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Réforme chez De Lijn : l’indifférence généralisée des politiques flamands
09·01·24

Réforme chez De Lijn : l’indifférence généralisée des politiques flamands

Dave Sinardet est professeur de sciences politiques (VUB/UCLouvain) et chroniqueur pour De Morgen.

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

(c) Belga / LAURIE DIEFFEMBACQ

Dave Sinardet
Auteur⸱e
Fabrice Claes
Traducteur Fabrice Claes

Comme vous le savez, l’année politique qui s’ouvre s’annonce agitée. Le moindre conseil et le moindre parlement de notre pays se verront renouvelés. Et dans cette perspective, où que vous soyez, les candidats vous inonderont de promesses.

Si à un moment, vous n’en pouvez plus, il vous restera un seul refuge possible : les bus et les trams De Lijn ! À moins d’une inauguration en grande pompe d’une nouvelle ligne, vous aurez la certitude de ne pas y rencontrer de responsable politique.

Mieux encore : vous ne risquez même pas d’y tomber sur des personnes actives dans le domaine de la politique. À moins d’un journaliste égaré. Ou d’un politologue, comme votre serviteur.

De Lijn : terminus, tout le monde descend !

Client de De Lijn depuis toujours, j’ai éprouvé des sentiments mitigés ces derniers jours, à la vue des débats sur le nouveau plan de transport en Flandre, actuellement sous le feu des critiques car il prévoit la suppression d’un arrêt sur six, notamment dans des petites communes, où les bus se concentrent désormais sur les rues principales. D’une part, je me réjouis que nos transports en commun défaillants fassent enfin les gros titres, mais d’autre part, je me désole que le sujet soit traité (une fois de plus) sous l’angle du conflit ville-campagne, une grille de lecture assez populaire en Flandre ces derniers temps.

« Je me désole que le sujet soit traité (une fois de plus) sous l’angle du conflit ville-campagne, une grille de lecture assez populaire en Flandre ces derniers temps »

Que les choses soient claires : je partage l’indignation concernant les personnes à mobilité réduite qui résident dans des régions peu peuplées et que l’on abandonne à leur sort, les laissant dans une situation précaire en matière de mobilité. Seulement, nous pourrions vite avoir l’impression que ces pauvres ruraux sont sacrifiés pour contenter des citadins déjà particulièrement privilégiés. La ministre flamande de la Mobilité, Lydia Peeters (Open Vld), a même défendu son plan en ce sens ce dimanche, dans l’émission De zevende dag à la VRT : « Nous avons, çà et là, des bus vides, alors que dans les centres urbains, les bus débordent de passagers. Il était temps de changer les choses. »

Malheureusement, le changement se concentre surtout sur la première partie du raisonnement. Mettons à l’épreuve les dires de la ministre avec plus grande ville de Flandre, dont je suis devenu un expert des transports publics à force de les emprunter depuis plusieurs décennies : il est vrai que plusieurs nouvelles lignes ont fait leur apparition à Anvers, surtout au nord de la ville. Par contre, dans des districts moins nantis comme Deurne et Hoboken, l’offre a été réduite progressivement au fil des années.

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Un fossé

Le véritable drame, cependant, réside dans le fossé qui se creuse entre le service sur papier et la réalité sur le terrain. Depuis des années, l’infrastructure et le matériel sont négligés et la pénurie de personnel est telle qu’il faut très régulièrement annuler ou retarder des trajets, généralement sans communication adéquate. Les trams qui roulent, eux, sont souvent limités à dix kilomètres par heure en raison de l’état d’obsolescence des voies. Les pays en faillite du bloc de l’Est disposaient de stations de prémétro plus confortables et plus efficaces que celles d’Anvers. Il y a peu, le quotidien Gazet van Antwerpen avait calculé que seule une station sur douze était en ordre, et notamment qu’un escalier roulant sur cinq ne fonctionnait structurellement pas, laissant les passagers moins valides sur le quai ou dans la rue. En matière de mobilité, une ville comme Anvers se trouve donc dans le même état de détresse qu’un village comme Moerzeke.

Le malaise s’étend donc bien au-delà du nouveau plan de transport : de nombreux voyageurs, mécontents, ont déserté les transports en commun ces dernières années. L’accord de gouvernement flamand avait promis un « shift modal » en termes de transport. Ce shift a bel et bien lieu, mais le problème, c’est qu’il se dirige vers un abandon des transports en commun.

Une stratégie pour laisser pourrir la situation ?

La ministre Lydia Peeters n’est pas la cause de ce problème, elle en est plutôt un symptôme. Qu’un poids plume comme elle préside aux destinées de la mobilité en Flandre en dit long sur l’intérêt que porte son parti pour le sujet. Il faut savoir également que les économies réalisées sur le dos de De Lijn datent déjà des prédécesseurs de Mme Peeters, à savoir Hilde Crevits (cd&v) et Ben Weyts (N-VA), ce qui partage soigneusement la responsabilité entre les trois partis de l’exécutif actuel. Loin de moi l’idée de faire des procès d’intention. Je ne suis pas de ceux qui prétendent que le gouvernement laisse délibérément pourrir la situation pour imposer une privatisation, mais si on avait voulu démanteler De Lijn, on ne s’y serait pas pris autrement.

En même temps, il ne faut pas non plus réduire toute cette misère à un manque d’argent, comme le fait l’opposition de gauche. S’il est vrai que les ministres socialistes menaient, à l’époque, une politique de mobilité plus ambitieuse, avec des investissements à la clé, il fallait cependant déjà déplorer des manquements en matière de gestion et l’incompétence des dirigeants de De Lijn, surtout dans des villes comme Anvers. C’est d’ailleurs par cette inefficacité que Bart De Wever justifie aujourd’hui le refus d’octroyer des moyens suffisants à De Lijn. Un aveu étrange de la part du président d’un parti qui a longtemps compté dans ses propres rangs le ministre de la Mobilité ET le président de De Lijn.

« En mettant sa réforme sur les rails juste avant les élections, Lydia Peeters est parvenue à déchaîner un chaos et un mécontentement qui feront peut-être enfin des transports en commun un thème de la campagne électorale. »

Mais l’essence du problème est encore plus profonde : puisque ses utilisateurs n’ont généralement pas de voix dans le débat public en raison de leur profil sociologique, les transports en commun suscitent une indifférence généralisée en Flandre. Et même parfois à gauche. Fidèle à son électorat d’universitaires, Groen se profile plus comme un parti de cyclistes. Et je ne parle même pas de l’hypocrisie du PVDA (PTB), grand protecteur du bus en Flandre, mais apologiste de la voiture à Bruxelles quand il s’agit de lutter contre le plan Good Move.

Finalement, c’est peut-être encore Lydia Peeters qui mérite le plus notre gratitude : en mettant sa réforme sur les rails (à défaut d’y mettre des trams) juste avant les élections, elle est parvenue à déchaîner un chaos et un mécontentement qui feront peut-être enfin des transports en commun un thème de la campagne électorale.

Qui sait, nous aurons peut-être même droit à des photos de politiques qui prennent le bus ou le tram. Ne serait-ce que pour faire campagne.

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