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10·11·17

Révolution d’octobre : la gauche belge a perdu sa barbe

Temps de lecture : 3 minutes Crédit photo :

(c) OpenClipart-Vectors

Ludovic Pierard
Traducteur⸱trice Ludovic Pierard

Cent ans après la révolution d’octobre, l’utilisation du terme « classe » divise le PS, tandis que la revue marxiste flamande, le Vlaams Marxistisch Tijdschrift, met la clé sous le paillasson, signes de la perte d’influence en Belgique de l’auteur du Capital, pourtant jadis si craint.

Dans tous les partis de gauche, la pratique prévaut désormais sur la théorie, le concret sur l’utopie 

Bruxelles. L’émancipation personnelle et l’élimination des « excès » du capitalisme pour éviter le transfert des richesses vers une minorité ; tel est le postulat de base du nouveau manifeste socialiste rédigé fin août par Elio Di Rupo, qui devrait donner naissance dans quelques jours au successeur de la première déclaration de principe du Parti ouvrier belge (POB), pratiquement mythique, signée à Quaregnon en 1894. Mais celle-ci insistait aussi sur l’émancipation de « toute l’humanité », avec pour préalable indispensable la disparition du « système capitaliste » qui diviserait la société en deux classes ennemies : le prolétariat et la bourgeoisie. Pourtant, le terme « classe » n’apparaît plus dans le nouveau manifeste d’Elio Di Rupo, pas plus d’ailleurs que celui de « lutte des classes ».

« C’est vrai. Les mots changent, mais le combat reste le même », assure son porte-parole, Maxime Hardy, « c’est clairement le manifeste d’un parti de gauche. » Comme le prouverait la proposition du président du PS de passer à une semaine de travail de quatre jours.

 « Das Kapital » ? Pas lu…

Pourtant, l’absence du terme « classe » est un sujet sensible. Elle heurte à tout le moins la centaine de militants rassemblés sous l’étendard #grouponsnousetdemain, qui plaident depuis plusieurs mois pour un PS « plus à gauche ». Craignant que leur parti se dirige tout droit vers un abandon de toute prétention révolutionnaire, à l’image du SPD allemand lors de son congrès de 1959 à Bad Godesberg, ils ont signé leur propre manifeste, où ils affirment que : « (…) la lutte des classes reste un élément fondamental de la réflexion, de l’engagement et de l’action des socialistes pour un monde plus juste face au capitalisme et au néolibéralisme omniprésents et agressifs. »

Pourtant, la réflexion d’Elio Di Rupo n’est pas surprenante pour un parti qui a troqué la rue pour le parlement depuis plusieurs décennies. « Je n’ai pas lu Le Capital. Marx n’est pas ma tasse de thé », confiait Paul Magnette, le prince héritier du PS, il y a quelque temps dans L’Echo. « Nous ne sommes pas pour le collectivisme, mais pour une répartition correcte des bénéfices », a-t-il ainsi expliqué dans son dernier livre, La Gauche ne meurt jamais, pour résumer la ligne idéologique. En soulignant récemment dans une interview au Soir que la lutte des classes reste inscrite dans l’ADN du PS, Paul Magnette pourrait cependant donner l’impression d’une certaine combativité. Mais peu crédible. « Plus le POB gagnait en pouvoir et en influence, plus les références aux idées populaires marxistes sonnaient creuses et perdaient en crédibilité », a écrit Jaak Brepoels dans « Wat zoudt gij zonder ‘t werkvolk zijn ? », son ouvrage de référence sur le mouvement ouvrier belge.

Où sont les marxistes ?

Après s’être séparés du PS, les socialistes flamands ont rapidement renoncé au manifeste de Quaregnon. Aujourd’hui, leur président, John Crombez, est également mis sous pression par une aile gauche qui réclame un nouveau changement de cap, mais sans qu’on sache vraiment où mène ce retour aux sources si souvent annoncé. Le PTB/PVDA, qui a désormais le vent en poupe, a donc tout le champ libre pour revendiquer l’héritage marxiste. Mais même chez eux apparaît une fracture croissante entre les aspirations révolutionnaires établies dans les statuts et les exigences concrètes reprises dans les programmes électoraux (De Standaard, 21 octobre). Dans tous les partis de gauche, la pratique prévaut sur la théorie, le concret sur l’utopie.

Mais où peut-on encore, à l’heure actuelle, sentir brûler la flamme de ces idées ? Selon l’historien Jelle Versieren (Université d’Anvers), Marx était la figure dominante dans les sciences sociales belges entre 1950 et 1980. Le « matérialisme historique » et l’analyse des classes étaient populaires. Mais depuis 1980, les recherches menées sur la théorie de Marx sont quasiment inexistantes. Peu d’académiciens sont enclins à se définir comme marxistes, pour des raisons idéologiques, mais aussi professionnelles. Les études postcoloniales ou sur le genre, par exemple, sont bien plus à la mode que le réductionnisme économique qui caractériserait le marxisme.

La disparition du Vlaams Marxistisch Tijdschrift, justement cette année, est un élément révélateur de cette tendance. Il n’y avait plus assez de volontaires pour fournir et commenter des textes. Une initiative en ligne baptisée Lava doit bien combler ce vide avec le soutien financier du PTB, mais seule une poignée de contributions y ont été publiées pour l’instant, dont un hommage à André Mommens, ancien rédacteur en chef du VMT décédé cette année. « Avec la disparition du VMT et d’André Mommens, c’est de nouveau toute une frange de la vraie culture du débat en Flandre qui s’éteint, déjà assez peu représentée au sein de la gauche radicale », peut-on y lire. Les temps semblent durs pour quiconque ose encore se prétendre marxiste aujourd’hui.

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