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Chute vertigineuse du niveau de lecture en Flandre : il faut agir !
18·05·23

Chute vertigineuse du niveau de lecture en Flandre : il faut agir !

Wouter Duyck est professeur en psychologie cognitive et vice-président de la NVAO, un organisme indépendant d’accréditation des établissements d’enseignement supérieur en Flandre et aux Pays-Bas.

Temps de lecture : 5 minutes Crédit photo :

Photo de frank mckenna sur Unsplash

Auteur
Fabrice Claes
Traducteur Fabrice Claes

Le niveau de lecture des enfants flamands de dix ans est le plus bas d’Europe. Et on n’y fait rien. Wouter Duyck, professeur de psychologie cognitive, appelle à passer à l’action. Il faut mettre fin à toutes les innovations néfastes.

Il était une fois un paquebot qui coulait. Et sur ce paquebot, l’orchestre continuait de jouer. Cet orchestre est devenu le symbole de l’aveuglement face à des problèmes qu’il faut éviter de nier. Aujourd’hui, l’orchestre joue au fond des eaux. Le niveau de lecture des enfants flamands a sombré. Nulle part ailleurs en Europe, les enfants lisent plus mal qu’ici. Et aucun pays n’a coulé plus rapidement.

La cinquième édition de l’enquête Pirls, menée tous les cinq ans, vient d’être publiée. Cette enquête se penche sur le niveau de compréhension à la lecture en quatrième année primaire. Un demi-million d’enfants y participent, dans pas moins de 57 pays. En Flandre, l’enquête a évalué les compétences de près de 7 000 enfants d’environ 200 écoles au printemps 2021.

L’intelligence artificielle, la solution pour booster les compétences en lecture des élèves?

Après l’édition de 2016, j’avais déjà écrit ce billet d’opinion. C’était alors chez nous, en Flandre, que la chute la plus forte avait été observée : il fallait aux enfants de 10 ans une demi-année de plus pour apprendre à lire aussi bien que les enfants de 2006. Une demi-année de retard. Sur pas moins de quatre années d’école primaire, avec des enfants au niveau de développement cérébral identique. C’était déjà hallucinant à l’époque. Et aujourd’hui, qu’observe-t-on ? Nous avons accumulé 4 mois de retard supplémentaires. Les enfants doivent attendre les congés de Pâques de la cinquième primaire pour lire aussi bien que les enfants de 2006 à la fin de la quatrième année. Depuis 2006, aucun pays n’a connu une telle chute. Et il n’y a même plus d’excuses : aucun pays ne fait pire que nous. Les enfants tchèques, bulgares, slovènes et chypriotes lisent mieux que les enfants flamands. Même la France et Malte, moins bien classées que nous il y a cinq ans, nous ont rattrapés.

Des chiffres qui donnent le tournis

Certes, il y a eu la crise sanitaire. Et la plupart des pays ont connu un recul pendant cette période difficile. Mais quasiment personne n’a reculé autant que nous, si ce n’est la Finlande, considérée comme le Valhalla de l’enseignement, et les Pays-Bas. Dans certains pays, comme l’Angleterre ou la France, la crise n’a presque rien changé. Chez nous, le nombre d’élèves qui n’atteignent même pas le niveau le plus bas a doublé en cinq ans (6 pour cent) et a sextuplé depuis 2006. Près d’un élève sur trois n’atteint pas le niveau de lecture nécessaire pour pouvoir s’engager dans la société. Le nombre d’élèves d’un niveau avancé a diminué de plus de 50 pour cent depuis 2006. Le groupe de « bons lecteurs » a presque diminué de moitié depuis cette même année, pour atteindre 29 pour cent.

Ces chiffres ont de quoi donner le tournis. Les liens de causalité sont connus. Parmi les principaux facteurs de risque, nous retrouvons la différence entre la langue parlée à la maison et celle parlée à l’école. Les élèves touchés par ce risque (48 % des élèves) sont bien plus nombreux que partout ailleurs. Mais ce n’est pas tout. Et je dirais même plus : ce n’est même pas la cause principale. En effet, la régression s’observe chez tous les enfants. Une lecture régulière aide à l’apprentissage. Je n’apprends rien à personne : c’est en forgeant qu’on devient forgeron. Peut-être même que les mauvais résultats de l’étude ne surprennent personne non plus. Quand un navire se heurte à un iceberg, il coule. Et depuis le temps qu’on crie au secours…

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Zéro plan

Ce qui enrage encore davantage ? C’est que l’orchestre continue de jouer sous l’eau. On a atteint le fond de l’océan, mais les signaux d’alarme successifs de ces dernières années n’ont rien changé de significatif à notre enseignement. Nous faisons ce qu’on a toujours fait, et nous espérons des miracles. C’est grotesque. Où en est le fameux plan d’action sur la compréhension à la lecture ? Et les plans de sauvetage en math ou en français ? Les a-t-on seulement jamais mis en place ? Demandez aux professeurs de vos enfants : ils ont la réponse. Surfez sur les sites des pouvoirs organisateurs. Il n’y a tout simplement aucun plan. Nous suivons le même cap depuis des années, de plus en plus persuadés d’approcher de la destination. Avec les mêmes innovations pédagogiques qui mènent les enseignants au désespoir, avec les mêmes méthodes modernes qu’il y a trente ans. Et lorsqu’elles ont démontré toute l’étendue de leur inefficacité, on en conclut qu’il faut garder le cap, mais avec plus de détermination encore.

« Plus l’enseignement se charge d’éducation et de bien-être, plus l’instruction devient le passe-temps des parents. »

Aussi, on oublie de plus en plus souvent que l’école est avant tout un lieu d’apprentissage : on consacre de moins en moins de temps à la lecture et aux compétences cognitives de base. L’école doit traiter de tous les problèmes sociétaux, mais on n’y enseigne plus à compter ni à lire. Plus l’enseignement se charge d’éducation et de bien-être, plus l’instruction devient le passe-temps des parents. La mobilité sociale s’en retrouve particulièrement déforcée. Quant aux enseignants qui voulaient donner cours, ils ont rendu leur tablier. Lors de la publication des résultats de l’enquête Pirls il y a cinq ans, un journal a titré : « Du moment que nos enfants sont heureux ». Comme si l’illettrisme rendait heureux. L’épidémie de troubles psychologiques chez nos jeunes n’est pas une raison d’apprendre moins, mais bien d’apprendre plus. Le développement cognitif est essentiel pour la résilience mentale.

Toute compétence entraîne une responsabilité

Une fois de plus, l’école pointera du doigt le politique. En matière d’enseignement, le politique doit toujours attendre une dizaine d’années pour récolter les fruits de ce qu’il a semé. De même, les dégâts d’aujourd’hui sont le résultat des tempêtes d’hier. Difficile, donc, de reprocher au ministre actuel de ne pas accorder suffisamment d’importance aux langues ni au néerlandais. Au cours de la présente législature, la Flandre a vu naître le screening linguistique avec le test « koala », l’excellente « Offensive lecture », les « Tests flamands » qui se concentrent également sur le néerlandais et la fondation « Leerpunt », qui vise à mettre en pratique en classe des réflexions didactiques étayées par la science. Toutes ces initiatives sont excellentes.

Mais où se fait l’enseignement ? En classe. Par qui ? Par les enseignants. Avec des livres. La Flandre connaît une liberté exceptionnelle en matière d’enseignement. Les acteurs de l’enseignement jouissent d’une liberté quasi illimitée pour dépenser un tiers des impôts du contribuable flamand. Une liberté telle que même notre parlement s’est fait recaler par la Cour constitutionnelle lorsqu’il a voulu imposer un niveau d’exigence minimum. Il est temps que cette liberté serve avant tout aux destinataires prévus par la Constitution : les parents et les enfants. La liberté d’un enseignement qui n’apprend pas à lire aux enfants n’est pas une liberté. Ni un enseignement, d’ailleurs. On ne peut pas être compétent pour tout, mais responsable de rien. L’enseignement ne se fait pas au parlement, mais en classe. Qu’on y fasse quelque chose. Je me suis retenu d’écrire « nom de Dieu » à la fin de cette dernière phrase. Le bien-être et le bonheur de nos enfants se dégradent. Le reste du monde, lui, continue de naviguer tranquillement. Il ne s’arrêtera probablement pas pour se demander d’où viennent les bulles à la surface de l’océan. Mais nous, nous avons la réponse : d’une trompette qui continue de jouer la même mélodie au fond des eaux.

De nombreux élèves flamands n’obtiennent pas le minimum requis en math

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