Joke Schauvliege était en pleurs lorsqu’elle annonça mardi sa démission de son poste de ministre. Au début de cette année, Philippe De Backer (Open Vld) fut tout aussi incapable de les retenir lorsqu’il fit ses adieux à la politique. Avant lui, Patrick Janssens (ex-sp.a), Philippe Muyters (N-VA), Meryame Kitir (sp.a) et Bart De Wever (N-VA), entre autres, avaient déjà allongé la liste des politiciens larmoyants.
« Ce phénomène est une conséquence logique de la nouvelle place prise par les politiciens dans la communauté ces dernières années », explique le professeur Stefan Rummens, philosophe en politique à la KU Leuven. « Il y a belle lurette qu’ils ne sont plus des personnes inaccessibles dans une tour d’ivoire, mais des êtres faits de chair et de sang. Avec l’arrivée des réseaux sociaux, nous, les électeurs, en savons plus sur leur vie privée. Et nous voulons la connaître. Les politiciens jouent sur cette évolution en dévoilant davantage leur personnalité. Par exemple, en débarquant dans toutes sortes de jeux télévisés, en participant à des séances photo dans des magazines ou en communiquant avec les électeurs via Twitter et Facebook. Ils sentent qu’ils peuvent très bien verser une petite larme et révéler ainsi un côté humain. Ce tabou est tombé. »
Inédit
Selon le professeur Ad Vingerhoets (Université de Tilburg), un scientifique qui étudie nos larmes depuis des années, un des effets de la télévision est qu’il est devenu de plus en plus normal de voir pleurer des personnalités. « Je me souviens du premier politicien néerlandais qui a sangloté en public en 1981 », dit-il. « C’était inédit. Depuis lors, des personnalités apparaissent plus souvent la larme à l’œil dans les médias. Le monde du sport a eu une grande influence sur cette évolution. En effet, un footballeur en pleurs pouvait compter sur la compréhension de son entourage, ce qui a préparé le terrain pour d’autres célébrités. Mais rappelez-vous également tous ces programmes télévisés qui invitaient des personnes connues et qui jouaient délibérément sur les émotions des candidats. Des Bekende Vlamingen qui se lancent en quête de leurs racines ou qui sont suivis pendant toute une semaine dans un environnement personnel. »
Une tactique intelligente
Aujourd’hui, les larmes sont admises et les politiciens en font donc usage. Ce qui ne signifie toutefois pas forcément qu’il s’agisse là d’une tactique délibérée visant à gagner des électeurs. « Ce ne serait pas très intelligent, car les larmes n’ont pas toujours un impact positif », explique Ad Vingerhoets. « Si votre opinion sur un politicien est déjà négative, soit vous ne croirez pas en la sincérité de ses larmes, soit vous le taxerez de faible et d’incompétent. Ce n’est que si vous éprouvez de la sympathie pour lui ou si vous pouvez vous identifier à sa peine que des sentiments d’empathie pourront apparaître. »
Une polarisation qui a également frappé Robbert Meulemeester, expert en communication de crise, lors de la conférence de Joke Schauvliege ce mardi. « Ces larmes ont renforcé les plus critiques envers l’ancienne ministre dans leur perception négative. Ils les voient comme une preuve supplémentaire qu’elle a perdu les pédales. Après son discours chargé d’émotions, seuls ses sympathisants la défendront avec encore plus de vigueur. »
Stefan Rummens, philosophe en politique, conseille donc aux politiciens de ne pas se montrer trop vulnérables en public. « On peut dévoiler ses émotions, mais il faut trouver un certain équilibre en permanence. Prenez Bert Anciaux. Ses premières larmes ont été accueillies avec sympathie. Mais quand pleurer devient un style, on vous colle vite l’image d’une mauviette. Ce qui n’est pas bon pour votre crédibilité. »