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24·11·15

Clichés, stéréotypes et humour (non) juif en prime time

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

(c) Dennis Skley

 

Connaissez-vous « De Slimste Mens ter Wereld »? Ce programme télévisé culte, incontournable au nord du pays et presque inconnu au sud, en est déjà à sa treizième édition sur la chaîne VIER. Au terme d’une longue série d’émissions, le gagnant est officiellement désigné comme « La Personne la plus intelligente du Monde », en Flandre du moins.

« De Slimste Mens » est notamment connu pour avoir joué un rôle non négligeable dans l’ascension irrésistible de la N-VA et de son président Bart De Wever. Après une première participation en 2006-2007, dans laquelle sa contribution aura été aussi brève qu’inaperçue, le leader des nationalistes flamands a retenté sa chance deux années plus tard. Cette fois, il parvient à se maintenir durant neuf émissions consécutives, une jolie performance et une des plus longues séries de l’histoire du jeu. En dehors de la culture générale du déjà alors grand homme de la petite N-VA, ce qui saute aux yeux des nombreux téléspectateurs est son grand sens de l’humour et sa répartie permettant à la Flandre de se familiariser avec le bonhomme. Nous connaissons tous la suite: son parti enchaînera les victoires électorales qui aboutiront à l’accession au gouvernement flamand, au mayorat d’Anvers, au gouvernement fédéral et au statut du plus grand parti du Royaume.

Mais en quoi consiste exactement ce jeu télévisé ? Du lundi au jeudi, trois candidats s’affrontent durant une heure. La particularité du quizz est que l’accent est mis sur les associations d’idées, qui vont au-delà de la culture générale au sens strict. Les points engrangés en cas de bonnes réponses le sont sous forme de secondes. Le candidat qui à la fin du quizz a accumulé le plus de secondes l’emporte. Les deux autres s’affrontent alors pour rester dans la course. Il n’est ici plus question de remporter du temps, mais de faire baisser le chrono de l’autre en donnant des bonnes réponses. Le premier qui voit son temps arriver à zéro perd et qualifie son adversaire pour l’émission du lendemain, en compagnie du gagnant du quizz. Le tout est animé par le réalisateur Erik Van Looy, connu pour ses films Loft et De Zaak Alzheimer, flanqué d’un binôme de comédiens-jury, dont le but est de rebondir avec humour sur les réponses des uns et des autres.

Humour douteux

La semaine dernière, c’était au tour d’Aaron Malinsky, un rabbin anversois et professeur à l’Université d’Anvers, de montrer au monde entier, ou plus précisément à la Flandre, l’étendue de sa culture. D’entrée de jeu, le rabbin avoue ne pas connaitre exactement le déroulement de l’émission, ne possédant lui-même pas de télévision. Il déclare avoir accepté l’invitation parce qu’elle entre dans sa volonté de mettre en place un dialogue interconfessionnel.

Ses adversaires du soir sont Tom Waes, un acteur, réalisateur et présentateur flamand, qui en est à sa huitième participation consécutive, et Jan Bakelandts, un cycliste professionnel ayant notamment remporté une étape du Tour de France en 2013. Le jury est lui composé du caricaturiste Jeroom et de l’actrice Ruth Beeckmans.

Dès l’entame du quizz, le caricaturiste s’étonne de retrouver le rabbin dans les studios car « les Juifs se sont perdus 40 ans durant dans le désert, que le sens de l’orientation leur fait donc défaut », une phrase qui enclenche l’hilarité générale de la salle. On constate rapidement la méconnaissance des Juifs dans l’espace flamand (en irait-il autrement en Belgique francophone ?) lorsque le rabbin explique « être marié avec deux…» et qu’avant même qu’il n’ait le temps de terminer sa phrase par le mot « enfants », le présentateur lui demande si la polygamie est autorisée dans le Judaïsme.

Au niveau du quizz, Malinsky ne s’en sort pas trop mal, rivalisant avec ses deux adversaires du soir en faisant également preuve de beaucoup d’esprit. Le caricaturiste, quant à lui, porte ce soir-là très bien son nom, caricaturant à outrance et faisant part de son humour plus que limite. Il raconte ainsi avoir eu dans sa jeunesse une amoureuse juive très douée en pijpenkrullen, les pijpenkrullen étant les papillotes des orthodoxes juifs et pijpen faisant référence aux fellations. La salle rit, Malinsky moins, et demande « de pouvoir repasser au quizz ».

Une fois n’est pas coutume, Tom Waes remporte le jeu. La dernière phase oppose donc le cycliste au rabbin. Contre toute attente, Aaron Malinsky s’impose sur le fil et se qualifie pour l’émission du lendemain.

Différente soirée, même topo

Le lendemain, le rabbin et Tom Waes sont rejoints par l’actrice et chanteuse blonde (fait qui a semble-t-il son importance) Eline De Munck. Le jury du soir se compose lui des comédiens Philippe Geubels et Stefaan Degand. Très rapidement, le rabbin se fait distancier. Philippe Geubels soulève le paradoxe de trouver un Geubels et un Juif sur le même plateau, alterne entre humour facile par rapport aux blondes et aux Juifs. Dans la foulée, il s’adresse au rabbin, lui indiquant avoir une montre en or qu’il voudrait faire expertiser.

Lors d’une question portant sur la série Beverly Hills, le rabbin sans télévision indique connaitre la réponse du fait de la confession juive du réalisateur, ce à quoi le présentateur répond très sérieusement « de toute façon, tous les réalisateurs et producteurs sont Juifs, non ? ». Aucune réaction dans le studio. Le rabbin ne parvient plus à combler son retard dans les épreuves suivantes. Tom Waes remporte la finale. Après deux émissions, le rabbin Malinsky est donc renvoyé chez lui, perdant par conséquent l’occasion d’être sacré Homme le plus intelligent du monde.

Au final, à la lumière de ces deux émissions, on est envahi par un sentiment désagréable. Là où on aurait pu espérer que la participation du rabbin permette de faire découvrir en prime time la communauté juive du nord du pays, on se rend surtout compte que ce sont les vieux stéréotypes habituels qui ont eu la part belle. C’est d’autant plus préjudiciable que les médias devraient justement jouer un rôle dans le renforcement de la cohésion sociale. Si la multiculturalité de notre société doit apparaître dans les médias, cela doit notamment se faire par une déconstruction des stéréotypes et non par leur renforcement. Le vivre-ensemble est à ce prix, et « De Slimste Mens ter Wereld » aurait sans doute mieux fait de contribuer à un monde plus intelligent pour l’Homme.

Jonathan Moskovic

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