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Pourquoi j’ai démissionné du talk-show « De tafel van vier »
13·09·22

Pourquoi j’ai démissionné du talk-show « De tafel van vier »

Elias Van Dingenen est comédien et a collaboré au nouveau talk-show de la chaine Play4, De tafel van vier. Lors de la première émission, le présentateur Gert Verhulst (également PDG de Studio 100) a laissé tomber une bonne trentaine de fois dans la conversation le mot « nègre » lors d’un débat sur le «wokisme». Cette discussion a suscité un tollé.

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

Image par mohamed Hassan de Pixabay

Fin août, lors de mon entretien d’embauche pour le nouveau talk-show de la chaine Play4, De tafel van vier, je débordais d’enthousiasme. Je voulais intégrer l’équipe d’une émission de télévision depuis si longtemps ! Cette opportunité qui m’était offerte me rendait ridiculement heureux, j’étais galvanisé par l’idée rafraichissante de faire partie d’une émission d’actualité qui faisait la part belle au débat et à l’échange de points de vue. Mon entretien de candidature consistait à décrire la façon dont j’organiserais un débat sur la crise des réfugiés.

Une demi-heure après ma candidature, un coup de fil m’annonçait que j’avais le poste. J’allais intégrer l’équipe d’une émission de télévision ! Mes premiers pas furent formidables. Volonté manifeste de créer du contenu de qualité, collègues compétents et enthousiasme à revendre. Ma première impression fut si bonne que j’ai même renoncé à mon emploi de responsable de la communication au sein d’une ASBL active dans l’accueil des réfugiés.

Je me suis d’emblée mis à fantasmer sur une nouvelle version du célèbre talk-show néerlandais, De wereld draait door. Cette émission, et son présentateur Matthijs van Nieuwkerk, était la référence incontestée en la matière, pour moi et pour tous ceux qui sont un jour accidentellement tombés sur la chaîne néerlandaise en cherchant un match de ligue des champions à la télé.

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Le lundi 5 septembre, j’ai donc pris la direction des studios de Play4, près de la salle de spectacle Zuiderkroon, à Anvers. Armé de tout mon courage, cartable sur le dos, j’étais paré pour la rentrée ! Qui s’est finalement très bien passée… L’équipe a préparé des dossiers en vue des prochaines émissions, nous avons sondé quelques experts, l’ambiance était bonne. J’étais convaincu que nous avions lancé une émission solide, soutenue par une excellente équipe.

« Je constatais avec consternation que mon patron, pour mon premier jour de travail, avait laissé tomber une bonne trentaine de fois dans la conversation le mot « nègre ». »

Pour le premier épisode, nous voulions un débat vif et nourri. « C’est quoi, être woke ? » Ce mot est aujourd’hui pratiquement devenu une insulte. À mes yeux, il ne se réfère pourtant à rien d’autre qu’à la prise de conscience de ce qui nous entoure et de la société dans laquelle nous vivons, à une volonté de combattre les inégalités, de traiter son prochain avec respect et d’être à l’écoute de celles et ceux à qui l’on donne trop rarement la parole. Si les choses sont correctement présentées, le sujet ne prête absolument pas à controverse.

Nous pouvions donc nous attendre à une première soirée bien remplie, rythmée par un savant mélange de sujets intéressants. Mais vers 20 heures, je constatais avec consternation que mon patron, pour mon premier jour de travail, avait laissé tomber une bonne trentaine de fois dans la conversation le mot « nègre ». Une situation à la fois surréaliste et embarrassante, à laquelle j’avais assisté en direct, assis devant le grand écran placé à l’extérieur du studio. Comment pouvait-on être à ce point déconnecté de la réalité ?

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Pourquoi jouait-il à ce jeu ? Est-ce une forme de xénophobie déguisée, destinée à séduire une partie de ses téléspectateurs ? De l’aveuglement volontaire ?

Ce soir-là, j’ai quitté le studio abasourdi. Arrivé à la gare d’Anvers-Berchem, je me suis commandé une Duvel et me suis mis à réfléchir.

« Le présentateur n’avait pas jugé utile d’être présent lors du débriefing de ce premier épisode chahuté. J’ai donc remis ma démission. »

En juin, j’avais prononcé une allocution dans mon ancienne école secondaire lors de la remise des diplômes. J’avais voulu faire passer le message suivant : dans la vie, nous devons partir en quête de notre identité. Quelles sont nos valeurs et quels idéaux plaçons-nous au-dessus de tout le reste ? Une fois que nous avons trouvé réponse à ces questions, laissons-les guider nos choix et nous aurons une belle vie. Il aurait été extrêmement hypocrite de ma part de ne pas suivre mon propre conseil.

Le lendemain, je suis monté à bord du train pour Anvers, avec un peu moins de courage que la veille. J’étais décidé à poser quelques questions à monsieur Verhulst si celui-ci était présent à la réunion de rédaction. En toute franchise, je ne serais resté que si ce dernier s’était fendu d’un mea culpa sincère. Manifestement, le présentateur n’avait pas jugé utile d’être présent lors du débriefing de ce premier épisode chahuté. J’ai donc remis ma démission.

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Irréfléchi ? Prématuré ? Pour moi, la raison d’être des valeurs, des normes et des idéaux qui nous animent, consiste précisément à les faire passer avant toute chose, indépendamment de l’inconfort que peut engendrer ce choix. Mes valeurs ne doivent pas être à géométrie variable et dépendre de la situation de mon compte bancaire ou de mon niveau de confort. Car dans ce cas, ce ne sont pas des idéaux, mais des mots creux, vides de sens, qu’on se répète pour se donner bonne conscience.

Il est pour moi essentiel de pouvoir défendre nos valeurs et nos normes. De pouvoir aller au-delà d’un carré noir partagé sur Instagram. Cet état d’esprit s’impose pour combattre les inégalités structurelles qui gangrènent le milieu des entreprises, l’espace public et nos sociétés.

« Les excuses que monsieur Verhulst s’est senti obligé de présenter face au tollé qu’il a provoqué m’ont laissé perplexe. »

De Tafel van Vier a déjà fait couler beaucoup d’encre. Permettez-moi d’ajouter ma pierre à l’édifice de ces critiques. Les excuses que monsieur Verhulst s’est senti obligé de présenter face au tollé qu’il a provoqué m’ont laissé perplexe. « Si je vous ai offensé de quelque façon, je m’en excuse ». Ainsi conjuguées au conditionnel, ces excuses rejettent la faute sur le téléspectateur. N’y ont droit que celles et ceux-qui qui ont été heurtés par les propos du présentateur. Pour les autres, inutile d’en faire tout un fromage. À l’évidence, le présentateur vedette aurait pu faire mieux.

Je souhaite le meilleur à tous les membres de l’équipe et espère qu’ils pourront mettre sur pied une émission de qualité. Je souhaite à monsieur Verhulst de pouvoir faire preuve d’un peu d’introspection. Pour qu’il puisse se rendre compte que, dans ce genre de débats, il vaut mieux écouter que parler. S’il désire s’entretenir de la meilleure façon de bâtir un empire médiatique, je me tairai bien volontiers pour l’écouter.

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