DaarDaar

Le meilleur de la presse
flamande en français

Les historiens rejettent le canon flamand voulu par la N-VA
04·11·22

Les historiens rejettent le canon flamand voulu par la N-VA

Le canon flamand est une initiative inscrite dans l’accord du gouvernement de Jan Jambon. À l’instar de ce qui se fait aux Pays-Bas, les autorités flamandes veulent créer une liste de références culturelles et historiques pour déterminer ce qui représente la Flandre d’aujourd’hui. Un comité d’experts est chargé d’en déterminer le contenu.

Le canon flamand sera le sujet du cinquième et dernier épisode de Dring Dring, le podcast de DaarDaar qui vous fait découvrir la Flandre à vélo. Vous pourrez écouter cet épisode à partir du 5 décembre. En attendant, écoutez les précédents épisodes qui traitent d’autres grands dossiers qui marquent l’actu en Flandre.

Temps de lecture : 3 minutes Crédit photo :

SISKA GREMMELPREZ (BELGA)

Bart Brinckman
Auteur⸱e
Guilhem Lejeune
Traducteur Guilhem Lejeune

Des historiens flamands publient un pamphlet où ils tirent à boulets rouges sur le canon flamand sur lequel planche actuellement une commission spéciale, qu’ils considèrent comme un retour en arrière de nature à appauvrir la conscience historique.

Lors de sa prise de fonctions, en 2019, le gouvernement flamand avait annoncé son intention d’élaborer un canon flamand, une liste de points d’ancrage qui ont marqué l’histoire de la Flandre. Quiconque est établi ou souhaite s’installer sur le territoire devra les connaître. Ce canon servira non seulement de fil directeur à l’enseignement de l’histoire, mais constituera aussi un volet obligatoire des cours suivi par les nouveaux arrivants désireux de s’intégrer.

La présentation du canon est prévue pour le printemps 2023 (la crise du COVID-19 a entraîné de nombreux reports), mais des historiens flamands ont d’ores et déjà publié un pamphlet aussi fourni qu’accablant à l’égard de l’initiative portée par le ministre de l’Enseignement, Ben Weyts (N-VA). Ses auteurs, Jo Tollebeek (KU Leuven), Marc Boone (Université de Gand) et Karel Van Nieuwenhuyse (KU Leuven), qui n’y vont pas avec le dos de la cuillère, sont soutenus par des historiens de premier plan issus de toutes les universités flamandes.

Le canon flamand : un exercice historique, mais aussi diplomatique

L’idée d’établir un canon trouve son inspiration aux Pays-Bas. Mais il y a une différence de taille entre les deux démarches. Chez nos voisins du nord, ce sont les historiens, inquiets face à la baisse du niveau des jeunes en histoire, qui ont été à l’origine du projet. En Flandre, en revanche, l’initiative vient d’en haut, plus précisément de la N-VA.

Les auteurs dégagent deux motifs justifiant cette entreprise. D’abord, le canon doit servir aux nationalistes flamands de « catalyseur silencieux du combat anti-Belge », l’objectif politique étant de parvenir en douceur à élargir « l’identification à la Flandre » et à miner l’attachement à la Belgique. Ensuite, il doit contribuer à « préserver » la culture flamande de « toute forme de cosmopolitisme ».

Flamandiser les Flamands

Les critiques culturels conservateurs se sont ralliés aux nationalistes flamands. Ils interprètent le canon comme un projet de civilisation censé « restaurer la rigueur là où menace le goût de la facilité ». En tant que « sanctuaire des traditions culturelles », un canon rappelle le souvenir des « testateurs d’antan ». Un point de vue qui établit un lien entre cet instrument et le débat sur la qualité de l’enseignement, une autre grande préoccupation du ministre.

« Ce canon s’apparente à un ‘instrument sorti de la boîte à outils du psychiatre’, à une ‘thérapie libératoire permettant aux Flamands de se décomplexer' »

Dès le départ, les universités flamandes ont exprimé leurs critiques à l’égard d’une idée qui renvoie à l’historiographie nationaliste du XIXe siècle. Ces observations sont désormais compilées au sein d’un volumineux pamphlet de l’Académie royale flamande de Belgique des sciences et des arts, qui considère le canon comme une instrumentalisation politique de l’histoire. Selon les auteurs du pamphlet, le projet de la N-VA est évident : flamandiser les Flamands encore davantage. Le canon doit renforcer le sentiment de fierté des Flamands à l’égard de leur histoire. Le discours sur la grandeur se mue alors subrepticement en un « discours sur la singularité ». Ce canon s’apparente à un « instrument sorti de la boîte à outils du psychiatre », à une « thérapie libératoire permettant aux Flamands de se décomplexer ». Les candidats à l’intégration citoyenne n’ont d’autre choix que de s’engager dans une voie à sens unique. Renfort de la culture dominante, le canon doit « homogénéiser la société ».

Dring Dring #3 : Être Flamand, c’est quoi ?

Certificat d’ancienneté

La méthode ne plaît pas non plus aux historiens. Outil d’historiographie nationale, le canon suscite la méfiance. D’une certaine façon, il procure à la Flandre un « certificat d’ancienneté », il nationalise le passé. Des figures historiques se voient qualifier de « flamandes » alors qu’elles n’appartenaient même pas au comté de Flandre et qu’elles ressentaient encore moins un sentiment d’appartenance à la nation. Cette « vision étroite » fait de l’histoire un projet téléologique dont l’issue est soumise au déterminisme. Elle doit prouver l’existence d’un « génie flamand supra-historique » et ouvrir la voie à l’indépendance.

« Le canon ‘appauvrit la conscience historique’ et marque un retour en arrière. »

Enfin, ce canon suscite toute une série de réserves sur le plan didactique. En raison de sa nature fragmentaire, la valeur ajoutée qu’il présente pour l’enseignement est extrêmement discutable. L’enseignement de l’histoire souffrait autrefois de son approche canonique. De nos jours, la barre est placée plus haut : le cadre de référence va au-delà du territoire sur lequel se trouvent les élèves et de la société dans laquelle ils évoluent. L’accent est mis sur l’enchevêtrement et l’hétérogénéité. Le canon « appauvrit la conscience historique » et marque un retour en arrière.

Pour sa rédaction, Ben Weyts a mis sur pied une commission spéciale dont la composition ne trouve pas grâce aux yeux des auteurs du pamphlet. Les deux seuls historiens, parmi ses neuf membres — le président, Emmanuel Gerard, et Jan Dumolyn —, sont sévèrement critiqués. Nombre d’historiens avaient d’ailleurs poliment décliné l’invitation. Le pamphlet va jusqu’à évoquer une « commission des collaborateurs ».

Peut-on rire du canon flamand ? Deux auteurs ont tenté le coup

Partager :
Mots clés :
© DaarDaar ASBL 2021 - Mentions légales - Vie Privée

Gratuit pour les employés de la Commission Paritaire 200 grâce à notre collaboration avec Cefora!

 Vous constatez un manque de cohésion entre collègues néerlandophones et francophones dans votre entreprise? 

Workshop, teambuilding... Inscrivez-vous aux nouvelles formations bilingues de DaarDaar! 

Si vous versez minimum 40€ en un an, vos dons seront déductibles fiscalement à hauteur de 45%.

Vous avez aimé cet article ? Alors soutenez-nous en devenant Amis de DaarDaar ! 

 

Nous voulons rester accessibles à tout le monde. Mais les traductions de qualité, ça a un coût.