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Message aux universités flamandes : on n’endigue pas l’extrémisme en lui offrant un forum !
23·11·22

Message aux universités flamandes : on n’endigue pas l’extrémisme en lui offrant un forum !

An Van Raemdonck est membre du centre de recherche sur la culture et le genre de l’université de Gand (UGent). Elle a signé ce texte d’opinion avec une centaine de professeur·es, chercheurs·euses et scientifiques.

Temps de lecture : 3 minutes Crédit photo :

Belga

Maxime Kinique
Traducteur Maxime Kinique

Les allées et venues de Filip Dewinter (Vlaams Belang) dans nos universités ne plaisent pas à tout le monde, et cet émoi est justifié. Par cette lettre, nous voulons amplifier le mouvement de protestation qui vise à ne pas autoriser Dewinter à donner une conférence sur la théorie du grand remplacement dans l’enceinte de notre université.

Nous sommes professeur·es et chercheurs·euses et tenons à nous exprimer formellement à ce titre. Faire de la science nous tient fort à cœur et la réflexion critique est une démarche que nous encourageons en toutes circonstances. C’est précisément la raison pour laquelle nous considérons que c’est notre rôle envers la société de continuer à faire la distinction entre ce qui caractérise la pensée libre et critique et la science, d’une part, et les théories non scientifiques et dangereusement teintées d’idéologie, d’autre part. C’est pourquoi nous voulons continuer de faire la distinction entre stimuler le débat démocratique et l’étouffer. La science en soi n’est pas dénuée de normes ou valeurs, mais part toujours de certaines d’entre elles, comme le cadre de la démocratie. Une société (ou une université) qui se retranche derrière la liberté d’expression n’assume pas ses responsabilités s’il est manifeste aux yeux de tout le monde que ces valeurs sont transgressées.

La coalition « Geen haat en racisme aan de UGent » (« Pas de place pour la haine et le racisme à l’université de Gand », ndt) a déjà expliqué que dans le monde, la théorie du grand remplacement a inspiré des actes terroristes visant la communauté musulmane (DM 10/11). Rik Van de Walle, le recteur de l’UGent, a réagi en disant qu’il n’interviendrait pas tant qu’aucune loi ne serait transgressée (DM 10/11). Nous sommes conscients que d’un point de vue juridique, il n’y a pas beaucoup de leviers qui permettraient de refuser cette invitation au nom d’une association d’étudiants. Mais au-delà de ces aspects technico-juridiques concernant la lutte a priori contre le racisme, ce que nous voulons surtout, c’est parler des priorités sociétales dans le climat politique actuel.

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Une certaine légitimité

La théorie du grand remplacement est une idéologie raciste. Dewinter est libre de continuer de s’exprimer sur le sujet, mais est-il légitime de lui offrir une tribune dans nos universités ? Nous doutons qu’il s’agisse d’une stratégie efficace pour combattre l’extrémisme, relever le défi majeur que constituent les fake news et les théories complotistes et œuvrer à ce que la diversité de la société se reflète dans une université inclusive. Autoriser la conférence de Dewinter va à l’encontre des valeurs que fait siennes l’université dans sa déclaration de non-discrimination. Des études effectuées dans différents pays européens révèlent que les faits de violence à caractère islamophobe augmentent. Les étudiants et étudiantes de confession musulmane dans l’enseignement supérieur se sentent visés et désavantagés.

Autoriser ce discours promouvant la théorie du grand remplacement dans l’espace académique est nuisible, car cela confère une certaine légitimité à une théorie d’extrême droite dépourvue de tout fondement scientifique. L’idée que de méchants immigrés musulmans chercheraient à s’approprier l’Europe circule depuis plusieurs décennies dans les milieux d’extrême droite. Elle est alimentée par une idéologie séculaire qui dépeint les musulmans comme des êtres qui ne sont pas dignes de confiance et qui cherchent à vaincre et convertir les non-musulmans : c’est ce qu’on appelle le prétendu danger de l’islamisation. En Belgique, Dewinter est l’un des principaux propagateurs de cette forme de racisme.

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Le principe de la liberté d’expression est couramment invoqué et éclipse trop souvent d’autres valeurs. On oublie que les droits civiques et politiques sont des idées non pas isolées, mais interconnectées et interdépendantes. Un droit pur et dur à la liberté d’expression manquerait à son objectif démocratique s’il était utilisé pour limiter ou suspendre d’autres droits, comme le droit à l’asile et à la migration. Le droit à la liberté d’expression ne peut exister que grâce à ces autres droits humains. Mieux : la législation limite déjà le droit à la liberté d’expression dans différents domaines sans que cela soit perçu comme un problème. Pourquoi, dès lors, la liberté d’expression devrait-elle être absolue face à un objectif d’endiguement de la haine et du racisme ?

« Nos institutions doivent lutter contre la montée de l’islamophobie »

Le débat, aujourd’hui, ne doit pas porter sur la défense de principes abstraits tels que la liberté d’expression comme si nous vivions dans un vase clos, imperméable à toute influence politique et historique. Les idées de Dewinter s’inscrivent dans un phénomène global de montée de l’islamophobie et de l’extrême droite en Europe et sont de plus en plus communément acceptées, comme s’il s’agissait de propositions raisonnables pouvant être étayées par des arguments scientifiques. Nos institutions scientifiques, écoles et universités en tête, doivent en être conscientes, en prendre acte et agir afin de lutter contre la montée de l’islamophobie en Europe.

Le débat, aujourd’hui, doit se concentrer sur la question de savoir ce que nous pouvons faire, en tant que société, pour endiguer le danger de l’extrême droite, et de l’extrémisme d’une manière plus générale. Une chose est sûre : ce n’est pas en permettant à celles et ceux qui propagent des discours extrémistes de venir s’exprimer dans nos universités que nous parviendrons à contenir ce danger. Nous réitérons dès lors notre appel lancé le 28/5/2021 dans De Wereld Morgen et visant à définir en tant qu’université des priorités sociétales en toute connaissance de cause et à faire le choix d’une université inclusive qui respecte sa déclaration de non-discrimination.

 

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