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Une journée sous le soleil au domaine de Blaarmeersen : bronzette, drague et (rares) échauffourées
12·07·23

Une journée sous le soleil au domaine de Blaarmeersen : bronzette, drague et (rares) échauffourées

Temps de lecture : 5 minutes Crédit photo :

Image par Alexander Fox | PlaNet Fox de Pixabay

Depuis la fermeture d’Océade en 2018, les draris* bruxellois viennent passer du bon temps au domaine de Blaarmeersen, dans la région gantoise. « Il n’y a rien à Molenbeek, et ici on nous regarde un peu de travers. »

« Hier est un pays étranger aux frontières fermées ». Dicton populaire néerlandais. Jusqu’au début du siècle, le domaine récréatif de Gand, le Blaarmeersen, était un monde à part. Les étudiants s’y rendaient pour se détendre en plein blocus, les lève-tard venaient y faire trempette en costume d’Adam après une nuit endiablée aux Gentse Feesten. La côte gantoise était synonyme de liberté, de bonheur et de monokini. Parfois, une bagarre éclatait ou on déplorait une noyade. Mais la plupart du temps, on s’y amusait comme des fous.

Samedi 3 juin. Le drapeau bleu coiffe les chaises de surveillance des maîtres-nageurs. Signe que la baignade est autorisée en toute sécurité et « gage qualité pour les baigneurs et les amateurs de bronzette », confirme Resul Tapmaz (Vooruit), ancien échevin des Sports.

Les jeunes Bruxellois ont-ils encore le droit d’aller se baigner ?

Autrefois, les choses étaient plus chaotiques. À présent, tout est carré et mesuré ; tout est sous contrôle. Ces derniers étés, cependant, ce nouvel ordre a été perturbé par ceux que nous avons désormais coutume d’appeler des « fauteurs de troubles ». Ils viennent de Bruxelles et s’échappent souvent d’un appartement trop étriqué et plein à craquer. À Molenbeek, une famille sur dix vit dans un logement social ; sur les 39.264 habitations, on estime qu’un quart seulement dispose d’un (petit) jardin.

Sofie Bracke (Open VLD), échevine des Sports, mais aussi de l’Économie, du Commerce et des Ports, a justifié l’installation d’une clôture autour du domaine, avec une entrée et une sortie principales : « Une décision qui vise à garantir des après-midis agréables pour tout le monde ». Depuis l’année dernière, les cartes d’identité sont également contrôlées à l’accueil. Les non-résidents doivent désormais s’acquitter d’un droit d’entrée de 5 euros, dont 1 euro d’acompte à payer en ligne. « Placez votre journée sous le signe du plaisir, et évitez les amendes », peut-on lire, en guise de bienvenue, sur un panneau à l’entrée.

« Mon frère » par-ci, « Mon frère » par-là

Le bus 19 de la société De Lijn monte sur le ring de Gand et passe sous un pont affichant la mention « Lots of Amor » taguée sur toute sa longueur. Pourtant, Abderzack et ses amis ne ressentent pas beaucoup de tendresse lorsqu’ils pénètrent en Flandre. « Le bus est suivi de près par une voiture banalisée qui assure la sécurité de la gare de Gand jusqu’à Blaarmeersen », explique Abderzack. Lorsque le bus marque un arrêt, la voiture s’arrête aussi.

Nous sommes encore en début d’après-midi. Les visiteurs arrivent sans encombre. Ce n’est qu’à partir de 15 heures que l’affluence augmente, que la foule devient plus bigarrée et que la plage prend des allures de Tour de Babel. Vers 16 heures, huit policiers en gilet pare-balles se tiennent à l’entrée. Les draris les saluent poliment. Les policiers leur rendent la pareille et se laissent même photographier. « Mais de dos, alors ! », s’esclaffe l’un d’entre eux qui est apparemment déjà un habitué de la presse.

Amza et Abderzack ont parfois l’impression de passer d’une cage à une autre. « Jusqu’en 2018, on allait se changer les idées à Océade », se rappelle le premier. « Mais la piscine a été complétement démantelée pour être déplacée en Roumanie. C’était le seul endroit où on pouvait piquer une tête dans la joie et la bonne humeur. »

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La capitale compte de nombreux espaces verts et le parc Tour & Taxis, qui s’étend de Molenbeek à Laeken, ne manque pas d’attrait. « Mais il n’y a pas d’eau », regrette Abderzack. « Et puis je trouve que c’est un peu sinistre », ajoute-t-il.

Sur la pelouse, les groupes s’agrandissent rapidement. « Mon frère » par-ci, « mon frère » par-là. Les sœurs ne sont pas de la partie. S’ils décident d’unir leurs forces, ces jeunes peuvent causer des ravages. Neuf fois sur dix, il n’en est rien. « On est ici entre amis, on écoute de la musique, on tape la balle, on discute, on nage, on se détend », résume Anas. « Mais quoi qu’on fasse, on ne se sent pas les bienvenus. On n’est pas à l’aise ».

Doigt d’honneur d’une femme en monokini

Il n’empêche qu’Anas n’éprouve aucune sympathie pour les trublions. « Ils sont peu nombreux, mais ils causent du tort à beaucoup de monde ». La semaine dernière, une quarantaine d’entre eux ont pris d’assaut le portail d’entrée. Michael (31 ans) les a laissés faire. « Impossible de freiner une telle bande », explique-t-il. « Ensuite, je suis allé sur la plage et j’ai parlé tranquillement aux gars. À force, on se connaît. Ils peuvent me traiter de tous les noms, j’ai la peau dure ».

Michael est « responsable ambiance » chez Flow. Un poste créé lors des Gentse Feesten. Ses collègues et lui sont en quelque sorte les casques bleus de la ville, eux que l’on reconnait d’ailleurs à leurs chasubles bleues. Ce dimanche, la situation a de nouveau dérapé, sur la plage d’abord, dans les journaux ensuite, avec des titres peu subtils : « Tout à coup, on était tous musulmans », soupire Anas, « Des Arabes. »

« Des gars ont commencé à invectiver une femme en monokini », raconte Michael. « La femme a levé le majeur, et des jeunes de 14 ou 15 ans ont commencé à lui jeter du sable. » Michael est intervenu et a dit aux garçons que les bains de soleil en monokini étaient autorisés ici. S’ils ne voulaient pas voir cela, ils n’avaient qu’à se mettre ailleurs. Ou fermer les yeux. Fin de l’histoire.

Abderzack et ses amis, eux, font tout le contraire. « On plaisante, on drague un peu, c’est tout », lancent-ils en cherchant à croiser le regard de filles qui se retournent un peu plus loin.

De jeunes Bruxellois causent des incidents : « Investissez dans une piscine plutôt que dans la police »

Juliette, Judith, Kato, Elle-Louise, Linda et Federica ne se plaignent pas des Bruxellois. « Les machos de Gand nous sifflent de la même manière ». Ce qui les dérange davantage, c’est que tout est devenu pimpant. Et cher. « Quand on vient de Melle, on paie désormais 5 euros. Même si l’on ne reste qu’une heure. Et cette liste noire (d’émeutiers, ndlr) est elle aussi excessive. D’accord, il y a des gars qui dépassent les bornes. Comme ceux qui avaient attrapé un gros poisson l’été dernier et qui l’ont maltraité en le jetant dans le toboggan. C’est affreux pour l’animal, et pathétique de trouver ça chouette ».

Avant, c’était différent : le domaine n’était même pas grillagé. En sortant, trois garçons nous dépassent à la hâte. Ils vont rater leur bus. Je propose de les déposer. « Et on peut mettre notre musique ? », demande Yassine. Je leur dis qu’ils peuvent. On part du domaine de Blaarmeersen en direction de Bruxelles au son des boum, tchak. « Tu connais ? C’est le Marollien. » Un rappeur bruxellois qui parle de discrimination, des contrôles d’identité et de regards de travers.

Hier, c’était ouvert. Aujourd’hui, c’est fermé. Une cage là-bas, une autre ici, et tout le monde est bien emmerdé. Yassine et Anas se heurtent à un mur. Judith et Kato également. Les autorités, quant à elles, se heurtent au paradoxe de la liberté servile. Et les médias font leurs gros titres. VTM se rend au Blaarmeersen un samedi après-midi, constate qu’il ne s’est rien passé ce jour-là, et le néant s’invite au journal télévisé alors que tout le monde a déjà zappé depuis longtemps. La suite, au prochain épisode.

* Le terme drarrie, également écrit drarie, drerrie provient du berbère. Utilisé par la jeunesse, il signifie un ou une « pote ».


Un an avant des élections qui s’annoncent cruciales pour l’avenir du pays, les présidents de partis flamands se dévoilent dans une série d’interviews inédites pour DaarDaar, dont voici la bande-annonce:

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