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Les trafiquants de drogue font main basse sur l’Europe tout entière
27·09·22

Les trafiquants de drogue font main basse sur l’Europe tout entière

Joris Van der Aa est un journaliste spécialisé dans le trafic de drogues pour le quotidien régional Gazet Van Antwerpen.

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

KURT DESPLENTER (Belga Image)

Auteur⸱e
Guilhem Lejeune
Traducteur Guilhem Lejeune

Selon toute vraisemblance, le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open Vld), aurait échappé de justesse à un enlèvement organisé par des narcotrafiquants néerlandais. Il devait apparemment servir de monnaie d’échange pour obtenir la libération d’un important baron de la drogue. Un projet insensé, mais dans le milieu des stupéfiants, l’impensable peut facilement devenir réalité.

Le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open Vld), a été placé sous haute surveillance policière depuis jeudi. Ce jour-là, le procureur fédéral l’a en effet informé qu’un grand trafiquant de stupéfiants aurait, depuis l’étranger, ordonné son kidnapping. L’information s’est avérée exacte : ce même jour, un véhicule suspect immatriculé aux Pays-Bas a été repéré et pris en filature à proximité du domicile du ministre. Vendredi matin, une deuxième voiture, vraisemblablement utilisée par les mêmes suspects, a été aperçue dans le quartier. La police y a découvert une arme automatique.

Responsables politiques menacés, exécutions en pleine rue, attentats contre des avocats et des journalistes, assassinats visant la mauvaise personne : en matière de violences criminelles extrêmes, ce sont généralement les Pays-Bas que l’on pointe du doigt. Mais ces dernières semaines, la vapeur semble s’être renversée. Ce sont désormais les chaînes de télévision, journaux et magazines néerlandais qui dépêchent leur correspondant à Anvers pour couvrir les nombreuses attaques à la grenade ou aux feux d’artifice dont la ville est le théâtre.

Violences liées à la drogue : pourquoi continuer à appliquer des remèdes inefficaces?

Aux Pays-Bas, des dizaines de bourgmestres font l’objet d’une surveillance policière parce qu’ils sont menacés par la pègre. Mais de là à réellement projeter d’enlever un ministre, « le pays n’a jamais connu cela ». On ne s’étonnera pas que les quatre ravisseurs présumés qui ont été arrêtés proviennent tous de Hollande : Amsterdam, Rotterdam, Utrecht ou La Haye sont autant de villes où le crime organisé constitue un véritable univers parallèle — on y trouve une réserve quasi inépuisable de soldats prompts à perpétrer attentats, enlèvements et exécutions.

 « Vous ne vous en rendez pas compte, mais vous allez au-devant d’une grave crise. La pègre s’empare de la société. »

Il y a un an, ce journal a publié une interview du journaliste irlandais Paul Williams, 56 ans, un auteur primé spécialisé dans les affaires criminelles qui officie au Irish Independent. Ce petit pays a connu, il y a 25 ans, une situation semblable à celle des Pays-Bas et de la Belgique aujourd’hui. Les trafiquants de drogue y étaient devenus si riches et si puissants qu’ils ont cru pouvoir mettre la société à leur botte par la violence. La journaliste Veronica Guerin a ainsi été abattue et son collègue Paul Williams a réchappé à trois tentatives d’assassinat et un attentat à la bombe. Sa famille et lui-même ont vécu sous protection policière renforcée pendant dix ans. Lorsque le journaliste néerlandais Peter R. de Vries a été assassiné, Paul Williams a déclaré : « Vous ne vous en rendez pas compte, mais vous allez au-devant d’une grave crise. La pègre s’empare de la société. Si les pouvoirs publics ne ripostent pas avec force et sans attendre, c’est la pègre qui gagnera. J’ai assisté à ce phénomène dans mon pays il y a vingt ans et je reconnais les signaux d’alerte. D’ailleurs, je m’étonne du laxisme avec lequel les Pays-Bas et la Belgique s’en prennent aux narcotrafiquants. »

Drogue et violence à Anvers : c’est à Bruxelles que réside la solution

C’est l’enquête qui devra déterminer si les criminels projetaient réellement d’enlever le ministre. Peut-être cherchaient-ils simplement à faire comprendre aux responsables politiques belges qu’ils les ont dans le collimateur. Quoi qu’il en soit, cette affaire montre que Paul Williams avait raison : la pègre s’empare de la société. Elle révèle aussi que le problème de la mafia de la drogue ne se cantonne plus à Anvers — ni, d’ailleurs, à la Flandre, à la Belgique ou aux Pays-Bas : c’est désormais un problème européen.

« Peut-on affirmer pour autant que la Flandre connaît une situation semblable à celle des Pays-Bas ? »

Peut-on affirmer pour autant que la Flandre connaît une situation semblable à celle des Pays-Bas ? Aussi troublante que soit l’histoire impliquant le ministre de la Justice, la réponse est non. En effet, les pressions qu’exerce la pègre sur la société néerlandaise sont, jusqu’à présent, sans commune mesure avec celles auxquelles est confrontée la Flandre. En 2012, des narcotrafiquants s’en sont pris à la maison communale de Waalre, dans le sud des Pays-Bas, parce que le bourgmestre avait contrarié les projets de quelques bandits de la région : l’édifice a été totalement ravagé par les flammes. Récemment, une enquête de l’association néerlandaise des bourgmestres a révélé que près de la moitié des édiles avaient déjà reçu de graves menaces. Un tiers des bourgmestres se disent inquiets pour leur sécurité et celle de leur famille. Autre chiffre qui fait froid dans le dos : un quart des bourgmestres affirment que des employés, des conseillers communaux ou des échevins ont déjà fait l’objet d’actes d’intimidation ou de tentatives de corruption.

La lutte contre le trafic de drogue commence par les consommateurs

Aux Pays-Bas, ce sont principalement les bourgmestres qui sont visés par les organisations mafieuses. Cette situation tient essentiellement à l’application de la « loi visant à faciliter l’évaluation de la probité par l’administration publique », qui donne aux bourgmestres le pouvoir d’ordonner la fermeture des commerces douteux et soupçonnés d’être liés au milieu du crime. L’intervention des bourgmestres néerlandais perturbe à ce point les opérations des criminels que ces derniers y répondent par la menace et la violence. Aux Pays-Bas, le ministère public s’est ainsi vu contraint de mettre sur pied une équipe spéciale chargée d’enquêter sur les menaces adressées aux responsables politiques.

En Belgique aussi, le gouvernement fédéral prépare un projet visant à mieux armer les villes et communes, par la voie administrative, dans le cadre de la lutte contre le crime organisé. Si cette idée se concrétise un jour, il faudra toutefois s’attendre à des représailles : il serait en effet naïf d’imaginer que le milieu de la pègre ne réplique pas si l’État s’attaque à son butin.

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