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« C’est bien de parler du suicide, mais mieux vaut éviter toute spéculation sur les causes ou sur les coupables »
16·02·23

« C’est bien de parler du suicide, mais mieux vaut éviter toute spéculation sur les causes ou sur les coupables »

Bart De Pauw, présentateur de télévision très connu en Flandre a tenté mardi de mettre fin à ses jours. Quelques mois auparavant, il avait été condamné à six mois de prison avec sursis pour harcèlement sexuel. Ce 14 février, un journaliste de la RTBF s’est donné la mort sur son lieu de travail.

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Photo de Andreea Popa sur Unsplash

Dominique Jonkers
Traducteur Dominique Jonkers

Si tragique que puisse être la récente tentative de suicide de Bart De Pauw : nous en parlons, et c’est une bonne chose. C’est en tout cas l’opinion de Gwendolyn Portzky, directrice du centre flamand d’expertise pour la prévention du suicide. Ce que nous devons éviter de faire, dit-elle, c’est spéculer. « Le suicide est un sujet bien trop complexe pour cela : il est la résultante de très nombreux facteurs qui se télescopent à un moment donné. »

Voilà que tous les projecteurs se braquent soudain sur ce thème extrêmement sensible : le suicide.

Gwendolyn Portzky : « C’est vrai : du point de vue sociétal, un tel événement suscite de nombreuses réactions. Nous adoptons collectivement une sorte d’attitude de circonspection. On sait qu’une telle actualité peut avoir un effet déclencheur sur certaines personnes que la pensée du suicide perturbe. D’autant plus qu’il s’agit d’une personnalité connue. Or Bart De Pauw est un personnage public, un visage familier : cela amplifie encore l’impact de la nouvelle. »

« Les gens expriment leurs opinions, sans retenue. Hier, un de mes collègues a jeté un coup d’œil sur Twitter. On a peine à croire ce que certains osent écrire. Les commentaires les plus grossiers. »

Dans ce genre de situation, les gens sont très prompts à manifester leurs opinions, voire leurs jugements de valeur. Je suppose que ça n’arrange pas les choses.

« Il y a dix ans, quand nous invitions à la prudence, nous devions encore nous tourner vers les journalistes et les médias. Aujourd’hui, nous devons nous adresser à l’opinion publique – sur laquelle nous n’avons aucun contrôle. Les gens expriment leurs opinions, sans retenue. Hier, un de mes collègues a jeté un coup d’œil sur Twitter. On a peine à croire ce que certains osent écrire. Les commentaires les plus grossiers. D’où notre message : s’il vous plaît, évitons toute spéculation sur les causes ou sur les coupables. Ces situations sont bien trop complexes pour cela. Nous savons qu’une tentative de suicide est la résultante d’un très grand nombre de facteurs qui se télescopent à un moment précis. Spéculer sur ces facteurs est un exercice dangereux. C’est polarisant ; le débat dérape sur toutes sortes de choses sans rapport, au point parfois d’impliquer les victimes elles-mêmes.

L’épouse de Bart De Pauw a commenté les raisons qui ont poussé son mari à ce geste. Elle parlait de « grande tristesse », de « colère » et de « profond sentiment de honte ». S’agit-il là d’émotions classiques chez les personnes qui passent à l’acte ?

« La suicidalité s’accompagne d’émotions extrêmement intenses. Le sentiment de désespoir y joue un rôle déterminant. C’est d’ailleurs ce que disent les personnes qui survivent au passage à l’acte le disent, après coup : « je voulais cesser de ressentir. Je ne voulais plus penser. Je ne voyais plus d’autre solution. Il fallait que ça cesse. » D’une personne à l’autre, les motivations varient. Mais ce que toutes ces personnes ont en commun, c’est une souffrance émotionnelle intense, et une douleur mentale qu’elles veulent faire cesser. Que ce soit par colère, par honte ou par tristesse. »

Prévention du suicide en Flandre: la coupe budgétaire de trop

Tout le monde ne réagit pas de la même manière à cette douleur mentale. Pourquoi de telles situations poussent-elles les uns vers un comportement suicidaire, et pas les autres ? Serait-ce lié au caractère ?

« Là aussi, c’est très complexe. En matière de suicide, ce que l’on constate, c’est un déséquilibre entre les facteurs de type protecteur et les facteurs délétères. Chez de nombreuses personnes, c’est l’aboutissement d’un long processus. Bien souvent, cela fait des mois, voire des années, qu’elles tentent de naviguer sur une situation difficile quand un événement rompt soudain l’équilibre, par exemple la perte de liens sociaux. La personne se met à ressentir un intense sentiment de solitude, perd ses liens avec autrui, et a honte. Pour une personne engagée déjà très loin dans un tel processus, le contact social est parfois l’élément qui fait toute la différence entre le passage à l’acte – ou non. Si ce contact social disparaît, si tout se bloque, cela devient dangereux. Plus les facteurs de stress sont nombreux, plus la personne risque de désespérer, et de se laisser gagner par un sentiment d’impossibilité de s’en sortir un jour. Pour cesser de ressentir les choses, certaines personnes auront la tentation de l’alcool. Qui risque d’avoir un effet cumulatif. Au point, parfois, que tout déborde. »

La famille a décidé de dire clairement ce qui s’est passé. « Sans doute une tentative de suicide. » Que pensez-vous de cette communication très transparente ?

« De manière tout à fait générale, il nous paraît essentiel de briser le tabou et de pouvoir parler de la suicidalité. Beaucoup de gens préfèrent l’éviter, mais c’est une erreur. Au contraire, il ne faut pas hésiter à parler de ces choses – mais de la bonne manière. Chaque jour, en Flandre, on hospitalise 24 personnes qui ont attenté à leurs jours. Un phénomène si répandu ne peut être passé sous silence.

Comment aborder une personne qui a fait une tentative de suicide ?

« À ce stade aussi, l’aspect social est primordial. Une personne qui a tenté de se suicider aura ensuite besoin d’être entourée de proches. Elle doit ressentir un soutien, également sur le plan professionnel. Bien souvent, elle aura besoin d’aide, d’une aide durable et de qualité. Il faut assurer un suivi, et continuer, dans l’entourage, de vérifier comment vont les choses. Sortir, faire des choses ensemble. Continuer de lui demander : « Comment vas-tu ? »  Et rester attentif à d’éventuels signaux. »


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