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Le bulletin du gouvernement flamand: peut (beaucoup) mieux faire
10·05·24

Le bulletin du gouvernement flamand: peut (beaucoup) mieux faire

Temps de lecture : 7 minutes Crédit photo :

(c) Belga

Tout porte à croire que le prochain gouvernement flamand se composera de quatre partis. Si la poussée des extrêmes est aussi forte que les sondages ne le prédisent, les autres partis n’auront plus assez de poids pour former une majorité à trois.

La ministre Zuhal Demir (N-VA) a déjà fait savoir – même si ce fut au plus fort des affrontements avec le CD&V sur le dossier de l’azote – qu’elle ne voulait pas gouverner à quatre. Pendant longtemps, elle avait envisagé un échange en bonne et due forme des chrétiens-démocrates contre les socialistes, mais s’est ensuite ravisée : les mésaventures de Conner Rousseau ont fait plonger Vooruit dans les sondages, ce qui a rendu le CD&V presque incontournable.

Quelle que soit la coalition qui verra le jour, le gouvernement n’a pas réussi à convaincre les Flamands que laisser davantage d’autonomie à la Flandre était la solution à leurs problèmes. La célèbre formule « Wat Vlaanderen zelf doet, doet het beter » (« Ce que la Flandre fait seule, elle le fait mieux », ndlr) devrait plutôt être : « Ce que la Flandre fait seule, elle pourrait le faire beaucoup mieux. »

De l’avis de la N-VA, le prochain gouvernement devrait être dirigé par « sterke Jan » (Jan le fort, ndlr), un concept marketing inventé par la N-VA, qui lui est revenu à la figure comme un boomerang à chaque nouvelle crise, dans une version elle aussi légèrement adaptée : « sterkte Jan » (« Bon courage, Jan ! », ndlr).

Le gouvernement a également tenté de porter en étendard le concept de l’identité flamande. Toute la campagne a manqué de subtilité. Selon l’accord de coalition, l’exécutif allait œuvrer à une Flandre à l’identité forte, consciente de ses atouts (« zelfbewust Vlaanderen », ndlr). Nous devons « assumer notre identité flamande sans complexe », notamment par la mise en exergue de marqueurs identitaires forts. Des experts ont été invités à trouver des points d’ancrage dans l’histoire de la Flandre et la VRT a été sommée de se joindre à l’effort. Toute cette agitation idéologique – sur fond de menace d’une possible contamination extérieure – explique sans doute le succès des séries « Het Verhaal van Vlaanderen » et « De Canon van Vlaanderen » (livre et site web). Mission accomplie, a-t-on pensé à la N-VA.

Manque de subtilité

Apparemment, les Flamands sont plus doués pour analyser le passé que pour préparer l’avenir. Le narratif fédérateur que le gouvernement Jambon a voulu constituer n’a pas pris. Il faut dire que le ministre-président a manqué à la fois de charisme et de subtilité. Le fameux recadrage de la députée Groen Meyrem Almaci, qu’il avait impulsivement adressé en registre plus que familier – « da gade gij nie bepalen » (« oh, c’est pas toi qui décides, hein ! », ndlr) – avait annoncé la couleur dès la présentation de la déclaration gouvernementale. Très vite, nous avions compris que Jambon ne ferait qu’un seul mandat. Mais alors qui pour lui succéder ?

En mars 2022, De Wever a fait exploser une bombe dont les secousses sont encore palpables. Il avait déclaré qu’il n’avait pas placé Zuhal Demir dans un ministère difficile par hasard : à ses yeux, elle avait la carrure pour finir sur « la plus haute marche du podium ». Demir avait de son côté laissé entendre qu’elle n’envisageait cette éventualité que si le prochain gouvernement était un gouvernement de réforme. En même temps, elle indiquait qu’elle aurait aimé rempiler au sein de son ministère (Environnement et Énergie). L’idée paraissait complètement saugrenue, sauf pour la principale intéressée, qui elle se serait donc bien vu combiner un poste de ministre de l’Environnement à celui de ministre-présidente. Malgré toutes les critiques formulées à l’encontre de Jan Jambon, tant le CD&V que l’Open VLD admettent qu’il est un homme de compromis, ce qui ne serait pas forcément le cas de Demir.

Pandémie

Contrairement au fédéral, le gouvernement flamand était déjà constitué lorsque la crise sanitaire a éclaté. Très rapidement, les problèmes qui se posaient dans le domaine de l’encadrement médical des personnes âgées sont apparus au grand jour. Si de nombreuses maisons de retraite privées avaient été créées au cours des années précédentes, investir dans la qualité des soins gériatriques n’était manifestement pas une priorité politique. Le nombre de décès dans les maisons de retraite a été si élevé que même les listes d’attente ont disparu…

La discussion sur la pénurie de lits s’est muée en un débat sur le personnel soignant et les effectifs nécessaires à un service de qualité. Dans toute la Flandre, en matière de personnel, la règle du strict minimum semble dominer. L’intérêt des entreprises étrangères pour notre région est probablement une illustration de cette mentalité.  En février, le gouvernement flamand a approuvé un décret interdisant les profits dans la santé, mais il appartiendra au prochain exécutif de préciser ce que cela signifie exactement. Foire d’empoigne en perspective.

Le gouvernement a toutefois sorti son épingle du jeu dans sa lutte contre la pandémie. Wouter Beke (CD&V), alors ministre du Bien-être et de la Famille (en charge de la santé, ndlr), a pu compter sur la gigantesque campagne de vaccination, grâce à laquelle la Flandre est devenue championne du monde des vaccins. Beke a même invité à s’expliquer sur CNN et sur une chaîne néerlandaise.

Accueil de la petite enfance

Au sortir de la crise sanitaire, un autre dossier épineux a fait surface : l’accueil de la petite enfance. Après la mort tragique d’un bébé dans une crèche de Mariakerke en février 2022, Beke a annoncé la mise en place de davantage de contrôles, mais n’a pas jugé bon de démissionner. Une décision qui a suscité des critiques au sein de son parti et qui a été considérée comme l’un des facteurs ayant précipité la chute vertigineuse du parti dans les sondages, en mai de cette année-là. Résultat : démission du président Joachim Coens, suivie de celle de Beke une semaine plus tard. Ce dernier admettra plus tard dans le quotidien De Morgen que sa communication aurait pu être « plus empathique » et que l’agence gouvernementale Opgroeien [en charge de cette question, ndlr], qui relevait de sa compétence, connaissait des dysfonctionnements structurels.

Hilde Crevits, alors ministre flamande de l’Agriculture, a succédé à Beke et Jo Brouns à Crevits. Le budget consacré à ce poste a été doublé au cours de cette législature, mais le nombre d’encadrant.e.s par enfant – fixé à un pour neuf – est encore très loin du niveau d’un sur cinq jugé nécessaire par les experts.

Autre dossier non résolu : les personnes avec un handicap. Celles et ceux qui ont besoin des soins les plus urgents reçoivent certes une aide plus rapidement, mais beaucoup d’autres doivent encore attendre, parfois jusqu’à vingt ans avant de pouvoir prétendre à une allocation suffisante. La réduction des listes d’attente coûterait 1,4 milliard. Mais même dans ce cas, compte tenu du manque de personnel soignant, tout ne serait pas résolu.

Azote

Si nous ne devions retenir qu’un dossier « mémorable », ce serait à l’évidence celui de l’azote. Alors même qu’il qui ne figurait pas dans l’accord de coalition, il s’est imposé de lui-même dans l’agenda politique après la disqualification de la réglementation existante par un tribunal dans une affaire portée en justice par un éleveur de poulets de Kortessem. L’azote s’est mué en combat de boxe en plusieurs rounds entre le CD&V et la N-VA, avec l’Open VLD comme arbitre.

Le premier accord fut négocié lorsque Crevits était encore à l’Agriculture. Il y aura finalement trois accords, à chaque fois précédés d’échanges très virulents. Après la démission de Beke, la situation a empiré, notamment parce que deux ministres limbourgeois se sont retrouvés à jouer les premiers rôles dans ce dossier : Zuhal Demir et Jo Brouns. Brouns en grand défenseur des agriculteurs, Demir de la nature.

Enseignement

Cette législature a également montré la vitesse à laquelle la qualité de l’enseignement se dégrade en Flandre. Chaque nouvelle enquête internationale nous inflige son lot de gifles. Dernier exemple en date, les résultats PISA 2023 : le niveau des jeunes Flamands en mathématiques, en lecture et en sciences n’a jamais été aussi bas. La pénurie d’enseignants, devenue extrêmement tangible ces dernières années, n’aidera pas à redresser la barre. L’une des solutions les plus évidentes consiste à attirer des talents du privé ; un transfert qui ne pourra se concrétiser que si ces travailleurs peuvent compter sur un salaire conforme aux normes du marché, y compris en termes d’ancienneté. Une meilleure rémunération pour ces profils qui arrivent dans le métier de manière indirecte est désormais actée, mais sa mise en œuvre a pris bien trop de temps.

La pénurie d’enseignants constitue un problème majeur dont les conséquences se feront ressentir encore longtemps. Gageons que Ben Weyts, ministre de l’Enseignement, n’est pas responsable de tous les maux. Son principal mérite est d’avoir introduit des tests centralisés (un instrument qui permet notamment de mesurer les gains d’apprentissage). L’enseignement est une compétence qui attire beaucoup d’autres partis. Les présidents de la N-VA, de l’Open VLD et du CD&V ont récemment glissé qu’ils souhaitaient désigner le prochain ministre en charge de ce portefeuille. Pour Bart De Wever, Weyts pourrait même rempiler, à condition qu’il garde son pantalon.

Climat

En matière de climat, le gouvernement flamand s’est montré moins ambitieux, ou du moins sélectif. Les primes à la rénovation sont un succès, mais elles ont surtout eu pour effet de contrecarrer les plans du fédéral. Le volet flamand du Plan national Énergie-Climat a suscité bien des anicroches entre Zuhal Demir et la ministre fédérale du Climat, Zakia Khattabi (Ecolo). En définitive, le gouvernement fédéral a décidé de soumettre son plan en diminuant le potentiel de réduction de gaz à effet de serre de la Flandre par rapport à ce que ce l’Europe qu’exige. Pour compenser, la Flandre achètera des quotas d’émissions, une facture qui – en fonction du coût de la tonne de CO2 – pourrait atteindre 1 milliard d’euros. Cette dichotomie de Demir, tiraillée entre sa volonté de s’opposer aux mesures climatiques européennes d’une part et son attachement à la nature d’autre part, est difficile à comprendre. Elle se fonde sans doute sur le principe que la population craint que les mesures climatiques ne leur coûtent de l’argent.

Mobilité

Si la Flandre se veut une région avant-gardiste en matière de mobilité, elle a surtout brillé par son immobilisme ces dernières années – au propre comme au figuré. Après la brève amélioration post-pandémique, nous avons battu tous les records en matière d’embouteillage. II ne s’est donc rien passé ? En fait, non. Lydia Peeters (Open VLD) ne restera pas dans les annales comme (une grande) ministre de la Mobilité et des Travaux publics, même si elle a tout de même lancé un certain nombre de chantiers. Parmi ceux-ci, les investissements dans les pistes cyclables, à hauteur de 1,4 milliard d’euros sur cinq ans, qui restent un point positif. Lydia Peeters a également donné le coup d’envoi du chantier de la liaison Oosterweel et de la liaison Nord-Sud dans le Limbourg. Mais dans l’ensemble, c’est très peu.

On ne retiendra par ailleurs aucune mesure forte pour réduire le recours à la voiture, telles que l’introduction d’une taxe kilométrique en lieu et place de la taxe de circulation. Même les transports alternatifs, à savoir les transports publics, n’ont pas été mis au rang des priorités. Il est cependant faux de prétendre, comme le défend l’opposition, que des mesures d’économies ont été prises sur De Lijn, dont le budget a été porté à 1,5 milliard d’euros.

Néanmoins, nous n’avons jamais eu l’impression que ce gouvernement avait une folle envie de promouvoir les transports publics, ni même qu’il croyait en leur capacité à améliorer la mobilité. La population garde l’impression d’un gouvernement qui préfère subventionner les véhicules électriques plutôt que les bus. La conclusion est peut-être un peu réductrice et sévère, mais l’incapacité de la coalition à faire de la Flandre une région de premier plan en termes de mobilité, est un reproche qu’on peut légitiment lui adresser.

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