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Qui sème des bornes de recharge récolte des voitures
05·01·23

Qui sème des bornes de recharge récolte des voitures

Kris Peeters est chargé de cours en ingénierie du trafic à PXL, la Haute-Ecole d’Hasselt. Il est l’auteur de différents livres sur la mobilité.

Temps de lecture : 5 minutes Crédit photo :

Photo de Michael Fousert sur Unsplash

Auteur
Virginie Dupont
Traductrice Virginie Dupont

Les bornes de recharge sont des aimants pour les fanas du stationnement prolongé. Si les autorités locales veulent attirer les voitures dans les parkings périphériques, elles feraient mieux de ne pas installer des bornes dans chaque quartier, prévient Kris Peeters.

Le gouvernement flamand a tranché. À partir de 2031, les voitures diesel ne seront plus les bienvenues dans les zones à faibles émissions (LEZ) d’Anvers et Gand. Les voitures à essence bénéficient de quatre années de sursis, après quoi ce sera la fin pour elles aussi. Les réactions suscitées par cette mesure vont de l’enthousiasme (« enfin de la clarté ») au scepticisme (« ce n’est pas réalisable ») en passant par le mépris (« c’est antisocial »).

Deux conclusions s’imposent. Premièrement, il faut voir si la messe est dite. Et deuxièmement, le débat reste affecté par la persistance de plusieurs idées fausses. Je souhaiterais me pencher sur ce dernier point.

Zone à faibles émissions à Anvers : est-ce bien suffisant?

Simplisme

La première idée reçue consiste à croire que la voiture électrique peut sauver le climat. La semaine dernière, le journaliste automobile Urbain Vandormael a écrit que, à en croire les décideurs politiques, les voitures électriques sont le seul moyen d’enrayer le changement climatique. Ah, l’éternel chant des sirènes du simplisme réducteur !

En réalité, le secteur des transports dans notre pays représente « seulement » 25 à 30% des émissions de gaz à effet de serre, dont les voitures particulières ne constituent qu’une partie. Les véhicules électriques ne suffiront donc pas à sauver le monde.

« Les véhicules électriques ne suffiront pas à sauver le monde. « 

Sont-ils une aubaine pour le climat ? Le mix énergétique belge est composé à 80% d’énergies non renouvelables. Par conséquent, ce qui sort du pot d’échappement inexistant de la voiture électrique n’est pas folichon : gaz à effet de serre, azote, particules fines, déchets nucléaires. Pour ce qui est des gaz à effet de serre, les slogans marketing méritent d’être nuancés. Green NCAP, une organisation qui évalue l’impact environnemental des véhicules, indique que si l’on tient compte de la production de la batterie et de la voiture, les émissions d’une petite Nissan Leaf s’élèvent à 86 grammes de CO2 par kilomètre. Alors qu’elle n’a pas encore parcouru son premier kilomètre. On est donc loin du « zéro émission ».

Le vélo-cargo remplace de plus en plus souvent la deuxième voiture

Émissions élevées, bien-être élevé

Deuxième idée fausse : les zones à faible taux d’émission ne se révèlent efficaces qu’en ville. Il est vrai qu’elles poussent les voitures et les bus polluants hors du périmètre, mais elles déplacent le problème. Les voitures remplacées ne seront pas toutes mises au rebut. Elles finissent ailleurs dans le monde, où les « zones à fortes émissions » sont encore synonymes de prospérité et de progrès. Demandez à la Guinée, où l’importation incontrôlée d’épaves de voitures européennes entraîne une augmentation des problèmes respiratoires au sein de la population. Mais n’en profitons pas pour autant pour jeter les zones à faibles émissions avec l’eau du bain. Essayons plutôt de travailler à une économie circulaire. Au niveau local, les effets des zones à faible taux d’émission sur la qualité de l’air sont d’ailleurs bénéfiques.

« Les zones à faibles émissions constituent une application de ce qu’on appelle « la dictature de la minorité » »

Les zones à faibles émissions présentent également un impact positif sur le parc automobile dans son ensemble. Elles constituent une application de ce que Nassim Nicholas Taleb appelle « la dictature de la minorité ». On est tous passés par là : un seul anglophone au sein du groupe et nous adoptons l’anglais comme langue véhiculaire sans broncher. Si 320 villes et régions européennes imposent des normes plus strictes, les fabricants peuvent réagir de deux manières. Soit produire une version différente de leurs modèles pour chaque zone, mais cette solution s’avère complexe et économiquement peu rentable. Soit fabriquer une seule version utilisable dans toutes les zones, avec des économies d’échelle. Devinez quelle solution ils choisissent.

De cette façon, ces villes et régions vilipendées feront ce que la puissante Europe n’est pas parvenue à faire. Lorsque Traxio, la fédération du secteur automobile, se plaint du patchwork réglementaire, elle préconise en fait de corriger les abus créés par ses propres lobbyistes. En outre, le secteur automobile voit-il vraiment les LEZ d’un si mauvais œil ? Dans la pratique, elles semblent constituer un solide coup de pouce aux ventes.

Antisocial ?

Troisième constante dans ce débat : la prétendue nature antisociale des zones à faible taux d’émission. Il ne s’agit pas ici de l’injustice selon laquelle les régimes fiscaux préférentiels pour les voitures électriques représentent un privilège pour les indépendants et les entreprises. Pas plus que des navires de croisière accostant dans les zones à faibles émissions, qui ne posent apparemment pas de problème pour la qualité de l’air local. Et certainement pas de l’impact de l’électrification sur le « triangle du lithium » dans le désert d’Atacama, où nos batteries écologiques provoquent l’assèchement des lacs salés, avec des conséquences désastreuses pour les populations locales.

« Remplacer l’ensemble du parc automobile par de l’électrique ne fera qu’aggraver les problèmes que nous connaissons. »

Les critiques portent plutôt sur le fait que tout le monde ne peut pas s’offrir une voiture électrique. Elon Musk a suscité pendant des années la sympathie en promettant de produire une voiture électrique « abordable ». L’idée que « tout le monde a droit à une voiture », comme l’ont prétendu certains hommes politiques, à l’instar de Joop den Uyl il y a près de 60 ans, a la vie dure, même dans un contexte urbain.

Mais plus la voiture a du succès, moins elle a d’utilité pratique. Dans les années 1970, le philosophe français André Gorz observait que chaque voiture supplémentaire rendait les autres moins utiles. Les records d’embouteillages lui donnent raison, mais nous faisons fi de cette situation de toutes nos forces. Ou plutôt abstraction de tous les désavantages associés à chaque utilisation effrénée individuelle de la voiture : l’énorme occupation du territoire, l’augmentation de l’insécurité routière et la restriction de la liberté de celles et ceux qui ne sont pas dans un habitacle. Remplacer l’ensemble du parc automobile par de l’électrique ne fera qu’aggraver les problèmes que nous connaissons.

Se prononcer en faveur d’une politique de mobilité sociale devrait donc revenir à plaider en faveur d’un écosystème urbain dans lequel les piétons et les cyclistes de 7 à 77 ans sont la norme, où des investissements sont réalisés dans les transports publics et où le covoiturage est activement encouragé.

Les ménages à faibles revenus sont ceux qui émettent le moins de CO2

Des bornes de recharge aux panneaux de signalisation

Aujourd’hui, beaucoup exigent des pouvoirs publics qu’ils fassent exactement le contraire. « Plus de bornes de recharge ! », scandons-nous en chœur. Et le gouvernement flamand de répondre en criant de plus belle : « La borne suit la voiture ! » Aujourd’hui, chaque citoyen a droit à une borne de recharge à maximum 250 mètres de son domicile. Les automobilistes ne sont donc manifestement pas en mesure de marcher aussi loin que les usagers des transports publics. Pour eux, la distance maximale par rapport à un arrêt était de 500 mètres en zone urbaine, 750 mètres en dehors. Et encore, même cette réglementation a été abandonnée.

« Chaque citoyen a droit à une borne de recharge à maximum 250 mètres de son domicile. Les automobilistes ne sont donc manifestement pas en mesure de marcher aussi loin que les usagers des transports publics. »

Le problème est le suivant : qui sème des bornes de recharge récolte des voitures. Nous prétendons vouloir attirer les véhicules dans les parkings périphériques, mais nos centres-villes et nos quartiers sont remplis d’aimants pour les fanas du stationnement prolongé.

Pourquoi ne pas prendre ensemble la mesure du caractère inabordable des voitures électriques individuelles, la nouvelle dépendance aux ressources rares, le nombre excessif de voitures dans nos centres et la sécurité routière ? Imaginez une administration locale qui transforme les bornes de recharge en panneaux de signalisation et les place là où elle veut des voitures. Il ne s’agit pas d’encourager une forme de politique antivoiture, mais de permettre l’utilisation de la voiture « pour toutes et tous » lorsqu’elle apporte une valeur ajoutée sur le plan social.

C’est aussi une administration qui, outre les transports publics électriques, investit dans une flotte de voitures électriques partagées. Et qui fait appel, dans cette optique, aux concessionnaires et garagistes qui se voient abandonnés sans ménagement par les constructeurs automobiles. Car voilà une autre façon d’envisager une politique de mobilité sociale : faire en sorte que ce ne soient pas les multinationales qui en profitent, mais la communauté locale.

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