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Qui est Nadia Naji, la co-présidente de Groen qui ne voulait pas juste « rester une bougnoule »?
29·05·23

Qui est Nadia Naji, la co-présidente de Groen qui ne voulait pas juste « rester une bougnoule »?

Un an avant des élections qui s’annoncent cruciales pour l’avenir du pays, DaarDaar part à la rencontre des présidents de partis flamands. Qui se cache derrière l’homme ou la femme politique? Comment sont-ils arrivés en politique ? Comment voient-ils l’avenir du pays ?

Après Sammy Madhi la semaine dernière, nous poursuivons notre série de portraits avec Nadia Naji, co-présidente de Groen depuis le 11 juin 2022. Au programme: une biographie publiée le lundi, ainsi qu’une interview inédite diffusée le mercredi.

[Projet soutenu par le Fonds pour le journalisme]

Temps de lecture : 6 minutes
Aubry Touriel
Auteur

Du mépris de ses professeurs à l’incertitude financière au sein de sa famille, Nadia Naji a connu beaucoup d’obstacles tout au long de sa vie. Cela ne l’a pas empêchée de devenir la seule femme présidente d’un parti flamand, à l’âge de 30 ans. Portrait de cette fille d’immigrés qui ne voulait pas “juste rester une bougnoule”.

Fille d’un ouvrier marocain et d’une mère au foyer algérienne, Nadia Naji a grandi à Beersel, en périphérie flamande, entourée de son frère et de sa sœur. Ses origines ont toujours été synonymes d’obstacles durant sa jeunesse. « J’ai été à l’école à Hal où je n’ai pas eu un parcours scolaire toujours facile. Il y avait des hauts et des bas, mais c’était surtout un parcours où on n’a jamais cru en mes compétences. J’ai un peu le parcours classique des personnes d’origines étrangères : j’ai commencé en latin et j’ai terminé en technique. »

« J’ai commencé en latin et j’ai terminé en technique, le parcours classique des personnes d’origine étrangère »

Ses enseignants ne croyaient donc généralement pas en elle. Pourtant, Nadia Naji ne se sentait pas vraiment à sa place dans l’enseignement technique : « Dès que mes points n’étaient pas très bons, les professeurs disaient : « ça ne fonctionnera pas, elle ne réussira pas ». Si j’avais suivi leur avis, je n’aurais jamais étudié la communication à l’université et je ne serais pas là où j’en suis aujourd’hui. »

Certains enseignants ont néanmoins cru en ses capacités : « Ma prof d’histoire en cinquième était la première à me dire que j’allais finir en politique. Elle, elle l’avait déjà perçu. C’était parce que j’arrivais toujours à me sortir de situations difficiles. »

Élevée dans la pauvreté

Avec un père ouvrier et une mère au foyer, les revenus dans la famille Naji étaient limités. Dès l’âge de 16 ans, Nadia Naji commence donc à travailler dans un supermarché Delhaize à Anderlecht. Un job étudiant qu’elle gardera jusqu’à la fin de ses études à l’université. « J’ai adoré travailler là : j’aime parler aux gens. À la fin de mes études, je travaillais 25 heures par semaine en plus des études universitaires à plein temps. C’était intense, mais ça m’a formée. »

« J’ai été confrontée assez rapidement à la pauvreté, que ce soit les problèmes financiers à la maison, mais aussi les scènes de vie quotidiennes au supermarché. »

Cette expérience semble l’avoir marquée : « Je comprends très bien ce qu’est la pauvreté parce que j’ai vu des gens me dire « quand on arrive à 10 €, arrêtez de pointer » et ils appelaient quelqu’un pour reprendre les dernières courses qui restaient. J’ai été confrontée assez rapidement à la pauvreté, que ce soit les problèmes financiers à la maison, mais aussi les scènes de vie quotidiennes au supermarché. »

Le partage, une valeur essentielle

Dans la famille Naji, la valeur du partage est primordiale : « Je n’ai pas grandi avec beaucoup de moyens financiers, mais le partage était vraiment essentiel. Si des copains ou copines de classe venaient à la maison, ils mangeaient d’office avec nous. La question ne se posait même pas. » 

Nadia Naji souligne ne pas être croyante, mais cela ne l’empêche pas d’apprécier certaines des valeurs transmises par sa famille musulmane. : « Le partage, c‘est aussi une valeur musulmane que mes parents m’ont inculquée via leur religion. J’essaie de la garder parce que je trouve ça vraiment très important. »

Nadia Naji, l’incarnation de « la Flamande qui travaille dur » ?

Entre ses études et son job au supermarché, Nadia Naji n’avait pas le temps d’avoir de hobbys. Une fois cette période passée, elle s’est retrouvée étonnamment heureuse de commencer à travailler à plein temps. « J’avais enfin mes week-ends de libre. Pendant sept ans, je n’ai pas eu un seul weekend à moi car je devais travailler. Les seuls week-ends que j’avais, je les passais à étudier pour mes examens. J’étais à la limite du burnout quand j’ai dû commencer à vraiment travailler à plein temps. Pour moi, c’était un luxe d’avoir congé samedi et dimanche. Je ne comprenais pas les gens qui se plaignaient de commencer à travailler. »

« Pour moi, c’était un luxe d’avoir congé samedi et dimanche. »

Nadia Naji, le symbole de la « Hard werkende Vlaming », la Flamande qui travaille dur ? « D’abord il faut savoir si je suis Flamande… C’est toujours une question identitaire. Je pense que oui, mais je suis aussi Bruxelloise et francophone. »

Accepter ses identités

La question de son identité l’a taraudée durant toute sa jeunesse : Nadia Naji  n’arrivait pas à accepter certaines facettes de son identité et voulait à tout prix s’assimiler. « En plus de la culture francophone, j’ai une autre couleur de peau et mes cheveux sont différents. J’ai connu énormément de difficultés à l’école, avec mes copains de classe qui m’embêtaient beaucoup en raison de ma couleur de peau. »

Pourtant le sujet semblait rester tabou à la maison, et n’était donc que rarement abordé.. « J‘ai toujours essayé de ne pas accepter cette partie de moi et de juste m’assimiler, de montrer que je n’étais pas comme les autres Marocains en fait. »

« Mon père me disait toujours : « En fin de compte, tu resteras toujours une bougnoule. » 

En y repensant, certaines paroles de son père dans sa jeunesse l’attristent : « Mon père me disait toujours ‘Que tu le veuilles ou non, tu es différente et en fin de compte, tu resteras toujours une bougnoule.’ »

Nadia Naji a pourtant décidé de ne pas rester coincée dans le même carcan que ses parents : « Jamais de la vie je n’accepterai ça. Je me bats justement pour que d’autres générations ne restent pas juste des ‘bougnoules’. Personne n’a à me dire si on m’accepte ou pas, c’est moi qui dis que je m’accepte. »

Le végétarisme, son premier acte politique

À huit ans, elle pose son premier acte politique : devenir végétarienne. Chez les Naji, on ne mangeait pas de la viande tous les jours, mais principalement pour des raisons financières. À force de persuasion, elle est parvenue à convaincre ses parents d’accepter qu’elle devienne végétarienne.

« Mes premiers actes politiques n’étaient pas via le parti. Le parti est un moyen  de faire de la politique, pas un but en soi. Mon objectif final, c’est de changer la société. Aujourd’hui, je le fais via le parti Groen. Mais je l’ai déjà fait étant beaucoup plus jeune, en disant à mes parents que j’arrêtais de manger de la viande parce que je trouvais que ce n’était pas la façon la plus éthique de vivre. En réalité, il existe beaucoup de moyens de faire de la politique. »

De consultante à cabinettard en passant par journaliste

Après ses études en communication, Nadia Naji se lance dans une boîte de consultance pour grandes entreprises. « J’ai beaucoup appris pendant ces trois années et le métier était créatif, mais il me manquait cet aspect de plus-value pour la société. Après trois ans, je me suis demandée : qu’est-ce que je fais ici ? »

Nadia Naji devient ensuite journaliste pour le média néerlandophone bruxellois Bruzz. « En trois ans, j’ai appris à connaître chaque commune de Bruxelles. J’ai discuté avec plein de gens, que ce soit dans le monde culturel ou politique, j’abordais aussi la question de l’asile et de l’immigration par exemple. »

« Mes professeurs pensaient que je n’étais pas capable d’étudier la communication. Maintenant, je peux dire que j’ai donné cours dans ce domaine-là. »

Après un bref passage à l’ULB, Nadia Naji fait ses premiers pas en politique comme assistante parlementaire au Parlement bruxellois pour Groen. En parallèle, elle est aussi professeure de communication dans la haute-école Erasmus Hogeschool à Bruxelles.

Cette expérience a eu une forte symbolique pour l’écologiste : « Mes professeurs pensaient que je n’étais pas capable d’étudier la communication. Maintenant, je peux dire que j’ai donné cours dans ce domaine-là à d’autres étudiants en les encourageant à faire justement ce que moi aussi j’ai pu faire. »

La seule femme présidente d’un parti flamand

En avril 2022, elle rejoint le cabinet de la ministre bruxelloise de la Mobilité Elke Van den Brandt. Elle n’y restera pas longtemps. Un mois après son entrée en fonction, elle se lance dans la campagne pour la présidence de Groen, en binôme avec le député flamand Jeremie Vaneeckhout. Lui incarne le rural de Flandre occidentale, et elle la citadine multiculturelle de Bruxelles.

Kristof Calvo, Bjorn Roska, Wouter De Vriendt… les personnalités fortes du parti n’ont pas tenté leur chance. « On se posait plein de questions : qui va se porter candidat chez Groen ? Dans les journaux, il n’y avait aucun nom de femme. On ne s’est même pas posé la question de savoir si des femmes pouvaient postuler.  C’était très frappant de ne pas avoir de femmes. Je me suis alors dit, après tout, peut-être que je peux être la solution et offrir une alternative. »

Les propos de Conner Rousseau sur Molenbeek ont été pour elle la goutte qui a fait déborder le vase : « Conner Rousseau ne se sent pas en Belgique à Molenbeek parce qu’il voit des gens comme moi ou ma sœur, ma mère ou mon père à Molenbeek. Ses propos sont totalement inacceptables. En plus, ils viennent d’un président de parti progressiste ou qui est censé être progressiste. J’ai vraiment ressenti à ce moment-là cette envie d’agir et de me présenter candidate pour la présidence de Groen. C‘était une nécessité de m’exprimer pour Molenbeek, de m’exprimer pour moi, pour ma sœur, pour mes voisins. »

Le 11 juin 2022, le duo Naji/Van Eeckhout est élu au premier tour (avec 57% des voix) et succède ainsi à Meyrem Almaci.


Retrouvez l’interview de Nadia Naji ce mercredi 31 mai sur DaarDaar.

Ne ratez aucun épisode de cette série:

Sammy Mahdi (CD&V): semaine du 22 mai

Nadia Naji (Groen): semaine du 29 mai

Egbert Lachaert (Open Vld): semaine du 5 juin

Raoul Hedebouw (PTB/PVDA): semaine du 12 juin

Tom Van Grieken (Vlaams Belang): semaine du 19 juin

Conner Rousseau (Vooruit): semaine du 26 juin

Bart De Wever* (N-VA): semaine du 3 juillet

* Bart De Wever a refusé de participer à notre série d’interviews, mais une biographie et un article bonus paraîtront aussi sur le président de la N-VA.

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