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La propagande russe s’implante solidement en Belgique grâce à Google
07·10·22

La propagande russe s’implante solidement en Belgique grâce à Google

Cet article paru sur le site d’Apache entre dans le cadre de CrossOver , un projet qui analyse les algorithmes des médias sociaux à la recherche de désinformation.

Temps de lecture : 5 minutes Crédit photo :

Capture d’écran

Auteur⸱e
Maxime Kinique
Traducteur Maxime Kinique

Le canal de propagande prorusse Donbass Insider est fortement recommandé à l’internaute belge, ressort-il de notre étude CrossOver, qui contrôle et analyse les algorithmes de recommandation sur les réseaux sociaux. Ce sont surtout les internautes wallon·nes et bruxellois·es que Google oriente vers des sources douteuses à propos de la région du Donbass, contrôlée par les Russes. Donbass Insider est recommandé avec force, ce qui offre une visibilité sur la Toile aux positions et interprétations favorables au Kremlin.

Tapez « Donbass » dans la barre de recherche de Google et vous n’aurez pas longtemps à attendre pour voir apparaître les résultats. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, le plus grand moteur de recherche virtuel au monde vous proposera une liste de termes de recherche recommandés ou en lien avec le mot que vous avez introduit. Google utilise pour ce faire la technique de l’ « autocomplétion », qui permet de vous suggérer les recherches les plus pertinentes pour l’information que vous recherchez. L’autocomplétion est une fonction à l’utilité incontestable, car elle vous aide à taper plus rapidement vos termes de recherche.

Mais au-delà de ce côté pratique, qu’est-ce qui se cache derrière la liste de recommandations de Google ? C’est ce que le projet de recherche CrossOver a cherché à savoir en introduisant des termes de recherche associés à la guerre en Ukraine. Les résultats en lien avec le terme spécifique « Donbass » se révèlent ici particulièrement intéressants. Le Donbass est cette région de l’Est de l’Ukraine contrôlée par la Russie, autour des villes de Donetsk et Louhansk.

Désinformation sur les réseaux sociaux, une fatalité ?

C’est précisément parce que le Donbass est sous contrôle russe que ces résultats sont intéressants, car le terme de recherche « Donbass » est systématiquement complété automatiquement par « Insider » et « Christelle Néant » par Google. Christelle Néant est cette Française qui a créé le canal de propagande prorusse Donbass Insider, qui est fortement recommandé à l’internaute belge depuis le début de la guerre en Ukraine.

Ce sont surtout les internautes wallon·nes et bruxellois·es que Google oriente vers des sources douteuses lorsqu’ils ou elles tapent « Donbass » dans la barre de recherche de Google. Donbass Insider leur est en effet recommandé avec force, ce qui offre une visibilité sur la Toile aux positions et interprétations favorables au Kremlin. En Belgique, mais pas seulement, comme le révèle notre enquête : le constat s’applique à la plupart des pays européens.

Google guère enclin à dévoiler sa ligne politique

Donbass Insider se présente comme un site d’information qui rend compte de l’actualité en Ukraine, en Russie et dans le Donbass. Cette plateforme électronique multilingue prisée d’un public occidental prorusse est considérée par divers experts comme un média faisant la part belle à la désinformation.

D’après EUvsDisinfo, le bureau de la Commission européenne chargé de lutter contre les fausses informations, Donbass Insider traduit principalement des articles publiés en russe sur des médias proches du Kremlin qui se sont forgé une solide réputation en matière de désinformation.

« La matière est publiée plus tard par des plateformes de médias qui entretiennent des relations avec des services de renseignements militaires russes, parmi lesquelles Bonanza Media, UKR Leaks – un projet conduit par un déserteur des services de sécurité ukrainiens – et RIA FAN, qui fait partie de la sinistre usine à trolls de Saint-Pétersbourg », indique EUvsDisinfo.

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La question qui se pose, dès lors, consiste à savoir quelle ligne politique se cache derrière les suggestions de Google dans la barre de recherche. Dans le cas particulier des termes de recherche associés à la guerre en Ukraine, il est plus que discutable qu’un canal de propagande pro-Kremlin reçoive les faveurs de Google Suggest. Quels sont donc les critères qui permettent d’apparaître en haut de la liste des résultats présentés par Google ?

« Nous croyons dans un accès libre à l’information et, par corollaire, nous ne supprimons pas les contenus problématiques. » 

Notre question restera sans réponse car lorsque nous avons contacté Google, nous n’avons guère eu droit à une explication digne de ce nom : les contenus problématiques ne reflètent pas le point de vue de Google, s’est-on borné à nous dire. « Nous croyons dans un accès libre à l’information et, par corollaire, nous ne supprimons pas les contenus de ce genre, sauf si une politique spécifique ou des obligations légales nous y contraignent. »

Des voix occidentales à l’Est

Un nom en particulier est incontournable dans les résultats des recherches que nous avons effectuées : celui de l’activiste médiatique Christelle Néant, la figure de proue de Donbass Insider. Néant a habité onze ans en Belgique. Elle a travaillé jusqu’en 2015 comme webmaster pour une entreprise du secteur IT basée en province de Luxembourg, avant de partir vivre dans le Donbass et de se faire embaucher par Doni, une agence de presse étatique des autorités autoproclamées basée à Donetsk et créée par des activistes ouest-européens de droite radicale, dont le journaliste français Laurent Brayard.

En septembre 2018, Néant a créé Donbass Insider, un site web trilingue alimenté par d’anciens membres de Doni et dont la ligne rédactionnelle est alignée sur la politique de Moscou. Le timing du lancement de Donbass Insider ne relève guère du hasard lorsqu’on sait que le 11 novembre 2018, la république populaire de Donetsk, située à l’intérieur des frontières internationalement reconnues de l’Ukraine, a organisé des « élections générales ».

La souveraineté de la république populaire de Donetsk n’étant pas reconnue par la communauté internationale, ces soi-disant élections ont par conséquent été considérées comme illégales.  Christelle Néant y a cependant participé en qualité d’observatrice électorale internationale. Parmi les autres observateurs de ce « scrutin », citons entre autres Jan Penris du Vlaams Belang et le néonazi Kris Roman, ex-membre du Vlaams Blok et fondateur du groupe de réflexion Euro-Rus, qui aspire à une Europe blanche de « Gibraltar à Vladivostok ».

Une Europe unifiée de Vladivostok à la mer du Nord: le rêve brisé du Vlaams Belang

Entretemps, ce n’est plus un secret pour personne que la Russie cherche à déstabiliser l’Europe en fermant le robinet du gaz, en mobilisant son armée et en manipulant l’information sur Internet.

Les sphères d’influence de l’extrême droite se propagent déjà d’un pays à l’autre. L’autoproclamée république populaire de Donetsk possède ainsi une représentation en France : une « ambassade » illégale à Marseille. À l’origine de ce projet excentrique, on retrouve une ancienne figure du Front National, Hubert Fayard, qui s’est rendu dans le Donbass avec Kris Roman durant l’été 2016.

Ce même Roman a d’ailleurs ouvert lui aussi un prétendu poste diplomatique de la république populaire de Donetsk (DNR). Celui-ci a ouvert ses portes à Termonde en 2019. Sur la page Facebook « Représentant DNR en Belgique », Kris Roman a indiqué le 22 février, c’est-à-dire deux jours avant l’invasion de l’Ukraine, qu’il était encore actif en tant qu’ambassadeur autoproclamé. Il écrit, entre autres, que « DNR Belgique continuera de plaider par des moyens démocratiques pour que l’État belge reconnaisse la république populaire de Donetsk. »

Alimenté par Russia Today

En parlant d’ambassades, l’enquête CrossOver révèle que le compte Twitter de l’ambassade de Russie en France est également un important canal de diffusion des publications de Christelle Néant. C’est surtout sur les pages Facebook francophones soutenant la Russie ou Vladimir Poutine et sur celles acquises à la cause du mouvement protestataire des gilets jaunes que l’impact des publications de Donbass Insider est important.

Ces résultats s’inscrivent dans la lignée de l’analyse de Crossover sur le convoi de la liberté réalisée en début d’année. Cette analyse a montré que les contenus francophones relatifs à ce trajet de protestation vers Bruxelles étaient principalement alimentés par la chaîne de télévision étatique Russia Today.

Quand le régime de Poutine soutient l’extrême droite en Europe

Russia Today est un réseau de télévision multilingue international basé en Russie et qui a été censuré par l’Union européenne en mars de cette année pour cause de désinformation et de manipulation de l’information de la part du Kremlin. L’UE considère dès lors Russia Today comme une « menace directe et sérieuse pour l’ordre public et la sécurité de l’Union ».

Entretemps, ce n’est plus un secret pour personne que la Russie cherche à déstabiliser l’Europe en fermant le robinet du gaz, en mobilisant son armée et en manipulant l’information sur Internet. Le message est sans équivoque : from Russia, with chaos.

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