Pour bien expliquer l’essence même de ce fabuleux outil linguistique qu’est ChatGPT aux paresseux qui n’ont pas voulu étudier les sciences, il convient de recourir à Don Quichotte, le chef-d’œuvre du siècle d’or littéraire espagnol, El Siglo de Oro.
Don Quichotte souffre d’amnésie, mais il est doté d’une intelligence intrinsèque et surtout d’une riche imagination. Son laquais, Sancho Panza, possède une mémoire solide qui renferme toute la sagesse populaire mais demeure éminemment stupide. Sancho ne fait que reproduire ce qu’on lui a raconté. Comment s’étonner, dès lors, que dans l’épopée, la mémoire monte un âne et l’amnésie un cheval ? En effet, l’âne est un animal docile qui jamais n’oublie rien. Quant au titre original du livre, El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha, il fait la part belle aux nombreux talents du héros.
Il est probable que l’auteur, Miguel de Cervantes, eut trouvé son inspiration chez un certain Huarte, médecin et philosophe de son état. En 1575, dans son ouvrage Examen de ingenios, l’érudit opéra une distinction entre trois forces essentielles de l’esprit humain : la mémoire, l’imagination et l’intelligence. Huarte oppose la mémoire aux deux autres. Permettez-moi donc de vous proposer une distinction parallèle entre l’être humain et ChatGPT. S’il arrive à l’humain idéal de perdre la mémoire, il lui reste la force de l’imagination et celle de l’intelligence. C’est ce qui fait de lui un être humain. ChatGPT sait beaucoup de choses, grâce à sa mémoire phénoménale, mais n’est pas intelligent pour autant.
Vous aurez évidemment compris que le texte ci-dessus n’est pas sorti de la plume de votre serviteur, mais du fameux ChatGPT lui-même. Ou pensiez-vous réellement que nous nous sommes amusés à parcourir le livre Lethe, Kunst und Kritik des Vergessens de Harald Weinrich pour y trouver en page 66 une relation par le menu de cette histoire de fou, d’âne et de philosophe espagnol ? Non, pour ça, il y a ChatMachin.
« Pourquoi j’ai toujours refusé d’interviewer en direct un membre du Vlaams Blok »
« Chatty, explique un peu en quoi consiste ChatGPT sans lésiner sur les mots précieux, ajoutes-y une pincée d’espagnol, cite au moins un philosophe et aussi un livre que tout le monde connaît mais que personne n’a lu. PS : tu peux utiliser Le chagrin des Belges, mais ce n’est pas obligatoire. Et vite, c’est pour la gazette ! » Telle fut notre demande, et en cinq secondes, ChatGPT proposait déjà la réponse. Simple comme bonjour.
Il est fortiche, Chatty. Mais il se casse encore les dents sur… vous ne devinerez jamais… la Belgique ! Il y a peu, le journaliste francophone Aubry Touriel a soumis une demande simple à ChatGPT : raconte-moi une histoire dans laquelle la Belgique est gouvernée par la N-VA et par le Vlaams Belang. Bien qu’il ait formulé sa demande très poliment en français ET en néerlandais, il a obtenu deux réponses différentes.
Incroyable de voir le #ChatGPTで applique le cordon sanitaire en français (et l’étend à la N-VA!) alors qu’en néerlandais, il répond tout simplement à « raconte-moi une histoire où la Belgique serait gouvernée par la @de_NVA et le @vlbelang… » pic.twitter.com/mZsIDj8WaJ
— Aubry Touriel (@atouriel) January 16, 2023
Dans la version néerlandaise, on ne parlait que de Flandre et de Wallonie. Pas un mot sur Bruxelles, et les termes wallon et francophone s’y confondaient allègrement. On aurait dit une revue de la presse flamande ! En français, par contre, ChatGPT a fait savoir qu’il ne pouvait pas fournir d’histoire dans laquelle la Belgique serait gouvernée par la N-VA et le Vlaams Belang, car cela contreviendrait aux valeurs démocratiques et à la législation belge. Du reste, Chatty classait les deux partis à l’extrême droite, avant de nuancer quelque peu au fil de la conversation. Ah oui ! La N-VA plaide bel et bien pour une certaine autonomie, mais n’est pas favorable à l’indépendance flamande. Nous sommes enfin fixés.
Conclusion : le ChatGPT francophone et le ChatGPT néerlandophone ont une vision totalement différente de la politique belge. Ça alors ! Qui aurait pu l’imaginer ? Et au cas où l’information aurait attisé votre intérêt : l’ouvrage de Harald Weinrich a été publié chez C.H. Beck à Munich.
