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Mathieu Michel, un secrétaire d’État qui s’ennuie
30·06·22

Mathieu Michel, un secrétaire d’État qui s’ennuie

Bart Eeckhout est le rédacteur en chef du quotidien De Morgen.

Temps de lecture : 2 minutes Crédit photo :

Isopix

Bart Eeckhout
Auteur
Fabrice Claes
Traducteur Fabrice Claes

Commençons par un aveu : si je ne crains pas grand-chose, j’ai toutefois une peur bleue de l’Administration, avec un A majuscule. Dès que je trouve un courrier officiel dans ma boîte aux lettres, dès que je dois me rendre à la Commune, je suis envahi par cette crainte aussi grotesque que réelle. Je m’efforce sans cesse de remettre au lendemain mes contacts avec l’administration, jusqu’au jour où la procrastination n’est plus tenable.

J’éprouve cette crainte, pour le moins kafkaïenne, d’entendre un fonctionnaire me dire, d’un ton cordial mais ferme : « Mmm, monsieur Eeckhout, dites-vous ? Désolé, mais d’après nos informations, vous n’existez pas. » La crainte d’un anonyme qui frapperait à ma porte pour m’enjoindre de l’accompagner avant de m’aider à m’égarer dans un dédale administratif, dans un monde sans pourquoi. Le syndrome du « computer says no », comme on dit outre-Manche.

Il existe cependant une – et une seule – invention qui a su tempérer ma phobie administrative : itsme, l’application qui automatise mon identification lorsque je me connecte à mon application bancaire ou sur un site officiel de l’État. Pour vérifier mon statut vaccinal ou rentrer ma déclaration d’impôt, j’ouvre itsme, et le tour est joué. Ainsi, en un rien de temps, itsme, une innovation que nous devons à quelques banques et opérateurs téléphoniques, est devenue l’une des applications les plus populaires du pays. Malgré les rares petits accrocs, les utilisateurs se disent globalement très satisfaits du produit. Je ne suis visiblement pas le seul à avoir peur de l’Administration, avec un grand A.

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Bien entendu, l’État restera toujours l’État. Une application populaire qui facilite et incarne l’accès à l’administration ? Une invention que nous envient nos voisins ? Un service belge qui fonctionne bien ? Non, nous ne pouvons pas nous permettre un tel luxe, a dû se dire le secrétaire d’État à la Digitalisation Mathieu Michel (MR) – oui, il est encore là, au cas où vous l’auriez oublié. Par conséquent, notre gouvernement s’est mis à élaborer son propre outil d’identification.

« Qu’y a-t-il de pire, pour un gouvernement, qu’un membre superflu ? Un membre superflu qui s’échine à nier son insignifiance. »

Ce projet éveille en moi un certain scepticisme, et ce, à plus d’un titre. Tout d’abord, il s’avère que notre État entrera en concurrence avec lui-même, étant donné qu’il est l’un des principaux actionnaires de la société privée Mobile ID, qui se trouve derrière itsme. Puis, le gouvernement fédéral préfère bricoler son propre petit gadget numérique voué à coexister avec un système déjà efficace, plutôt que de coopérer. Et de surcroît, il y a de fortes chances que le nouveau service développé par le fédéral, même s’il fonctionne moins bien que ce qui existe déjà sur le marché, reçoive la priorité en matière de contacts avec l’administration, au point de chasser ce qui fonctionne mieux. Résultat pour le citoyen-contribuable : des dépenses considérables pour un service de moindre qualité.

Réjouissons-nous de cette volonté, affichée par notre gouvernement, de contrôler l’accès à des données sensibles et de limiter le coût de cet accès. Cependant, une bonne réglementation vaudra mieux qu’une concurrence avec une initiative privée. La méthode choisie par le gouvernement ressemble davantage à une (très) coûteuse thérapie destinée à tromper l’ennui d’un secrétaire d’État inutile qui devra, en fin de législature, présenter au moins une réalisation. Le parcours de Mathieu Michel nous apprend qu’il n’existe qu’une seule chose de pire, pour un gouvernement, qu’un membre superflu : un membre superflu qui s’échine à nier sa propre insignifiance.

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