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Amalgames et raccourcis après l’annulation d’un « iftar queer » à Anvers
24·03·23

Amalgames et raccourcis après l’annulation d’un « iftar queer » à Anvers

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

Photo de Mehrshad Rajabi sur Unsplash

La soirée, placée sous le signe de la sérénité, aurait dû permettre à des membres des communautés musulmane et LGBTQIA+ de rompre le jeûne ensemble. Le 31 mars, soit une semaine après le début du ramadan, un iftar queer devait se tenir au Roma, un centre culturel du quartier anversois de Borgerhout. Son annulation a déclenché une tempête dans les médias et sur les réseaux sociaux.

Dans un communiqué conjoint publié mardi, le centre culturel et l’association bruxelloise Merhaba ont en effet annoncé qu’ils renonçaient à organiser cet événement, pour des raisons de sécurité. « Ce mélange va manifestement à l’encontre des convictions de certains musulmans qui ne font pas partie de la communauté LGBTQIA+ », peut-on y lire. « De nombreux signaux nous laissent penser que nous ne pourrons pas garantir un espace sûr. »

L’association reste toutefois vague quant à l’origine de ces « signaux ». Dès mercredi, on pressentait que les menaces provenaient probablement de la communauté musulmane elle-même — si ces soupçons viennent à se confirmer, on peut craindre qu’ils ne fassent qu’apporter de l’eau au moulin de l’extrême droite.

L’écrivaine Hind Eljadid, elle-même queer et musulmane, redoute que toute cette agitation ne se réduise à un débat opposant la communauté musulmane « queer » et « hétéro ». « Alors que toute la communauté n’est pas concernée, loin de là », explique-t-elle. « Il y a une grande différence entre les musulmans et les islamistes », abonde l’artiste Jaouad Alloul. « Cette petite minorité ne doit pas nous faire oublier qu’une immense partie des musulmans appliquent plutôt le précepte “vivre et laisser vivre” ».

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« Les Pride restent nécessaires »

Cela étant, il serait faux de nier que, de nos jours encore, faire son coming out peut avoir des répercussions très négatives quand on est musulman. En effet, dans le cadre d’une étude menée en 2015 par le Centre de recherche en sciences sociales de Berlin (WZB), 60 % des 1 200 musulmans de Belgique interrogés affirmaient ne pas vouloir d’amis homosexuels.

« L’homophobie n’est pas l’apanage de l’islam », nuance Hind Eljadid, « mais plus globalement des cercles religieux conservateurs et d’extrême droite. Nous ne vivons toujours pas dans une société où chacun peut être soi-même. Les incidents de ce genre illustrent les raisons pour lesquelles les événements tels que les Pride restent nécessaires. »

Pour les participants à l’iftar queer, mais également pour tous les membres de la communauté LGBTQIA+, les menaces ne se cantonnent pas à ce type d’événements. Une enquête récente de l’hôpital universitaire de Gand et d’Info Transgenre a ainsi révélé qu’un tiers des personnes LGBTQIA+ avaient été victimes de violences physiques au cours des deux années écoulées — la plupart du temps dans l’espace public. Un quart des répondants ont par ailleurs indiqué que leur agresseur appartenait à une minorité ethnoculturelle.

« Il est primordial que les musulmans de la communauté LGBTQIA+ disposent d’un endroit où ils n’ont pas besoin de se cacher et où ils peuvent célébrer les deux aspects de leur identité », souligne Hind Eljadid. « Mais l’iftar n’est pas un match de football. Le problème des violences ne se résout pas en postant des policiers devant la porte. Je comprends que l’association ait fait machine arrière dès lors que la sécurité était menacée. »

Musicien, auteur, dramaturge et militant LGBTQIA+, Jaouad Alloul n’a pas non plus été surpris que cet événement doive finalement être annulé. « J’avais vu la publication et je retenais mon souffle. J’espérais que ça puisse se faire, mais les réseaux sociaux sont une caisse de résonance phénoménale. Les iftars queers qui ont été organisés par le passé l’ont toujours été à huis clos. »

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« Tout l’inverse de ce à quoi nous aspirons »

L’annulation de l’événement a suscité de nombreuses réactions. Le ministre flamand de l’Égalité des chances, Bart Somers (Open Vld), s’est engagé, sur Twitter, à « étudier les possibilités d’organiser cet iftar malgré tout ». La zone de police d’Anvers a également proposé son aide. Le service affirme qu’il avait connaissance de l’événement, mais n’avait pas encore rendu d’avis. « Nous suivions l’affaire et projetions de collaborer avec la cellule “diversité” pour faire en sorte que l’événement puisse se dérouler en toute sécurité », a déclaré son porte-parole.

Finalement, les organisateurs auront donc décommandé la soirée avant même que la police ne puisse rendre son avis. Et même après cette annulation, ils refusent tout renforcement du dispositif sécuritaire. « L’iftar doit être une réunion conviviale, dans un cadre sûr », ont-ils expliqué au quotidien Het Laatste Nieuws dans une deuxième réaction conjointe. « Or, ce n’est pas en postant des policiers devant la porte que l’on crée un espace de sûreté. Leur présence peut même provoquer des craintes, soit tout l’inverse de ce à quoi nous aspirons. »

Le Roma, pour sa part, s’est abstenu de tout commentaire mercredi. Quant à l’association Merhaba, elle s’est limitée à un très bref entretien au quotidien De Standaard. « Il y a aussi eu des menaces physiques », confirment ses employés. « C’est extrêmement douloureux et décevant. Nous sommes très touchés, il nous faudra un certain temps pour nous en remettre. »

Mercredi, l’affaire a également suscité des remous au Parlement flamand. Si tous les partis, à l’exception du Vlaams Belang, dont les membres étaient absents, ont condamné la haine envers les musulmans queers, Groen et le PTB ont appelé, avant toute chose, à écouter les demandes des associations concernées. De leur côté, l’Open Vld, le CD&V et la N-VA ont insisté sur leur volonté de voir l’événement se dérouler malgré tout.

« La réaction des responsables politiques est teintée d’opportunisme », analyse Jaouad Alloul. « Voilà bien longtemps que les animateurs de jeunesse veulent dialoguer avec la communauté, mais qu’ils ne reçoivent pas les fonds nécessaires. Les politiques en profitent surtout pour chercher à redorer leur blason. »

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