité dans sa gestion et en engageant des réformes fondamentales, de démontrer l’opérationnalité de la Flandre. Or, c’est tout le contraire qu’il nous donne à voir. En raison du fossé qui ne cesse de se creuser entre les différents partis, le modèle flamand se heurte à ses limites. L’immobilisme de la Flandre, dans à peu près tous les domaines, est devenu intenable.

La Flandre tenait là sa dernière chance d’apporter la preuve de sa valeur ajoutée, mais si les responsables flamands ne parviennent même pas à assurer la mise en œuvre effective de l’un des rares accords qui les liaient encore, c’en est terminé. Ils deviennent les fossoyeurs de l’autonome flamande à laquelle ils se cramponnaient tant. Une seule conclusion s’impose : cette région ne fonctionne plus. Face à un gouvernement flamand incapable de mener à bien le moindre chantier, une réforme de l’État est inévitable. Le moment venu, les partis flamands continueront de plier face au pouvoir, pour conserver leurs petits postes, mais il leur faudra désormais accepter que l’évolution vers une Belgique unitaire est devenue inéluctable. »

Vous trouvez cette lecture de la crise que traverse le gouvernement flamand excessive, peut-être même grotesque, voire hystérique? Je ne peux que vous donner raison. Aucun responsable politique ou commentateur n’a en effet livré une telle analyse — à juste titre. Pourtant, elle vous semble familière n’est-ce pas ?

Et pour cause : dans les deux premiers paragraphes de cet article, remplacez « Flandre » par « Belgique », « Jambon » par « De Croo » et « unitaire » par « confédérale ». La démonstration n’en reste pas moins aussi emphatique que simpliste, mais l’écho qu’elle trouve dans les médias est bien plus retentissant.

De fait, je me suis inspiré, pour rédiger cette analyse fictive des déboires du gouvernement flamand, de déclarations récentes d’un certain nombre de faiseurs d’opinion et de responsables politiques (issus de partis non radicaux) — mais au sujet du niveau fédéral.

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Cet exercice permet de mettre en exergue le ton et le vocabulaire employés, très différents selon que l’on vise le gouvernement régional ou national. Ainsi, si les désaccords au sein de l’exécutif flamand sont le plus souvent assimilés à un accident de parcours, les dissensions au sein de l’équipe fédérale sont invariablement interprétées comme une crise existentielle annonçant l’effondrement définitif du pays.

Cette façon de présenter les choses, transformée en idée fixe dans notre débat sur le fédéralisme, ne permet d’envisager qu’un seul remède : une nouvelle grande réforme de l’État, également appelée, de nos jours, « confédéralisme ».

Certes, la structure de l’État belge peut gagner en efficacité. Mais au regard de l’histoire, il n’est pas certain qu’une énième réforme de l’État permette d’y parvenir. En tout état de cause, il est totalement illusoire d’y voir une solution à chaque querelle susceptible d’éclater au sein du gouvernement.

« Nous ne devons pas nous montrer trop indulgents envers nos dirigeants. Mais tout le monde doit être traité de la même manière, quel que soit le niveau de pouvoir concerné. »

En effet, les causes des blocages que l’on constate actuellement à l’échelon fédéral et flamand, mais aussi au niveau du gouvernement bruxellois ou de celui de la Communauté française, sont très similaires. Ce qui n’est pas surprenant, vu que tous nos niveaux de pouvoir sont régis par la même  culture politique, notamment celle de la particratie. Mais ces causes ne sont pas non plus aussi propres à la Belgique que notre tendance au nombrilisme le laisse souvent penser : nombre d’autres systèmes politiques sont également en proie à des phénomènes tels que la fragmentation, la radicalisation et la polarisation, avec tous les problèmes de gouvernance qui en découlent.

Cela ne signifie pas que nous  devons nous montrer indulgents envers nos dirigeants. Mais peut-on alors traiter tout le monde de la même manière, quel que soit le niveau de pouvoir concerné?

Bien entendu, il faut continuer de porter un regard très critique sur la Vivaldi, qui ne se montre pas à la hauteur des attentes. Mais ces attentes n’étaient-elles pas quelque peu démesurées, surtout par rapport à celles qui avaient été placées dans le gouvernement de Jan Jambon ?

Vivaldi : le chagrin des présidents de la particratie

Résumons la situation : beaucoup de commentateurs flamands attendent d’une coalition fédérale composée de sept partis couvrant un spectre idéologique très large qu’elle soit à même, en l’espace de trois années environ, dominées par des crises successives, tout à la fois de remanier l’ensemble du système fiscal, de réformer en profondeur le régime des retraites, de révolutionner la politique du marché de l’emploi, de repenser totalement la politique énergétique, et ainsi de suite.

Dans bon nombre de ces domaines, le gouvernement flamand, dont les membres sont issus de trois partis plutôt proches sur le plan des idées, aurait également pu faire bouger les choses. Mais lorsque la crise de l’énergie a éclaté, c’est vers le 16, rue de la Loi, que tous les regards se sont tournés : il fallait agir pour le pouvoir d’achat ! Or, la place des Martyrs, où siège le gouvernement flamand, pouvait tout aussi bien intervenir pour alléger le montant des factures d’énergie ou adopter des mesures d’aide.

Autre exemple : la fixation sur la limitation dans le temps des allocations de chômage fédérales masque le fait que le VDAB, l’office flamand de l’emploi, peut décider de suspendre les droits des chômeurs à un stade encore plus précoce.

Ou encore : les trois partis du gouvernement flamand se plaignent depuis des années que les charges pesant sur le travail sont beaucoup trop élevées, raison pour laquelle ils appellent de leurs vœux une réforme fiscale au niveau fédéral. Or, voilà déjà vingt ans que l’exécutif flamand est compétent pour accorder aux travailleurs flamands un allègement fiscal considérable. Mais il n’en fait rien (à l’exception d’une réduction limitée visant les salaires les plus bas).

Manifestement, même les partis du gouvernement flamand en attendent davantage de la coalition fédérale que d’eux-mêmes. Comme l’a très justement dit Jan Jambon lui-même lors de sa première déclaration de gouvernement, en 2019 : « Plus est en nous. »

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