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Pourquoi l’extrême droite prospère ? Un regard critique sur les partis traditionnels
27·12·23

Pourquoi l’extrême droite prospère ? Un regard critique sur les partis traditionnels

Dominique Willaert est metteur en scène, activiste et auteur, notamment du livre Niet alles maar veel begint bij luisteren [EPO], « L’écoute, tout ou presque commence par là », résultat de quatre mois passés au contact des habitants du pays de la Dendre.

 

Temps de lecture : 4 minutes
Noëlle Michel
Traducteur⸱trice Noëlle Michel

Les partis de gauche doivent défendre tous les citoyens sans exception s’ils veulent combattre l’extrême droite, écrit Dominique Willaert.

La victoire électorale du PVV de Geert Wilders aux Pays-Bas pourrait être un avant-goût de ce qui attend la Flandre et d’autres régions et pays d’Europe. Cependant, la stupeur et la consternation des institutions et partis traditionnels m’étonnent davantage que le score monstrueux du PVV. On évoque souvent la façon dont l’extrême droite monopolise le thème de l’immigration, mais trop peu la précarisation qui pousse de plus en plus de gens dans le piège de l’extrême droite.

En Europe, l’extrême droite a déclenché une vague sans précédent de polarisation ardente autour de la question migratoire. En même temps, les effets désastreux de la mondialisation créent un malaise : le mécontentement des citoyens remonte à la surface comme de la lave bouillonnante. En 2022, alors que je parcourais le pays de la Dendre en prêtant une oreille attentive aux sympathisants et électeurs du Vlaams Belang, j’ai appris que le thème de l’immigration faisait surtout office de symptôme, et que d’autres causes plus profondes expliquaient le mécontentement et la colère.

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Dans à peu près toutes les régions où l’extrême droite progresse, les habitants doivent renoncer à des acquis les uns après les autres. Le tissu social durable qui les protégeait et les rapprochait les uns des autres depuis des générations a été déchiré par la fermeture des bureaux de poste et des syndicats, des cafés et des guichets de gare et de mutualités. Les petits commerces de proximité ont dû céder la place à des zones commerciales excentrées anonymes et laides. Les habitants ne se plaignent pas seulement de la dégradation des services publics, mais aussi de la disparition de leurs traditions et de l’offensive contre des coutumes qui leur servaient de repères et les sécurisaient. J’essaie d’expliquer à mes amis citadins cosmopolites que des thèmes woke comme les « safe space », la fluidité de genres et le père Fouettard provoquent plus de résistances que d’engouement.

Désillusion et colère

Je remarque que les partis traditionnels s’engagent très peu, voire pas du tout auprès des 30 à 40 % de la population qui connaît des fins de mois difficiles, pour ne pas dire catastrophiques. Ce groupe est issu des masses travailleuses classiques – classe ouvrière et classe moyenne inférieure –, mais il se compose aussi de petits indépendants et d’agriculteurs qui se démènent tant qu’ils peuvent, sans bénéficier pour autant de reconnaissance sociale et de respect, ni d’un revenu digne et suffisant.

Le succès de l’extrême droite est donc en grande partie attribuable aux partis traditionnels. Aux yeux d’un grand nombre de citoyens, ces partis sont surtout centrés sur eux-mêmes et manquent de volonté politique et de courage pour redistribuer équitablement les richesses existantes et faire en sorte que la prospérité profite à tous. Les gens m’ayant dit sans hésitation qu’ils voteraient pour le Vlaams Belang m’ont demandé ce que moi-même je pensais de la facture des certificats verts, de l’immense pénurie de logements sociaux, des prix exorbitants de l’immobilier, ou encore de la prime flamande de 5 000 euros pour l’achat d’une voiture électrique. Pendant ce temps, eux se voient forcés de rester chez eux tout l’été, parce que leur pécule de vacances leur sert à régler leurs factures d’énergie élevées.

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Certains m’ont confié leur désillusion et leur colère, leur sentiment de n’avoir plus de place dans la société. Leurs histoires sont le reflet d’une précarisation croissante et douloureuse. Ces gens entendent parler à longueur de journée de mauvaises nouvelles sur lesquelles ils n’ont aucune d’influence. La menace climatique les effraie tellement que, influencés par les thèses complotistes de l’extrême droite, ils développent une aversion pour le sujet. Ils n’ont aucune perspective de progrès, ils sont confrontés à la stagnation et à la régression. J’ai prêté l’oreille à celles et ceux qui supportent les charges les plus lourdes, ne bénéficient d’aucune prime ou exonération fiscale et cherchent, par désespoir plutôt que par conviction idéologique, leur salut auprès de l’extrême droite. Ils rejoignent alors un camp solide et plein d’assurance qui leur fait miroiter amélioration et changement. Or, les partis traditionnels n’y parviennent plus depuis longtemps : ils se sont engagés pour plus de reconnaissance sociale et moins de précarité, mais au bout du compte, ce sont des promesses en l’air.

La « faute aux migrants »

S’il ne reste que des miettes à se partager, il n’est pas étonnant que ceux qui se battent pour ces miettes soient sensibles à la stratégie du « diviser pour mieux régner » de l’extrême droite. Les partis traditionnels présentent aussi les « migrants » comme des boucs émissaires et la source de tous les problèmes, banalisant ainsi le discours et le programme de l’extrême droite. Ceci alors que ce sont justement les personnes issues de l’immigration qui paient le plus cher les conséquences de la globalisation et des politiques néolibérales : elles accèdent plus difficilement au marché du travail et du logement, gagnent généralement moins que leurs collègues blancs et sont plus souvent victimes de violences policières et de racisme dans l’espace public et sur les réseaux sociaux.

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Le spectre de l’extrême droite qui hante l’Europe ne pourra être chassé que si les partis traditionnels et de gauche défendent sans équivoque l’ensemble des citoyens, quelle que soit leur origine ou leur couleur de peau. Notre société démocratique ne survivra que si les partis traditionnels cessent d’imiter le langage et le programme de l’extrême droite. Il est grand temps que libéraux, chrétiens-démocrates et socialistes réapprennent à défendre bec et ongles et à mettre en pratique leurs valeurs et idéaux politiques historiques. Ils doivent trouver le courage politique de lutter, non pas contre les migrants, mais contre l’augmentation des inégalités.

Notre rédacteur en chef adjoint, Aubry Touriel, a réalisé un documentaire diffusé sur la RTBF où il part à la rencontre des électeurs du Vlaams Belang. Réalisé par le Centre d’action laïque, ce reportage vous aide à mieux comprendre pourquoi des citoyens flamands envisagent de voter pour ce parti d’extrême droite:

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