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Une francophone nommée secrétaire d’État pour un parti flamand : du surréalisme à la belge
22·11·22

Une francophone nommée secrétaire d’État pour un parti flamand : du surréalisme à la belge

Dave Sinardet est professeur de science politique à la Vrije Universiteit Brussel (VUB) et à l’Université Saint-Louis Bruxelles. Il écrit une chronique bimensuelle pour De Morgen.

Temps de lecture : 4 minutes
Dave Sinardet
Auteur⸱e
Guilhem Lejeune
Traducteur Guilhem Lejeune

De l’étonnement, de la confusion et même de l’indignation : voilà les sentiments qu’a suscités, de part et d’autre de la frontière linguistique, la toute récente nomination, au poste de secrétaire d’État au Budget, d’Alexia Bertrand, passée du MR à l’Open Vld. Une francophone désignée secrétaire d’État pour un parti flamand : on aura tout vu !

Cela étant, on peut tout aussi bien considérer Alexia Bertrand comme une Flamande d’abord élue députée pour un parti francophone. Pour la fille du président d’une holding anversoise, née à Wilrijk, ce choix était, à l’époque, peut-être plus surprenant que le basculement qu’elle a opéré ce week-end.

Mais si l’on arrête de regarder la situation à travers un prisme linguistique binaire, on se retrouve face à une responsable politique qui ne rentre pas simplement dans l’une ou l’autre des cases. Les institutions belges continueront pourtant inéluctablement à l’y enfermer, créant de ce fait des situations éminemment surréalistes.

Le budget de la Belgique dérape et fâche les libéraux

Ainsi, l’identité linguistique d’Alexia Bertrand mute en fonction du niveau qu’elle occupe. Supposons, par exemple, qu’elle doive démissionner de son poste de secrétaire d’État : elle passerait alors, comme par enchantement, du statut de membre néerlandophone du gouvernement fédéral à celui de membre francophone de l’opposition bruxelloise. Au Parlement bruxellois, elle ne peut en effet pas changer de groupe linguistique. Et comme l’Open Vld y siège dans la majorité, mais pas le MR, Bertrand devrait, sur le plan formel, s’opposer à ses camarades de parti.

Mieux encore : jamais au grand jamais ne pourra-t-elle jouer le moindre rôle pour les libéraux flamands au sein du parlement régional. C’est que ses membres peuvent changer de couleur politique autant qu’ils le souhaitent, mais ils sont obligés de rester attachés à vie au même groupe linguistique. Quadrilingue et membre d’une richissime famille d’entrepreneurs anversois, Alexia Bertrand est donc autorisée à rejoindre les rangs des marxistes du PTB, mais pas de ses coreligionnaires libéraux de l’Open Vld.

Au niveau fédéral, le système est moins rigide, mais il n’est pas pensé pour les nomades linguistiques non plus. En fait, Alexia Bertrand peut s’estimer heureuse de n’avoir été nommée « que » secrétaire d’État, et non ministre, car elle aurait alors été confrontée aux problèmes liés à l’obligation de parité linguistique au sein du gouvernement fédéral. Même si sa nomination ne pourrait pas être annulée sur le plan juridique, il est difficile, du point de vue politique, d’expliquer qu’une personne issue du groupe francophone de Bruxelles puisse compter sans problème comme ministre néerlandophone. En tant que secrétaire d’État, Alexia Bertrand évolue actuellement dans un no man’s land linguistique.

Mais un peu de patience : à l’issue des prochaines élections, elle sera aussi marquée d’une estampille linguistique indélébile au niveau fédéral. Si elle serait élue par exemple dans la circonscription d’Anvers ou du Brabant flamand, elle sera automatiquement rattachée au groupe néerlandophone — même dans le scénario fictif où elle figurerait sur une liste exclusivement francophone. Et de fait, un Limbourgeois du PVDA siège actuellement dans le groupe francophone parce qu’il s’est présenté sur une liste liégeoise.

Il est cependant plus probable qu’Alexia Bertrand se présente dans la circonscription bruxelloise pour la Chambre. Ces députés peuvent choisir leur groupe linguistique. Mais pour parvenir à être élue en tant que « néerlandophone » dans la capitale, elle devra figurer sur… une liste francophone.

Lorsqu’ils font cavalier seul, les partis flamands restent immanquablement sous le seuil électoral dans la circonscription de Bruxelles. En 2019, l’Open Vld n’y a recueilli que 2,3 % des voix. La seule façon de se faire élire, pour les candidats flamands, consiste à se présenter sur une liste commune, aux côtés de leurs homologues francophones. Ce rapprochement entre flamands et francophones à Bruexlles est la conséquence paradoxale de la scission de BHV, pourtant voulue par les nationalistes flamands. C’était la seule facon pour Tinne Van der Straeten de se faire élire en 2019. En 2024, Alexia Bertrand peut donc briguer les suffrages sous la bannière de l’Open Vld, en figurant sur la même liste que le MR — pour ensuite intégrer le groupe néerlandophone afin de redevenir ministre Open Vld. Mais quand bien même, elle resterait toujours cataloguée comme francophone dans la sphère politique de la région bruxelloise.

J’espère que vous pouvez encore suivre. Il en faudrait moins que ça pour provoquer une crise identitaire chez certains responsables politiques. Ou est-ce plutôt notre système politique qui s’emmêle les pinceaux en étant bâti sur le fondement inébranlable d’une catégorisation linguistique binaire, alors que l’époque est à la fluidité des identités ?

Qu’ils s’y sentent à l’aise ou non, les responsables politiques fédéraux et bruxellois sont systématiquement contraints de se ranger dans une des deux cases.

Et à la région Bruxelloise, ils n’en ressortent même plus jamais. Historiquement pensé pour permettre de protéger la présence des Flamands à Bruxelles, ce système rigide cadre de moins en moins avec la sociologie d’une ville-région marquée par son multilinguisme et sa diversité. Si un Bruxellois polyglotte se présente, à vingt ans, aux élections du Parlement régional sur une certaine liste, ce choix l’empêchera, même à quatre-vingts ans, de s’engager activement pour des partis relevant de l’autre groupe linguistique, peu importe la manière dont la société et sa vision là-dessus auront évolué.

En 2019, la Cour constitutionnelle stipulait qu’on ne pouvait plus forcer les citoyens à choisir entre « homme » et « femme ». Il faut respecter les personnes avec une identité de genre non-binaires.
Peut-être faudrait-il également, pour les politiques sans identité linguistique binaire, prévoir une case « X », en plus de « N » et « F ».

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