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Nationalistes flamands: ne parlons surtout pas de la collaboration
20·07·22

Nationalistes flamands: ne parlons surtout pas de la collaboration

Journaliste et historien, Marc Reynebeau est aussi éditorialiste pour le quotidien De Standaard, ses chroniques paraissent tous les mercredis.

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Photo by Ingo Stiller on Unsplash

Marc Reynebeau
Auteur⸱e
Maxime Kinique
Traducteur Maxime Kinique

En Flandre, il est encore trop tôt pour parler de l’extrême droite pendant la Seconde Guerre mondiale, écrit Marc Reynebeau. Les politiciens du nord du pays évitent le débat. Mais pourquoi ?

Le mouvement flamand ne rend service à personne en appréhendant les années trente et la période de l’occupation à travers un prisme faussement naïf

Comme dirait (l’auteur, sociologue et professeur émérite, ndt) Luc Huyse, tout passe, sauf le passé. Et si vous enterrez ce passé, il trouvera toujours un moyen pour remonter à la surface, mais d’une manière violente et débridée, avec force rancœurs, frustrations ou protestations. Ce violent retour de flamme peut également prendre la forme d’une violation de sépulture, à l’image de celle d’August Borms en juin à Merksem. En mai, c’est le mausolée (vide, au demeurant) de Staf De Clercq à Gooik qui avait subi les mêmes déprédations. Ce mausolée est situé en un lieu public et beaucoup de passants s’offusquent du commentaire unilatéral et lénifiant dont il est flanqué, œuvre du Voorpost, un mouvement de droite radicale.

Borms et De Clercq étaient deux figures de proue de la collaboration politique sur fond de nationalisme flamand durant la Seconde Guerre mondiale. Tous deux se sont considérablement enrichis à travers cette collaboration avec l’occupant allemand, surtout Borms, qui s’était déjà bien fait connaître dans ce registre pendant la Première Guerre mondiale. Occasionnellement, leurs tombes servent encore de décor à des manifestations de la droite radicale.

Collaboration au régime nazi: les questions primordiales qu’il faut se poser aujourd’hui

Cette tranche d’histoire a beau être bien connue et documentée, cela n’a pas empêché Luc Bungeneers (N-VA), le bourgmestre du district de Merksem, de déclarer que la tombe de Borms « fait partie de l’histoire du nationalisme flamand », tout en admettant qu’il ne connaît pas ce passé : « Comment pourrais-je porter un jugement sur Borms à partir du moment où je ne l’ai pas connu ? » Afin d’éviter de prendre position en tant qu’homme politique, Bungeneers réduit la connaissance historique à un point de vue arbitraire : « Certains le considèrent comme un collaborateur, d’autres voient en lui un héros. » Pourquoi tant de superficialité ? « Parce que beaucoup de personnes, ici, votent pour le Vlaams Belang, et que je ne veux pas engager un bras-de-fer avec ce parti sur ce terrain-là », répond Bungeneers.

« Pour Bart Somers, il était bel et bien possible d’aider Gooik. »

Le député flamand Björn Rzoska (Groen) estime que la commune de Gooik aurait peut-être intérêt à adopter le même genre de procédure que celle édictée à Zedelgem à propos du Bijenkorf, un monument controversé dédié aux soldats SS de Lettonie. La commune a constitué un panel d’experts, qui lui ont conseillé de retirer ce monument de l’espace public. Les édiles locaux se sont exécutés, ce qui a permis le développement d’une vision beaucoup plus large, internationale et nuancée de la commune pendant la guerre.

Mais au Parlement flamand, le ministre du Patrimoine Matthias Diependaele (N-VA) a déclaré qu’il ne pouvait rien faire pour Gooik, une tombe telle que celle de Staf De Clercq ne relevant pas de ses compétences. Maxim Veys (Vooruit) a ensuite interpellé à ce sujet le ministre Bart Somers (Open VLD), compétent aussi bien en matière de déradicalisation que de gestion des monuments controversés. Et pour Somers, il était bel et bien possible d’aider Gooik.

Le sentiment national flamand : un concept flexible à souhait

Fin des discussions politico-politiciennes ? Que nenni, en tout cas pas en commission, où Nadia Sminate (N-VA) allait déclarer que le gouvernement flamand ferait mieux de ne pas se mêler de ce qui se passe à Gooik étant donné qu’il s’agit, à ses yeux, d’un dossier purement local. Veys lui a répondu avec empathie qu’il comprenait parfaitement qu’un parti tel que la N-VA adopte un tel point de vue, mais que la proposition concrète de Somers n’en restait pas moins utile.

Une réaction qui n’allait pas être du goût du président de commission Kris Van Dijck (N-VA), qui a estimé que « l’attitude de Maxim Veys n’était pas correcte, car nous ne soutenons pas la collaboration dans notre parti ». Selon lui, la Flandre appréhende « avec maturité » la question de la collaboration, et ce « au-delà des frontières entre partis ». Circulez, le débat est terminé. Et Van Dijck de se hâter de conclure son intervention : « Nous sommes de nouveau de bons amis dont les regards convergent vers le futur. »

« Là aussi, les débats ne se sont pas vraiment déroulés dans un climat serein. »

C’est aussi l’avis de Koen Van den Heuvel (CD&V). Dans « son » fief de Puurs-Sint-Amands, la rue faisant référence à Cyriel Verschaeve, connu pour avoir collaboré avec l’occupant nazi, a été rebaptisée en 2020, et ce au terme de « discussions au conseil communal menées dans un climat de totale sérénité par tous les partis, du Vlaams Belang à Groen ». Van den Heuvel semble avoir oublié que ces « discussions sereines », qui ont soit dit en passant été menées sur proposition de Groen et non à son initiative en tant que bourgmestre, ont duré des années, et que le Vlaams Belang a in fine voté contre pendant que la N-VA s’abstenait. En 2017 à Lanaken, tant le Vlaams Belang que la N-VA ne sont opposés au projet du bourgmestre Marino Keulen (Open VLD) de remplacer le nom de Verschaeve par celui d’Anne Frank sur tous les panneaux de noms de rue. Là aussi, les débats ne se sont pas vraiment déroulés dans un climat serein.

S’agissant de De Clercq et Borms, le Parlement flamand sait pourtant de quoi il parle. L’an dernier, il a en effet publié une brochure sur son histoire, dans laquelle ce duo a été mis en lumière dans une galerie d’honneur pour « avoir façonné l’émancipation de la langue et du peuple ». Le Parlement ne semble pas réaliser que si cela n’avait tenu qu’à De Clercq et Borms, il n’aurait jamais existé. Sa présidente, Liesbeth Homans (N-VA), a même trouvé « tendancieux » que je l’aie mentionné dans cette chronique.

Pour ses 50 ans, le parlement flamand fait la part belle au flamingantisme

Le mouvement flamand démocratique ne rend service à personne en abordant les années trente et la période de l’occupation à travers un hommage unilatéral ou une naïveté feinte. Une telle attitude revient à méconnaître à quel point la collaboration a nui à la Flandre et à quel point elle jette le discrédit, aujourd’hui encore, sur le flamingantisme – avec toutes les crispations et ambiguïtés qui continuent de polluer les discussions au Parlement flamand. Mais si la sombre page de la collaboration s’est tournée après 1944, on ne peut pas en dire autant de son lit idéologique : l’autoritarisme et le fascisme. Déjà largement répandus avant la guerre, ceux-ci ont continué d’exister à travers un radicalisme de droite belgicain et – sous l’autoritaire monarque Léopold III – royaliste, à travers la résistance, la question royale, l’anticommunisme et le colonialisme.

Début juin, l’historien Emmanuel Gerard (KUL) a attiré l’attention sur cette réalité lors de la présentation d’un livre consacré à Frantz Van Dorpe, qui fut avant la guerre une des figures de proue du mouvement antidémocratique et réactionnaire Verdinaso avant de rejoindre les rangs de la résistance et de devenir, après la guerre, homme d’affaires et bourgmestre (CVP) de Saint-Nicolas.

Il est intéressant d’observer que ce livre s’attèle à minimiser l’antisémitisme de Van Dorpe et du Verdinaso. Frank Judo, qui cumule des casquettes d’auteur, de juriste, d’historien et d’éditeur (conservateur), a même rejeté d’initiative l’étude approfondie à laquelle s’est livré l’historien Dieter­ Vandenbroucke, qui incendie littéralement la manière dont ce thème est traité dans cet ouvrage. Comme si cette tache gênante qu’est l’antisémitisme devait être effacée de ce patrimoine idéologique…

La résistance flamande, une histoire quasi oubliée au nord du pays

Tout cela est très dommageable pour la conscience historique collective. Nico Wouters (Cegesoma) a déjà mis en garde contre certains mythes que le politique entretient de manière opportuniste à propos du passé, aux dépens et au mépris de l’historiographie. Et s’il préfère étouffer un débat sur la collaboration plutôt que d’essayer de faire ressortir la vérité historique, à Merksem, Puurs, Lanaken ou au Parlement flamand, le parti démocratique qu’est la N-VA risque d’instrumentaliser le passé à des fins politiques en légitimant le parti de droite radicale qu’est le Vlaams Belang.

Et ce n’est pas tout, car la manière dont ce thème est traité au niveau local illustre toute la médiocrité qui gangrène la vie politique officielle en Flandre : manque de leadership, opportunisme électoral, refus de prendre la science au sérieux, manque de courage pour dire les choses telles qu’elles sont et d’audace pour prendre des décisions.

Le résultat des courses, c’est que les problèmes restent irrésolus, les vieilles blessures ne guérissent pas et la polarisation politique continue d’étendre son emprise funeste.

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