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Le mois du Livre à Anvers ressemble plutôt à l’enterrement du secteur culturel
19·10·22

Le mois du Livre à Anvers ressemble plutôt à l’enterrement du secteur culturel

Gaea Schoeters est une écrivaine, scénariste, librettiste et journaliste belge.

L’auteur Jeroen Olyslaegers a refusé de s’exprimer lors du Bal du secteur flamand de l’édition à Anvers. Il proteste ainsi contre les suppressions des subventions des projets culturels.

Temps de lecture : 3 minutes
Auteure
Fabrice Claes
Traducteur Fabrice Claes

Lundi, l’auteur Jeroen Olyslaegers a ouvert le Bal du secteur flamand de l’édition à Anvers. Il a profité des festivités, qui marquent le coup d’envoi du Mois du livre, pour lancer une bombe dans la mare. De toute façon, il faut bien reconnaître que le monde du livre ne nourrit pas un intérêt démesuré pour cette petite sauterie, qui sert avant tout l’image de la ville d’Anvers.

Son geste s’explique par la décision de l’échevine de la Culture, Nabilla Ait Daoud (N-VA), de supprimer, pour les trois prochaines années, des subventions à des projets culturels. Par cette économie de 720 000 euros, elle signe, en ces temps de crise, l’arrêt de mort de toute une nouvelle génération de créateurs. « Ce n’est pas le moment de faire la fête », a réagi Olyslaegers.

La manœuvre peut sembler étrange, pour une ville dont les arts ont assuré la prospérité au fil des siècles, et qui aime à se présenter comme une ville d’artistes. Anvers se prévaut d’avoir donné naissance à la typographie sur les quais de l’Escaut. Les maisons d’édition et les auteurs y ont leurs racines. La mémoire de la littérature y est conservée, à la Maison des Lettres. D’un point de vue littéraire, Anvers est la ville du livre par excellence, et le reste du pays n’est qu’un parking[1].

« Anvers ambitionne de devenir une ville culturelle, mais coupe les fonds aux artistes. »

Du moins, tant que la littérature ne coûte rien et que les auteurs ne propagent pas trop d’opinions divergentes. Anvers se targue d’être la capitale gay du pays, mais elle laisse périr Kartonnen Dozen[2], la dernière librairie LGBT+ du Benelux. Anvers s’enorgueillit de nommer des Poètes de la ville, mais elle leur fait signer un contrat qui rend possible la censure, et n’hésite pas à en appliquer les conditions. Anvers ambitionne de devenir une ville culturelle, mais coupe les fonds aux artistes. Tant et si bien qu’en définitive, Anvers n’a que faire de l’art. Et encore moins des artistes, qui parasitent l’Œuvre de la ville. Ce que la ville veut, c’est de la publicité. Des panneaux et des posters avec de grands noms. Elle préfère oublier que ces noms ont pu grandir grâce à un terreau qui leur a été fertile. La ville veut récolter, mais elle refuse de semer.

J’en viendrais presque à appeler tous les auteurs, tous les metteurs en scène, tous les artistes et les étudiants en art à remplacer le Boekenbal, le Bal des livres, par un enterrement du secteur culturel. L’inhumation pourrait avoir lieu devant le Musée royal des Beaux-arts d’Anvers. Chaque créateur pourrait offrir une dernière demeure à un livre, une toile ou un costume de scène en le déposant dans la Fontaine profonde de Cristina Iglesias, une sculpture qui invite à la réflexion.

La ville d’Anvers doit reconnaître son histoire coloniale

Emportées par les marées du temps, les œuvres disparaîtraient, et de ce tombeau ouvert surgirait l’odeur pénétrante de l’art en putréfaction, une odeur qui dévoilerait la véritable nature du plus beau des musées anversois, dont les reflets dans la fontaine dissiperaient la grandeur. Finies, les parades et les belles fleurs. Finie, l’esthétique de façade. J’en appellerais presque à tout cela. Presque. Car ce faisant, les artistes encourraient une amende. En effet, quand il s’agit de faire payer la facture à ses citoyens, la ville sait reconnaître ses artistes. La Fontaine profonde a, du reste, coûté 850 000 euros. Juste histoire de donner un point de repère.

[1] Ndt : les Anversois ont tellement la réputation, en Flandre, de se prendre pour le centre du monde, qu’une plaisanterie récurrente consiste à leur faire dire qu’Anvers est LA ville, et que tout le reste n’est qu’un parking.

[2] Ndt : du nom du grand classique de Tom Lanoye, traduit en français par Les boîtes en carton, où l’auteur raconte la découverte de son homosexualité.

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