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Ivan De Vadder : « Voter pour un parti extrême est dangereux, mais ne pas aller voter est encore pire »
31·01·24

Ivan De Vadder : « Voter pour un parti extrême est dangereux, mais ne pas aller voter est encore pire »

Temps de lecture : 7 minutes Crédit photo :

(VRT)

Eric Steffens et Joyce Azar
Auteure

Depuis plus de 30 ans, le journaliste Ivan De Vadder analyse et décortique la politique pour la radio-télévision publique flamande VRT. En cette année de toutes les élections, et face à la crainte de nouveaux dimanches noirs, il lance dans son dernier livre un message qui se veut positif. L’ouvrage, intitulé « Vertrouwen in verkiezingen » (que nous avons traduit avec son accord par « Faites confiance aux élections »), appelle notamment à ne pas laisser notre démocratie s’évaporer dans un brouillard d’indifférence, et à aller voter, même si en Flandre, ce devoir de citoyen n’est plus obligatoire au niveau local.

 

Dans votre nouvel ouvrage, vous lancez un appel clair aux citoyens, à qui vous demandez d’impérativement aller voter lors des prochaines élections. Pourquoi cet appel?

L’idée principale que je développe dans ce livre part d’un paradoxe dans notre société. La politique en général a, depuis très longtemps, lutté pour permettre à un maximum de monde de participer. C’est un droit qui est parfois arrivé bien trop tard : les femmes n’ont par exemple pu voter qu’à partir de 1948. Mais au final, on a abouti à un système où les jeunes peuvent voter dès l’âge de 16 ans aux européennes, les étrangers peuvent voter aux communales… Un très grand nombre de personnes – 71% de la population – a donc aujourd’hui le droit de voter. Mais maintenant que nous sommes arrivés à la fin de cette évolution, à ce système où presque tout le monde peut voter, les gens se disent « on en a marre, on ne veut plus ». C’est un énorme paradoxe qui provient du mépris et de la méfiance envers le monde politique. 

Dans mon livre précédent, « Wanhoop in de wetstraat » (Le désespoir de la Rue de la Loi, ndlr), je me suis principalement penché sur les problèmes du monde politique, sur son souci d’intégrité, un souci auquel il faut répondre pour combler le fossé qui existe avec les citoyens. Dans ce nouveau livre, je me tourne désormais vers le citoyen, car en Belgique, 17% des personnes qui ont le droit de voter ne le font plus. Ils votent blanc, émettent un vote invalide, ou ne se rendent tout simplement pas aux urnes, et ce dans un système où le vote est obligatoire. Il s’agit d’un groupe est énorme!

On ressent donc une méfiance croissante de la population envers le monde politique. A qui la faute selon vous?

Cette faute est partagée. Dans mon premier livre, j’évoque principalement la responsabilité politique, mais les électeurs ont également une responsabilité. Qui a voté pour les élus qui se trouvent au pouvoir? Ce sont les électeurs! On dénonce souvent le népotisme dans la politique, mais qui a voté pour ces gens-là? C’est nous, les électeurs… Nous avons donc une responsabilité. Je fais souvent la comparaison avec les embouteillages : quand on est bloqué sur la route, on enguirlande la personne devant nous, mais au final on fait partie du problème. Ici, c’est pareil : il ne suffit pas de râler sur le monde politique, il faut examiner aussi sa place dans tout cela. Réagir en n’allant plus voter, c’est à mes yeux très néfaste pour la démocratie. Je dis souvent que la démocratie peut survivre à des électeurs en colère – entendez par là ceux qui votent pour les extrêmes – mais elle ne survivra jamais à des électeurs apathiques. Je répète également souvent que si les gens ne font rien, s’ils ne participent pas, ils ne doivent pas ensuite venir se plaindre. Ils n’en ont pas le droit, selon moi.   

« Si les gens ne font rien, s’ils ne participent pas, ils ne doivent pas ensuite venir se plaindre. »

Un exemple qui illustre bien cela est la Pologne. Après la chute du mur de Berlin en 1989, le taux de participation enregistré dans le pays était d’environ 60%. Durant les plus récentes années, les conservateurs du PiS ont accédé au pouvoir et mis en place un état quasiment autoritaire. Mais aux dernières élections, le taux de participation est passé à 80%, et l’opposition centriste pro-européenne l’a emporté. Cela signifie donc que les électeurs polonais ont repris leur responsabilité, ils ont fait un choix, celui de participer. 

Vous évoquez également une forme de désespoir chez les électeurs. En quoi constatez-vous cela, et comment expliquez-vous cette situation?

Il faut pour cela se tourner à nouveau vers les politiques. Je crois que les partis doivent revenir à des idées simples pour expliquer ce qu’ils font, ce qu’ils réalisent concrètement. Au lieu d’uniquement défendre la position de sa propre formation politique, ils devraient également défendre celle du gouvernement dans lequel ils sont. Aujourd’hui, les présidents de parti ont tendance à s’approprier telle ou telle réalisation au sein d’un gouvernement, alors qu’il s’agit de la réalisation d’une équipe. Il faudrait davantage d’hygiène politique… Nous sommes en droit de demander. 

« Aujourd’hui, les présidents de parti ont tendance à s’approprier telle ou telle réalisation au sein d’un gouvernement, alors qu’il s’agit de la réalisation d’une équipe. »

Actuellement, on se trouve un peu comme dans un match de foot qui va dans tous les sens, et où les présidents sont sur les lignes de touche et jettent plein de ballons sur le terrain. C’est cela qui désespère les citoyens, car on vit énormément d’incertitudes pour le moment : la guerre, le pouvoir d’achat, le fonctionnement de la démocratie… Et face à cela, on a des politiques qui se tapent les uns sur les autres. Cela ne semble pas être le comportement approprié, alors qu’il est possible de donner plus de confiance aux électeurs au sujet du système et du fonctionnement de la politique. Ce sont les premiers pas à effectuer pour que le citoyen ait de nouveau envie de participer. 

Qu’en est-il des personnes qui ne savent pas pour qui voter, car elles ne se sentent représentées par aucun parti?

C’est vrai, il y a pas mal de gens qui ne se sentent plus représentés. En Flandre, il y a récemment eu plusieurs tentatives de lancer un nouveau parti. Mais avec notre système, le financement public des partis et les seuils électoraux, il est très difficile pour une petite formation de devenir un vrai parti et d’être représenté au parlement. Ce système cadenassé est un problème pour les personnes qui ne se sentent plus connectées avec les partis existants. 

« On fait toujours partie d’un groupe plus large, de 5% ou 20%… Donc oui, voter peut faire la différence. »

Je crois par ailleurs qu’informer ces personnes peut être utile. C’est assez classique comme idée, presque cliché, mais c’est vrai. Et enfin, les gens doivent savoir qu’ils ne sont jamais seuls. Beaucoup d’électeurs se disent que leur vote à lui seul ne changera rien, mais aucun parti n’obtient qu’un seul vote. On fait toujours partie d’un groupe plus large, de 5% ou 20%, et donc oui, ça peut faire la différence.

Lors des prochaines élections locales en Flandre, les citoyens ne seront plus obligés d’aller voter, suite à une récente réforme. Pensez-vous qu’ils seront nombreux à « profiter » de cette nouvelle loi, et donc à rester chez soi?

Les études menées dans les pays voisins, comme les Pays-Bas, montrent que 30% des voix sont perdues. C’est énorme, car il s’agit d’un tiers des électeurs qui ne seront donc plus représentés dans notre démocratie. Pour le moment, nous avons déjà une perte de 17% malgré le vote obligatoire. Cette perte va donc être doublée… Et ceci est une estimation « positive », car cela pourrait être plus! 

Par ailleurs, lorsque l’on voit le profil des personnes qui resteront ce jour-là chez eux, il s’agit de personnes assez vulnérables, de personnes ayant une moins bonne situation socio-économique ou ayant eu une éducation moins longue. C’est tout de même dommage que ce soit justement ces personnes-là qui ne participent plus à la démocratie. 

La Flandre supprime le vote obligatoire : « Le vote blanc et nul va progressivement disparaître »

Quelles pourraient être selon vous les conséquences de cette nouvelle règle?

Il risque d’y avoir une confusion… Est-ce qu’en juin prochain, tout le monde sera conscient du fait que cette suppression du vote obligatoire ne compte que pour les élections locales d’octobre? C’est une véritable cacophonie! 

« Supprimer le vote obligatoire? Ce n’est pas rationnel, et je crains que cela ne tombe au mauvais moment… »

Le gouvernement flamand a profité « en stoemelings » de sa compétence au niveau local. La majorité était en faveur de cette réforme et elle a donc été adoptée. Mais ce niveau local est justement le niveau le plus proche des citoyens, et le taux de participation est généralement plus haut que pour les autres élections. Et aujourd’hui, on décide de réduire cette proximité en abolissant le vote obligatoire? Ce n’est pas rationnel, et je crains que cela ne tombe au mauvais moment, mais on verra bien. Ce sera une véritable expérience politique, et on verra bien les dégâts qui vont s’en suivre, car je pense qu’il y en aura. 

Selon les derniers sondages, le Vlaams Belang deviendrait le plus grand parti de Flandre, si des élections devaient se tenir aujourd’hui. Qu’est-ce qui explique, selon vous, le fait que tant de citoyens flamands donnent leur voix à ce parti?

Je vais vous répondre par une autre question: pourquoi y a-t-il tant de francophones qui votent pour un parti d’extrême gauche? Les Flamands ne comprennent pas comment est-ce que 20% des francophones peuvent voter pour un parti qui a, lui aussi, des idées assez extrémistes.

Mais vous, en tant que journaliste politique, comment expliquez-vous les votes en faveur du Vlaams Belang? Beaucoup de francophones se demandent, sans pour autant porter de jugement, qui sont ces électeurs et quelles sont leurs raisons…

On n’est plus aujourd’hui dans l’idée d’un électorat uniquement constitué d’enfants ou de petits-enfants de collaborateurs. Ce n’est pas non plus uniquement des racistes ou des fascistes… Les derniers sondages parlent de 25% voire 30% des voix, c’est à dire un-tiers de la population flamande. Ces voix sont représentées à tous les niveaux, dans toutes les couches de la société. On retrouve ces électeurs aussi bien parmi les entrepreneurs ou dans des cadres intellectuels.

« Les électeurs du Belang ou du PTB sont des électeurs fâchés. Mais au moins ils ne sont pas apathiques! »

Selon moi, malgré le mépris et la méfiance envers le monde politique, les gens ne veulent pas abandonner le système démocratique, mais ils sont fâchés, agacés. Et ce comportement se traduit par un vote qui se veut comme une leçon envers les partis traditionnellement au pouvoir comme les démocrates-chrétiens, les socialistes et les libéraux. C’est la méfiance envers le système politique qui pousse les gens vers le Vlaams Belang en Flandre, et vers le PTB côté francophone. Il s’agit, selon moi, du même comportement. Il n’y a que l’offre qui est différente. J’appelle ces électeurs les électeurs fâchés. Mais au moins ils sont fâchés, ils ne sont pas apathiques. Ces votes pour les extrêmes sont certes un danger pour la démocratie, mais à mes yeux, ne pas aller voter c’est encore pire. 

La percée du Vlaams Belang ne tombe pas du ciel

Avez-vous peur de la montée de l’extrême droite en Flandre?

Oui, et je dirais même que les deux extrêmes me font peur, mais j’ai confiance en la démocratie. Si jamais on se retrouve avec un gouvernement qui inclut un parti extrême, on reste malgré tout dans un cadre démocratique, dans un système de poids et de contrepoids qu’une démocratie possède.

Quel message voulez-vous transmettre aux personnes qui disent ou qui estiment que leur vote ne sert de toute façon à rien, que ce vote ne fera pas la différence?

Tentez le coup, essayez toujours… pourquoi pas? Comme je l’ai déjà dit, celui qui ne vote pas n’a pas le droit de se plaindre par la suite. Donc allez voter, ou arrêtez de vous plaindre!

 

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