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12·12·16

Nationalistes ou réfugiés: qui menace vraiment nos libertés?

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

(c) Vrt Nieuws

Les coïncidences ont parfois des allures de complot satanique. À peine un jour après l’appel de la N-VA à se révolter contre des juges « coupés des réalités », Geert Wilders, homme politique néerlandais condamné pour incitation à la discrimination, affirme haut et fort qu’il n’accordera aucun crédit à l’arrêt « démentiel » prononcé à son encontre.

Apportons tout d’abord deux nuances. Ces deux procès méritent un débat de fond de bon aloi. Dans les deux cas, on peut ne pas partager l’opinion des juges, et il relève du droit des deux condamnés de faire appel de la décision rendue. Nous pouvons, par exemple, nous demander si vouloir « moins de Marocains » dans son pays mérite des poursuites judiciaires. De même, nous pouvons débattre de l’obligation légale, pour un secrétaire d’État, de délivrer un visa à une famille d’Alep. Le Conseil d’État aura le dernier mot sur cette question.

Deuxièmement : non, la N-VA n’est pas encore l’égale du Parti pour la liberté. Il y a, heureusement, encore de grandes divergences entre ces deux formations politiques. Mais admettons qu’il y a aussi des similitudes inquiétantes. « En rendant ce jugement, vous montrez à quel point vous êtes étranger aux grandes questions de ce monde », a réagi Geerts Wilders à sa sortie du tribunal par une vidéo publiée sur YouTube. La différence avec la campagne lancée la veille par la N-VA sur les réseaux sociaux, qui condamnait notamment « les astreintes et les juges coupés des réalités », est infime.

« quiconque avancera un contre-argument marquera implicitement son adhésion à cet establishment coupé du monde et sera cloué au pilori. La démonstration est évidente »

En incitant sa base à se révolter contre le pouvoir judiciaire, la N-VA s’inscrit parfaitement, sur ce point du moins, dans la lignée des Berlusconi, Trump et autres Wilders. Le succès de cette stratégie ne fait plus aucun doute. L’élection de Donald Trump le démontre. D’autant que cet appel au soulèvement cadre avec l’atmosphère de révolte générale contre les « élites ». Et inévitablement, quiconque avancera un contre-argument marquera implicitement son adhésion à cet establishment coupé du monde et sera cloué au pilori. La démonstration est évidente.

Il n’y a par ailleurs rien d’étonnant à ce que la N-VA, le plus grand parti du gouvernement, n’hésite pas à prendre le contre-pied de ces élites. Cette ambiguïté n’a pas empêché Donald Trump d’arriver à ses fins. Le responsable des réseaux sociaux des indépendantistes flamands aura fait mouche : la tempête médiatique s’est levée, sa mission est accomplie.

Si l’incident se résumait à une simple opération séduction visant à obtenir des « j’aime » faciles au détriment d’un adversaire qui ne peut se défendre, cela n’aurait pas été si inquiétant. Mais le mal est plus profond, comme le prouve encore De Wever dans un billet d’opinion publié sur son site Web. Il y réaffirme sa volonté de s’opposer à un « gouvernement des juges », à une société où ce sont les juges qui fixent les lois. Notre démocratie devrait donc remercier la N-VA de remettre ces magistrats à leur place !

Mais les arguments développés par le président pour appuyer son propos sont bien faibles. Selon lui, les juges interpréteraient à leur guise les lois sur les migrations pour imposer des vues contraires à la volonté de la majorité démocratique. Mais il ne donne aucune preuve de ce systématisme présumé. Pourtant, cette affaire relève d’un dossier juridique très spécifique et complexe.

En réalité, c’est exactement l’inverse : un parti, membre du pouvoir exécutif, essaye de mettre au pas les autres instances de pouvoir. Ce n’est pas la première fois que Bart De Wever s’en prend violemment à un bastion de notre société, qu’il estime «  trop à gauche » et qui devrait, selon lui, se conformer à sa vision conservatrice du monde. Il s’était déjà engagé dans un tel combat idéologique avec les chaînes de télévision du service public et les représentants de l’enseignement catholique.

Voilà donc à présent le tour de la justice. Mais cette fois, c’est différent : De Wever s’attaque au principe même de la séparation des pouvoirs. Sa position trahit une forme d’autoritarisme de la pensée majoritaire. Le président de la N-VA estime donc que sa volonté personnelle, légitimée par les 32 % de voix obtenues aux dernières élections, a valeur de loi universelle. Or, dans un État de droit, où l’équilibre du pouvoir protège la minorité contre les ambitions de pouvoir de la majorité, les choses ne fonctionnent pas de cette façon.

« Et alors que les bombes pilonnent leur ville sans relâche, les habitants d’Alep qui tentent de fuir l’horreur sont ramenés au rang de touristes économiques et d’imposteurs »

Le prix d’un tel positionnement est élevé. La foi en l’impartialité de la justice est entachée. Et alors que les bombes pilonnent leur ville sans relâche, les habitants d’Alep qui tentent de fuir l’horreur sont ramenés au rang de touristes économiques et d’imposteurs.

Le secrétaire d’État Franken a peut-être raison : il ne le revient pas nécessairement à notre société d’offrir une échappatoire à cette famille. Encore une fois : le Conseil d’État en jugera. Il n’en reste pas moins que cette double stigmatisation – juges coupés des réalités, réfugiés imposteurs – a des relents fort amers.

La question est de savoir si la N-VA souhaite plus ou moins ­– beaucoup moins – d’État de droit ? Dans l’émission Terzake, De Wever déclarait qu’« un seul juge, membre francophone du Conseil du contentieux des étrangers, était coupé du monde ». Cette communautarisation vicieuse de la justice fait penser à la déclaration de Donald Trump, qui se disait victime de l’acharnement d’un juge d’origine mexicaine. Cela ne fait pas du président de la N-VA un deuxième Trump, mais il est préoccupant que le responsable politique le plus important du pays use de la même rhétorique.

Outre le principe de majorité parlementaire, la bonne gouvernance d’un État de droit présuppose de bonnes dispositions à l’égard de la société civile et le respect de ses règles. Ce principe dépasse le simple « respect des lois du peuple belge » : il implique un engagement de diriger la société en adoptant un comportement exemplaire.

Ce manque total d’exemplarité est précisément ce qui rend le pamphlet de la N-VA aussi scandaleux. Il est vrai qu’aucune loi n’interdit le plus grand parti du pays d’en appeler à une rébellion contre des « juges coupés des réalités ». Il en va, nous rétorquerait-on, de la liberté d’expression.

Si vous estimez en avoir le devoir, poursuivez donc vos attaques à l’encontre des autres pouvoirs et gargarisez-vous des avantages que vous pourrez en tirer. Mais arrêtez d’affirmer que ce sont les nouveaux arrivants qui sapent nos libertés démocratiques. Arrêtez d’en appeler à la réhabilitation de nos normes et de nos valeurs. Arrêtez de vous afficher partout comme l’ultime saint protecteur de notre État de droit.

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