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Les livres de Roald Dahl réécrits : « Il doit se retourner dans sa tombe »
22·02·23

Les livres de Roald Dahl réécrits : « Il doit se retourner dans sa tombe »

Marc de Bel est un célèbre auteur de littérature jeunesse en Flandre.

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

JONAS ROOSENS (BELGA)

Auteur⸱e
Virginie Dupont
Traductrice Virginie Dupont

Marc de Bel (68 ans) n’est pas anti-woke, il a même écrit une version woke d’une histoire qui sortira cet automne. Mais notre célèbre auteur jeunesse ne cautionne pas la réécriture des livres de son illustre collègue Roald Dahl. « J’ai retourné les choses dans tous les sens. C’est de la censure. Point. »

Marc de Bel sait ce qu’on ressent quand on voit des mots effacés dans ses livres au marqueur noir. « Roald Dahl doit se retourner dans sa tombe », affirme le célèbre écrivain flamand pour la jeunesse.

Vous croyez vraiment ?  Dahl a déjà accepté une adaptation de son œuvre pour que ses Oompa Loompas ressemblent moins à des esclaves.

« J’ai lu ses biographies : si on lui avait demandé de son vivant, il aurait refusé. On ne peut pas remanier les œuvres d’auteurs décédés, ni celles d’artistes tout court. On ne va quand même pas repeindre les seins nus d’Eve dans l’Agneau Mystique de Van Eyck. Ou imaginer une nouvelle version de « Ob-La-Di, Ob-La-Da » des Beatles, sous prétexte que « La-La-Li, La-La-Da » est plus correct. »

Adapter l’art à l’air du temps n’est bien sûr pas nouveau. Mais ne s’agit-il pas surtout de menus détails dans le cas de Dahl ?

« Non. Si on supprime l’adjectif gros pour décrire un être humain, pourra-t-on encore dire qu’un chat est gros ? Ou faudra-t-il écrire qu’il est énorme ? Un énorme chat peut être géant, mais maigre. Gros est un mot qui a une signification. On risque de tomber dans l’hypocrisie. »

Dahl utilise l’adjectif « gros » pour faire passer les enfants en surpoids pour des idiots, affirment ses détracteurs.

« Aujourd’hui, ce genre de descriptions qui, intentionnellement ou non, peuvent blesser les gens ne seraient plus possibles. Mais la responsabilité incombe à l’auteur. Si on supprime ces mots sans son accord, on applique une forme de censure. Quelle est la prochaine étape ? Brûler des livres ? N’est-ce pas la dernière chose que nous souhaitons ? »

Certains livres apparaîtront-ils peut-être sur une liste noire, des livres également populaires dans l’histoire ?

« Ce serait vraiment stupide de faire ça – j’ai encore le droit de dire ça ? Quand j’étais étudiant, une telle liste existait dans les écoles normales catholiques. Et qu’avons-nous lu en premier ? Mieke Maaike de Louis Paul Boon et Turks fruit de Jan Wolkers. »

Avant la censure de Roald Dahl, que pensiez-vous des idées woke ?

« Je n’ai pas changé d’avis. Je pense juste que les choses vont un peu trop loin avec Dahl. Tout est une question de respect.  Aujourd’hui, quand une personne n’est pas d’accord, elle le dit haut et fort. Je suis du genre à lui répondre : Vous avez raison. Mais moi aussi. Lorsqu’il s’agit d’une opinion, tout le monde a raison. J’aime mieux le jaune que le bleu, et vous préférez le rouge, respectons ça. Peut-on juste vivre les uns à côté des autres, sans constamment se crêper le chignon ? »

Vous écrivez des livres pour enfants depuis 1987. Adaptez-vous votre langage et vos histoires à l’air du temps ?

« Je ne ferai jamais dire sale pédé à l’un de mes personnages. Pas plus que je n’utiliserai le mot nègre.  Se servir de l’orientation sexuelle, de la religion ou de l’origine d’une personne pour la stigmatiser, ça ne se fait pas. Mais parfois, les sensibilités contemporaines butent sur mes histoires. (Rires) Dans De Katten van Kruisem, il y a une scène dans laquelle Joppe, le personnage principal, est dans son bain et joue avec son pénis jusqu’à ce qu’il sorte tout à coup de l’eau. Une partie de la communauté catholique en a été heurtée. Ou Blinker qui embrasse sa petite amie avec la langue ? Aïe, aïe, aïe; de la pornographie dans un livre pour enfants ! L’éditeur m’a demandé de supprimer ces passages, mais je n’accepterai jamais de le faire ! Ça s’est produit une fois contre ma volonté, mais heureusement pas à la même échelle que Dahl. »

Que s’est-il passé ?

« C’était dans une école réformée stricte aux Pays-Bas, quelque part au milieu des années 1990. Je suis allé faire un exposé là-bas, et j’y ai vu mon livre De zusjes Kriegel. Surpris, j’ai demandé à l’instituteur si le livre avait suscité des réactions – il traite de la magie noire, entre autres, et ce genre de sujet est toujours délicat dans les écoles bibliques aux Pays-Bas. L’instituteur a ouvert le livre, et j’ai constaté que certains mots et passages avaient été effacés au marqueur noir épais. Je regrette tous les jours de ne pas l’avoir repris. Ça me rappelle d’ailleurs que j’ai quand même cédé une fois à un éditeur. J’y pense parce que nous parlons d’écoles bibliques. En 2007, j’ai écrit Alien – qui peut être un prénom ou un extraterrestre – et ce livre a été choisi pour être offert en cadeau aux enfants de sixième, en Flandre et aux Pays-Bas. Chez nous : 10 000 commandes en un mois. Aux Pays-Bas : 2 000 maximum. Le titre posait problème. À l’époque, j’ai cédé. Le livre s’appelle Ik moet je iets vertellen aux Pays-Bas – le titre le plus moche qu’on puisse imaginer. Pardon : le titre le plus bestial. (Rires) »

Enfin, allez-vous sortir un Blinker woke ?

« Chaque fois que Blinker est dans le pétrin, sa petite amie Nelle vient à sa rescousse. Blinker était woke avant la lettre ! Le livre Het grote Boeboeks sortira cet automne. Les Boeboeks sont de petits lutins pour qui tout est quatorze fois plus petit. J’ai réécrit tous les contes de fées à leur format, y compris La Belle et la Bête. Alors que je terminais cette histoire, je me suis dit qu’une version woke pourrait être intéressante, avec un homme au lieu de la Belle et une femme à la place de la Bête. C’est un exercice amusant. Le lait maternel deviendra-t-un jour du lait paternel ? »

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