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Chômage, monolinguisme, routes trouées : Alain Gerlache s’est penché sur les clichés sur la Wallonie
04·10·23

Chômage, monolinguisme, routes trouées : Alain Gerlache s’est penché sur les clichés sur la Wallonie

Temps de lecture : 6 minutes Crédit photo :

D.R.

Auteur⸱e
Fabrice Claes
Traducteur Fabrice Claes

Ils ne parlent quasiment pas le néerlandais, ils préfèrent la paresse à la fatigue et partent en grève pour un rien. Les clichés sur les Wallons sont légion. À telle enseigne qu’Alain Gerlache, journaliste, a consacré un ouvrage en néerlandais à ce sujet : Het verhaal van Wallonië. Le récit de la Wallonie. Il y plaide pour davantage de respect mutuel, mais sans complaisance pour sa partie du pays : « Mes amis flamands s’étonnent de nos bus sans air conditionné. »

« Ils ne parlent quasiment pas néerlandais »

Élevé dans une famille « cent pour cent francophone » de la classe moyenne, le journaliste Alain Gerlache vit actuellement à Liège. Pourtant, il est parfaitement bilingue. « Je suis né à Bruxelles, mais j’ai grandi à Wavre, non loin de la frontière linguistique. Mes parents ne parlaient pas le moindre mot de néerlandais, mais dans ma classe, il y avait quelques garçons flamands envoyés par leurs parents apprendre le français à l’école secondaire francophone. J’ai directement cherché à nouer le contact avec ces garçons, contrairement au reste des francophones. J’ai aussi eu la chance de tomber sur un excellent professeur de néerlandais, un Flamand prénommé Frans (rires), pendant cinq ans. J’ai aussi fait mes études à Louvain, comme cela se faisait quand on vivait à Wavre. Il faut savoir qu’à l’époque, l’université – francophone – n’avait pas encore déménagé à Louvain-la-Neuve. Puis, mon premier amour de vacances fut un Néerlandais de 23 ans, originaire de Groningue. L’histoire n’avait pas duré longtemps, mais le contact, aussi court fût-il, fut si intense que j’ai attrapé son accent. (rires) Ma jeunesse témoigne du fait que la langue, c’est bien plus que l’apprentissage de mots de vocabulaire et règles de grammaire. Il faut avant tout la stimuler comme un moyen d’entrer en contact avec d’autres personnes. »

Dès 2027-2028, l’apprentissage d’une autre langue nationale (néerlandais ou allemand) sera obligatoire dès la troisième année en Wallonie. C’est une bonne chose, estime Alain Gerlache. « Cependant, cette décision ne s’appliquera pas sans peine. Et je ne parle pas uniquement de la motivation des élèves, qui utilisent de plus en plus l’anglais, entre autres sur les réseaux sociaux. Nous constatons aujourd’hui déjà une pénurie de professeurs de néerlandais. Et pourtant, malgré la progression de l’anglais, j’ai l’impression que le néerlandais ne régresse pas en Wallonie alors que son apprentissage n’est pas obligatoire. De plus en plus de monde prend conscience de l’importance du néerlandais, avec de grandes variations toutefois : dans le Brabant wallon, près de septante pour cent des élèves apprennent le néerlandais, contre onze pour cent à peine dans la province du Luxembourg. C’est justement pour cette raison que les contacts entre les deux communautés linguistiques sont si importants. »

« L’extrême droite ne décolle pas en Wallonie »

« Dans notre pays, il y a beaucoup d’efforts à fournir autour du cordon sanitaire, ce principe d’exclusion de l’extrême droite. On dit que dans l’application de ce principe, les divergences sont énormes entre la Flandre et la Wallonie. Il est vrai qu’aucun parti francophone ne souhaite former une coalition avec le Vlaams Belang, mais à l’heure actuelle, je ne vois pas non plus de parti flamand qui le souhaiterait. Certaines personnalités politiques en Flandre disent s’opposer au principe même de cordon sanitaire, mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils dirigent effectivement des majorités avec le VB. En Wallonie, le cordon sanitaire n’est pas que politique. Les médias aussi excluent l’extrême droite. Les médias flamands ne le font pas, mais ici aussi, les différences ne sont pas aussi importantes qu’on ne pourrait le penser. Le cordon médiatique francophone ne vaut que pour les émissions en direct : les représentants de l’extrême droite ne sont pas invités à s’exprimer en direct, car il est impossible de contrôler ce qu’ils disent. Mais il ne serait pas exact de dire qu’on ne voit jamais Tom Van Grieken ou Gerolf Annemans à la RTBF.

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La rigidité du cordon francophone, y compris le cordon médiatique, a assurément eu une incidence sur la faible apparition de partis de droite radicale. Les responsables de ces partis ne se font donc pas connaître par le grand public, mais de toute façon, en raison de divergences d’opinions en interne, ils n’arrivent pas à fonder un parti digne de ce nom. Le parti d’extrême droite Chez Nous sait utiliser les réseaux sociaux, mais la grande question reste de savoir s’il réussira, en 2024, à obtenir un siège dans les provinces de Liège et du Hainaut. Ce n’est pas impensable, car à certains endroits, la droite radicale et l’extrême droite ont obtenu de huit à dix pour cent aux dernières élections. L’extrême droite rencontre toujours une forte opposition de la part de l’extrême gauche et des syndicats en Wallonie, mais je vois bien que le parti Chez Nous joue bien son jeu et se profile comme parti anti-woke, notamment en s’opposant au changement des noms des congés et en voulant garder des vacances de Pâques ou de Toussaint, et en dénonçant la diabolisation de la voiture. On en oublierait presque qu’ils sont d’extrême droite, et leur message peut faire mouche. »

« Ils ne veulent pas travailler et font grève pour un rien »

En Flandre, 76,6 pour cent des 20 à 64 ans ont un emploi. Ils sont 64,3 pour cent en Wallonie. Et parmi tous les bénéficiaires du revenu d’intégration sociale, 46 pour cent vivent en Wallonie, ce qui a fait dire à au président du MR, Georges-Louis Bouchez, que « de nombreuses communes socialistes organisent des congés à vie. » Selon Alain Gerlache, porte-parole du Premier ministre Guy Verhofstadt de 1999 à 2003, certaines personnes profitent à coup sûr du système : « À certains endroits, en Wallonie, le chômage est davantage une règle qu’une exception : il règne parfois une sorte de fatalisme, et la pression pour trouver un emploi est moindre. Ce phénomène s’explique évidemment par la moins bonne santé économique de la Wallonie par rapport à la Flandre. Au dix-neuvième siècle et au début du vingtième, la Wallonie a connu une forte prospérité grâce à l’industrie lourde, mais elle n’a pas réussi sa transition vers un nouveau modèle économique. La défiance envers les entrepreneurs y est encore présente, en partie en raison du poids de la gauche radicale. Mais on ne peut pas indéfiniment pointer du doigt les employeurs parce qu’ils seraient tous des capitalistes. Les employeurs donnent du travail, attirent les investissements et donnent de l’oxygène. La région a connu quelques belles réussites économiques, mais on ne peut pas encore parler de basculement total. Le long des autoroutes wallonnes, on peut lire, sur des panneaux : « Wallonie, terre d’accueil. » Il est permis de se demander si ce slogan vaut aussi pour les entreprises. »

Alain Gerlache ne nie pas que la Wallonie a tendance à partir en grève plus vite et plus fort. « Cette tradition s’explique notamment par l’influence de la France, où la contestation sociale prend des formes très radicales. Il faut dire aussi que quand un site wallon de Delhaize ferme, les employés ont moins de chances de retrouver un travail qu’en Flandre. Par conséquent, les travailleurs se battront davantage pour leur emploi. Ai-je déjà fait la grève moi-même ? J’ai été enseignant à une époque, donc oui. Quand je travaillais à la RTBF aussi (Alain Gerlache a été directeur de la télévision de la RTBF en 2003, NDLR). Mais j’ai l’impression que de ce côté-là, il fait désormais plus calme qu’à la VRT. » (rires)

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« L’état des autoroutes est déplorable »

Si vous prenez la voiture pour partir vers le sud, vous l’aurez sûrement déjà remarqué : en Wallonie, ça fait des décennies qu’on ne rebouche plus les trous dans les autoroutes. « C’est évidemment dû au fait que nous sommes plus pauvres. La Région wallonne dispose de moins de moyens, c’est évident. L’été dernier, j’ai accueilli chez moi, à Liège, quelques amis flamands. Après leur visite, ils ont pris le bus vers la gare et ils m’ont envoyé un message : « Il fait étouffant. Ils n’ont pas l’air conditionné dans vos bus ? » Eh bien, non : à peine un tiers des bus sont climatisés ici. Et les exemples similaires sont légion. L’économie wallonne doit simplement faire mieux. Non pour prouver à la Flandre qu’elle est capable elle aussi de s’en sortir, mais avant tout pour sa propre population. La Wallonie en est à son troisième plan de relance. Pour planifier, nous sommes très forts, mais pour appliquer, c’est une autre paire de manches. »

La Wallonie doit également faire face à une dette astronomique, qui, proportionnellement, est cinq fois plus élevée que celle de la Flandre. D’ici 2030, la dette publique devrait s’élever à cinquante milliards d’euros. Il convient donc certainement de se demander si le gouvernement est encore à même de redresser la situation. Le banquier maison, Belfius, a décidé de baisser de moitié le plafond des crédits pour la Wallonie d’ici octobre 2024. « La Wallonie doit vraiment en finir avec cette vieille vision de la gestion des deniers publics. Une vision que l’ancien ministre PS Guy Mathot avait illustrée à merveille face au Parlement en disant que la dette publique était apparue toute seule, et qu’elle allait disparaître de la même manière. (rires) Je ne peux pas m’empêcher de penser que dans la Wallonie actuelle, certains politiques pensent encore de la sorte. Bien entendu, on peut accorder la priorité au social par rapport au financier, mais à la longue, ce n’est pas tenable. Il faut bien payer l’addition un jour ou l’autre. »

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