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« Les Belges devraient recoloniser le Congo »
29·09·17

« Les Belges devraient recoloniser le Congo »

Temps de lecture : 3 minutes Crédit photo :

(cc) Pixabay

Marc Reynebeau
Auteur⸱e
Maxime Kinique
Traducteur Maxime Kinique

D’après un professeur américain, il reste des pages à écrire dans le livre du colonialisme. Un point de vue discutable ? Assurément. Mais un point de vue publié dans une revue scientifique. À moins que ce ne soit rien d’autre qu’un piège à clics académique ? 

Le politologue américain Bruce Gilley (Portland State University) a suscité l’émoi en affirmant que le colonialisme a été une bonne chose. Difficile d’imaginer plaidoyer moins orthodoxe. Gilley estime même que de nouvelles expériences de colonisation devraient être menées dès lors que beaucoup d’anciennes colonies sont aujourd’hui dans une situation pire qu’avant qu’elles accèdent à l’indépendance. Comme le Congo, à propos duquel le politologue affirme que « les Belges devraient peut-être y retourner. » Et il le pense, le bougre !  

Le retentissement suscité par les déclarations de Gilley s’explique principalement par le canal d’expression qu’il a utilisé, à savoir une revue académique respectée, Third World Quarterly (TWQ) en l’occurrence. Gilley prend ainsi le contrepied de l’orthodoxie historique et morale, qui soutient que la colonisation a engendré violence structurelle et exploitation, a été un déni de liberté et de souveraineté et est l’un des facteurs expliquant pourquoi nombre de pays en voie de développement se trouvent encore dans une situation préoccupante aujourd’hui.

Fake news

Une lecture attentive nous apprend toutefois que Gilley a surtout du mal à composer avec le discours postcolonialiste tel qu’il est débité à l’université et qu’il considère comme relevant de la mode du politiquement correct. Son plaidoyer se retrouve ainsi dans une tout autre discussion, qui s’inscrit dans un climat contemporain de fake news et de questionnement autour de la censure et de la liberté d’expression.

Cela étant dit, il y a une différence entre une opinion formulée sur Facebook, par exemple, et une publication dans une revue telle que TWQ.

Les publications de ce genre sont soumises à un test de qualité appelé « peer review ». Le principe ? Avant publication, des spécialistes évaluent chaque étude quant à sa solidité scientifique. Or, l’article de Gilley n’a pas réussi ce test de qualité et a qui plus est été rejeté par la rédaction de la revue elle-même.     

TWQ a toutefois fait comme si l’article de Gilley avait été validé via cette technique du « peer review », ce qui a poussé la moitié du conseil de rédaction à démissionner. Plus de 10 000 scientifiques ont signé une pétition dans laquelle ils affirment que la liberté académique est une valeur importante à leurs yeux mais qu’elle ne peut pas servir d’excuse pour cautionner, comme dans le cas de l’article de Gilley, des erreurs de raisonnement ou un manque de connaissance. Gilley a entretemps retiré lui-même l’article polémique, mais uniquement parce qu’il n’était plus possible d’avoir une discussion sereine dans ce contexte.

La volée de critiques qu’a essuyées Gilley pour son article n’est pas injustifiée. Gilley va même jusqu’à affirmer que le premier Premier ministre du Congo indépendant, Patrice Lumumba, « a fait l’apologie du régime colonial belge dans son autobiographie de 1962 ». 1962 est certes l’année de parution de la version anglaise de l’autobiographie de Lumumba (qui a été assassiné un an plus tôt) mais il n’en demeure pas moins que celle-ci date de 1957. L’expert René Lemarchand avance (dans American Political Science Review, 1963) une explication pour le ton modéré qu’y adopte Lumumba : avec son livre qui se voulait une voix dissonante face au régime colonial encore solide à l’époque, Lumumba cherchait à être entendu par un certain public belge et dans cette optique, il ne pouvait pas « livrer le fond de sa pensée en toute sincérité ». Ce qu’il a pu faire, en revanche, dans le célèbre discours qu’il a prononcé en 1960 à l’occasion de l’accession du Congo à l’indépendance. Un discours dont Gilley ne parle pas dans son article. S’il avait un tant soit peu soumis ses sources à un examen critique, il aurait compris qu’associer le nom de Lumumba à une enquête à décharge sur le colonialisme, c’était gratifier ce dernier d’un argument très faible.

Quelle mouche a piqué TWQ, alors, pour reconnaître à ce plaidoyer une crédibilité académique ? Beaucoup y voient une vulgaire manœuvre de piège à clics : TWQ a voulu faire du bruit pour attirer l’attention. Un article publié dans une revue académique n’attire jamais beaucoup de lecteurs. L’objectif de la manœuvre consistait dès lors davantage à servir la carrière de l’auteur que la science. Pari gagné, de ce point de vue-là, puisque deux semaines après sa publication, l’article de Gilley avait déjà été vu plus de 13 000 fois. Dans l’histoire presque quadragénaire de TWQ, seuls deux articles ont fait mieux.

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