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« Les Flamands sont bien plus proches des Belges francophones que des Hollandais »
21·12·20

« Les Flamands sont bien plus proches des Belges francophones que des Hollandais »

Le 21 décembre, la Gazet Van Antwerpen dédiait un article à notre rédacteur en chef adjoint Aubry Touriel. Lors de cet article-portrait, il présente DaarDaar et évoque sa passion pour la Flandre, son parcours professionnel et ses ambitions.

Temps de lecture : 7 minutes Crédit photo :

Capture d’écran de l’interview double page dans la Gazet Van Antwerpen

On connaissait Björn Soenens, envoyé permanent de la VRT à New York, et Lia Van Bekhoven, son homologue dans la capitale britannique. Mais Anvers a aussi son « correspondant étranger » : Aubry Touriel, un jeune Liégeois qui couvre, pour les médias francophones, l’actualité de Flandre depuis notre métropole. « Oosterweel ? Personne n’en a jamais entendu parler de l’autre côté de la frontière linguistique. »

On s’est fixé rendez-vous dans son endroit préféré : le Béguinage. Assis à l’autre bout du banc, dans la lumière d’un soleil d’automne, le jeune correspondant de 32 ans tient tout d’abord à clarifier un point sémantique : « Je préfère ne pas parler de la Wallonie ou des Wallons. Près d’un quart des francophones du pays n’habitent pas en Wallonie, mais à Bruxelles. Ils ne sont donc techniquement pas wallons et ne se considèrent pas non plus comme tels. Le terme de Belgique francophone me semble plus approprié. » Votre serviteur en prend bonne note.

Aubry Touriel est donc un Belge francophone, wallon, de père français. Il est né et a grandi à Seraing, au sud de Liège, avant d’aller étudier la traduction (anglais, néerlandais, allemand) à l’Université de Mons. Son amour pour Anvers naît à la fin de la décennie précédente lors d’un séjour Erasmus Belgica à l’Institut supérieur des traducteurs et interprètes (HIVT) dans le quartier Zuid, en face du Musée Royal des Beaux-Arts.

« J’avais une chambre d’étudiant dans la Volkstraat. Exclusivement entouré de Flamands, j’ai commencé à apprécier la culture du nord du pays. Tous nos déplacements se faisaient à vélo, une habitude surprenante pour le Wallon que j’étais. Nous regardions De Slimste Mens (émission culte au cours de laquelle des célébrités flamandes s’affrontent sur des questions de culture générale, ndlr) – une excellente immersion culturelle ! »

Oosterweel

Aubry accroche tellement qu’il décide de s’installer en ville à demeure en 2014. « J’ai envoyé ma candidature comme correspondant pour la Flandre auprès de toutes les rédactions francophones ». Le succès est au rendez-vous : le journaliste écrit aujourd’hui pour la RTBF, le site francophone de la VRT, l’hebdomadaire Le Vif, le trimestriel Wilfried et le média indépendant Médor, spécialisé dans le journalisme d’investigation. Il est également le rédacteur en chef adjoint de DaarDaar.be, un site d’actualité encore peu connu en Flandre, mais qui gagne en popularité d’année en année en Wallo… – pardon, en Belgique francophone – depuis sa création il y a cinq ans.

« Nous traduisons chaque jour un ou deux articles de la presse flamande. Beaucoup de francophones ne maitrisent pas (bien) le néerlandais, mais souhaitent tout de même savoir ce qui se passe au nord du pays, sans passer par le filtre des journalistes francophones. L’idée originale est là : proposer l’information à travers une perspective flamande. Nous traduisons des billets d’opinion de Kris Vanmarsenille (rédactrice en chef de la Gazet van Antwerpen, ndlr) et de beaucoup d’autres éditorialistes. Nous choisissons souvent des sujets qui n’ont pas – ou très peu – été traités au sud du pays. Exemple : la liaison Oosterweel (projet pharaonique destiné à boucler le périphérique autour d’Anvers, ndlr). Sujet incontournable de la Gazet van Antwerpen, mais totalement inconnu de l’autre côté de la frontière linguistique ! Si d’aventure, un Liégeois ou un Luxembourgeois venait à être coincé dans les embouteillages du ring, il n’aurait aucune idée de ce qui s’y prépare ! »

WC

L’argent qui sert à financer le projet DaarDaar provient notamment de crowdfunding. « Il y a deux ans, l’écrivain-satiriste Thomas Gunzig a écrit une lettre ouverte invitant le public à soutenir notre travail. Un appel cosigné par une série de WC, des Wallons Connus (l’acronyme BV – Bekende Vlamingen, est très utilisé en Flandre en référence aux célébrités flamandes, ndlr). Parmi eux, Christophe Deborsu et Jaco Van Dormael. Cette campagne de financement participatif a été d’une grande aide. »

Parmi les autres sources de financement, le site bénéficie aussi de subventions publiques, notamment de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Fondation Roi Baudouin. « Nous avons même été frapper à la porte de Sven Gatz, à l’époque ministre flamand des Médias. En vain. Nous projetons de retenter le coup prochainement avec le nouveau ministre Benjamin Dalle. Nous aimerions à terme lancer une initiative similaire dans l’autre sens, en proposant des traductions en néerlandais d’articles de la presse francophone. »

Aubry estime ainsi que les Flamands gagneraient, eux aussi, à mieux connaitre leurs compatriotes francophones. La couverture médiatique des sujets du sud du pays aurait fortement diminué chez nous, tandis qu’on observe une tendance inverse en Belgique francophone. « Joyce Azar, rédactrice en chef de DaarDaar, présente tous les dimanches une rubrique ‘flamande’ de huit minutes au journal de la RTBF. Idem sur La Première, pendant francophone de Radio 1 (prononcez Radio Één, ndlr) ou dans l’hebdomadaire Le Vif, qui a aussi sa rubrique dédiée. Il m’est moi-même arrivé d’être invité une à deux fois par mois sur la chaine d’info LN24 comme expert de la Flandre. Parmi les autres habitués du plateau, Rik Van Cauwelaert et Wouter Verschelden. Clairement, l’intérêt pour la Flandre grandit. »

Podcast

Fort de cet engouement, Aubry décide cet été de partir sillonner les cinq provinces flamandes à vélo afin de réaliser un podcast baptisé Dring Dring. Il invite au préalable les lecteurs de DaarDaar à lui envoyer les questions qu’ils aimeraient poser aux locaux qui croiseraient sa route.


►►► Écoutez Dring Dring, le podcast qui vous fait découvrir la Flandre à vélo


« Nombre de francophones voient les Flamands comme un groupe homogène qui pense et qui agit comme un seul homme. Coup classique : ils s’imaginent que la plupart des Flamands sont d’affreux racistes, sans doute influencés par la montée en puissance du Vlaams Belang et de la N-VA dans les sondages. Tous sont mis dans le même sac, sans distinction. C’est regrettable. À travers ce podcast, j’ai modestement essayé de briser ce cliché et de mettre en lumière la diversité de la culture et des opinions de Flandre. Au cours de mon périple de douze jours, je n’ai rencontré qu’une seule personne aux propos ostensiblement racistes : sur un marché de Houthulst, aux confins de la Flandre-Occidentale, un olibrius s’est soudain mis à hurler que tous les étrangers devaient dégager. »

Ces stéréotypes sont d’autant plus dérangeants que l’autre côté de la frontière n’est pas dépourvu de racistes et de partisans d’idées d’extrême-droite. Mais aucun parti politique n’a jusqu’ici réussi à s’imposer sur ce terrain. « On dénombre quelques tentatives, mais aucun leader n’est parvenu à enthousiasmer les foules, analyse Aubry. De plus, les médias appliquent encore le cordon médiatique vis-à-vis de l’extrême droite. Jamais la RTBF n’ira interviewer un Tom Van Grieken en direct, alors que tout le monde s’arrache Bart De Wever. Certains journalistes paieraient pour se l’offrir, tant il paraît par moments inaccessible. »

Infiltré à la N-VA

Aubry sait de quoi il parle :  il a été membre de la N-VA. « J’ai entendu un jour que le parti organisait une soirée à Zuiderkroon pour y expliquer son programme. J’ai voulu y assister en tant que correspondant, mais on m’a rétorqué que l’événement était réservé aux adhérents, que les journalistes n’étaient pas les bienvenus. Je me suis donc rendu sur le site du parti et j’ai acheté ma carte de membre pour 5 euros ! Personne n’est venu vérifier par la suite que j’étais un bon Flamand, ironise-t-il.

Les politiques se comportent bien différemment en l’absence de journalistes, ils sont moins dans la retenue, plus incisifs. Ce soir-là, la N-VA a commencé par attaquer le CD&V, son partenaire de coalition à l’époque. C’est au cours cette période que le terme ‘kibbelkabinet’ a été inventé (gouvernement de la chamaille, coalition de la discorde, foire d’empoigne, ndt). Ce soir-là, je me suis dit que je tenais quelque chose. »

Aubry décide d’écrire un article dans Le Vif, qu’il signe de la plume de Dominique Dewael, un pseudonyme qui le fait toujours rire dans sa barbe hirsute aujourd’hui. Il va même plus loin et se met à suivre le parti de Bart De Wever. Pendant trois ans, il écrira une série de papiers explosifs sur les rouages du parti.

Jusqu’au jour où il décide de publier, sous son vrai nom, un reportage sur les six dernières années de gouvernance de la N-VA à Anvers, en préambule des élections communales. Le parti découvre alors l’identité de cette taupe. « Depuis, ils ne m’envoient plus leur newsletter, s’amuse Aubry. Et ils refusent mes demandes d’interview. Mais j’ai bon espoir que les choses se tassent un jour. »

Bart Van Loo

Au cours de son périple à vélo, le reporter organise ses nuitées via la plateforme Welcome to my Garden, fondée sur le principe du couchsurfing, à cette différence près que l’habituel sofa est remplacé par un emplacement dans un jardin où les voyageurs d’un soir peuvent installer gratuitement leur tente. Dans la province d’Anvers, il fait notamment escale à Duffel et Turnhout. « C’était un peu des vacances, une façon de joindre l’utile à l’agréable, en découvrant mon pays et ses habitants. Il me plaît de construire des ponts entre les communautés. »

Il fait remarquer que si les francophones ne connaissent pas bien la Flandre, l’inverse se vérifie tout autant. Il ne mâche pas ses mots : « Il faut oser le dire : on ne sait rien l’un de l’autre ». À ses yeux, l’origine de cette ignorance se trouve dans les différentes réformes de l’État, qui ont acté le transfert vers les entités fédérées de compétences telles que l’enseignement, la culture et les médias, trois piliers de la construction identitaire.

« Quand je demandais à mes interlocuteurs de me citer le nom d’un Wallon, j’avais droit – au mieux – à Eden Hazard ou à Jean-Claude Van Damme. Chez les jeunes, Stromae avait aussi la cote. Pour le reste ? Quasiment rien. Les auteurs, par exemple, sont inconnus au bataillon. Bart Van Loo jouit en ce moment d’une attention médiatique appréciable grâce à la sortie en français de son livre Les Téméraires (trad. Isabelle Rosselin et Daniel Cunin, ndlr), mais il reste une exception. Pour moi, il est primordial de faire davantage d’efforts. Comment comprendre les gens sans les connaitre ? Les francophones s’imaginent que les Flamands les considèrent comme inférieurs, qu’ils font un complexe de supériorité. Or, cela ne se vérifie absolument pas sur le terrain. En termes de mentalité et de mode de vie, les Flamands et les francophones sont bien plus proches les uns des autres que des Hollandais ou des Français ».

Confinement

On parle beaucoup ces derniers temps des différences entre les communautés, notamment vis-à-vis des mesures sanitaires, beaucoup plus contestées au sud qu’au nord. « C’est sans doute dû au positionnement de Georges-Louis Bouchez, le président du MR, qui mène une forme d’opposition à l’intérieur même du gouvernement, un peu à la façon de la N-VA lors de la législature précédente. Chez nous, l’histoire tragique d’une jeune coiffeuse liégeoise a eu un grand retentissement, alors que les médias flamands en ont à peine parlé : plongée dans une impasse financière à cause de la fermeture de son salon, elle a mis fin à ses jours. Un suicide qui a beaucoup joué sur la perception des mesures. N’oublions pas non plus que 30% des Belges francophones regardent les chaines de télévision françaises. »

Aubry, qui a vécu six ans à Anvers, a décidé très récemment de quitter notre ville pour suivre l’amour de sa vie à Bruxelles, officiellement encore capitale de la Flandre. Mais il revient très régulièrement dans la métropole anversoise, qui demeure sa première source d’inspiration. « Je viens de boucler un reportage sur le Temple jaïn de Wilrijk, encore un phénomène dont aucun francophone n’a jamais entendu parler. Je planche aussi à une série sur la montée en puissance du Vlaams Belang. L’idée est de faire entendre la voix des électeurs du parti, de mieux comprendre les raisons qui les poussent à voter pour ce parti. Une compréhension qui me semble essentielle. C’est l’essence même de ma démarche journalistique. »

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