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15·04·16

La télévision publique flamande est-elle trop «bisounours»?

Temps de lecture : 5 minutes Crédit photo :

(c) Youtube

Le journal télévisé de la VRT présente-t-il la réalité à travers un prisme trop positif ? C’est ce qu’affirme une vidéo sur YouTube. Une critique balayée avec force par Paul Lembrechts, le nouveau CEO de la VRT, qui s’attelle à restaurer la confiance, analyse à l’appui.

Tout a commencé par un petit jeu de poker menteur plutôt innocent entre la VRT et VTM à propos du traitement médiatique de l’arrestation de Salah Abdeslam. VTM avait envoyé Rosalie Peeters devant ce qui allait par hasard se révéler être la cachette d’Abdeslam et la journaliste allait rendre compte en direct de toute l’opération. La VRT allait quant à elle réagir un peu moins promptement. « Parce que la police et le parquet nous avaient expressément demandé de ne pas diffuser d’images en direct », se défend-on du côté de la VRT. Une version des faits que conteste VTM.

Comme souvent, la vérité se situait quelque part entre ces deux versions. Aucune interdiction de diffusion n’avait été imposée mais Peter De Waele, le porte-parole de la police, avait exprimé des réserves par rapport à une couverture en direct des événements et les services de police insistent sur un code de conduite afin de mieux réglementer à l’avenir la retransmission en direct d’opérations policières.

Ci-dessous, la vidéo incriminante. A droite la couverture de la chaîne privée VTM, à gauchee celle de la VRT.

Quelques jours plus tard, le ministre-président flamand Geert Bourgeois (N-VA) allait lui aussi y aller de sa petite pique envers la VRT en regrettant que Het Journaal n’ait pas montré d’images des quelque deux cents jeunes d’origine allochtone qui s’étaient rassemblés après l’arrestation d’Abdeslam pour canarder les services de police à coups de bouteilles et de pierres. « Beaucoup de choses se sont passées ce soir-là en très peu de temps », réagit la chaîne de télévision publique, précisant que « nous avions décidé de concentrer notre couverture sur l’arrestation d’Abdeslam. »

Le service d’information de la VRT allait se relever sans trop de peine de ces deux attaques mais lorsque, le 4 avril, une vidéo critiquant la manière dont la VRT avait rendu compte des événements qui s’étaient déroulés ce week-end-là à Molenbeek est publiée sur YouTube, la chaîne publique commence tout de même à accuser le coup. L’auteur de cette vidéo n’est autre que Frank Thevissen, un ancien professeur de communication qui a été viré de la VUB il y a quelques années et qui est aujourd’hui collaborateur de groupe à la N-VA.

« Cela fait un certain temps déjà que je ne me retrouve plus dans le journalisme constructif tel qu’il s’affiche aujourd’hui à la télévision publique », explique-t-il. « Le reportage sur Molenbeek est la parfaite illustration des manquements de cette approche. »

Selon Thevissen, la VRT essaie de minimiser les faits dans ce reportage. La VRT montre surtout des images statiques, la caméra se détourne continuellement de l’action et le reportage adopte un ton badin.

Contrairement à son concurrent VTM, la VRT a de surcroît choisi de ne pas diffuser les images de cette femme qui s’est fait renverser par une voiture en fuite. Le clip YouTube montrant cette scène a été largement partagé sur les médias sociaux, y compris par des politiciens de droite, et s’est frayé un chemin jusque sur les sites web des journaux Het Laatste Nieuws et Het Nieuwsblad. La vidéo a entre-temps été vue près de 180 000 fois.

Björn Soenens, le rédacteur en chef de Het Journaal, a réagi la semaine dernière à l’émoi provoqué par la vidéo. « Frank Thevissen est ce professeur qui a été viré il y a quelques années de la VUB en raison de la médiocrité de ses prestations et de ses erreurs d’appréciation », souligne-t-il. « Aujourd’hui, il publie une vidéo manipulant la réalité, ce que je condamne. » L’initiative de Soenens lui a explosé en plein visage. La citation « veel spanning, maar geen echte rellen in Molenbeek » (NDT : beaucoup de tension, mais pas de véritables émeutes à Molenbeek) a été abondamment parodiée sur Twitter, Soenens devenant même une tendance.

Couper et coller

La VRT n’avait toutefois pas l’intention d’en rester là. Ces derniers jours, la vidéo de Thevissen a été épluchée seconde par seconde dans une tentative de vérifier ce qui a été coupé-collé, et où. Un vérificateur de faits a même été envoyé à Molenbeek afin d’essayer de découvrir qui avait filmé les images d’amateur que l’on retrouve dans la compilation de Thevissen.

Le résultat de ce travail tient en un document de trois pages qui montre point par point où Thevissen a manipulé la réalité, selon la VRT. Thevissen a par exemple coupé l’introduction où Wim De Vilder évoque une atmosphère tendue et les arrestations à la Bourse et à Molenbeek. L’interview réalisée sur place en direct par le reporter a elle aussi été fortement écourtée.

Thevissen s’est par ailleurs abstenu de montrer les images d’agents inactifs que VTM a également diffusées afin de mieux faire ressortir les deux fragments où l’on voit de l’action et de les compléter avec des images de Reuters et d’Euronews et des enregistrements amateur qui n’ont pas été diffusés sur VTM. Ce montage dont la VRT dénonce l’extrême subjectivité a pour objectif de faire croire aux internautes qu’il y a bel et bien eu des émeutes et que la VRT a tout fait pour ne pas les montrer. Il ne faut pas trop insister pour que Thevissen reconnaisse qu’il s’est adonné à un travail de couper-coller.

« C’est une pratique qui est utilisée dans chaque reportage », estime-t-il. « Je voulais mettre en avant les points qui m’interpelaient le plus. Et si j’ai coupé à l’un ou l’autre endroit, c’est parce que je sais que sur YouTube, ce sont les vidéos courtes qui sont les plus regardées. Mais contrairement à ce que d’aucuns suggèrent, je n’ai pas cherché à escamoter quoi que ce soit. »

Son analyse dans laquelle il s’attelle à décrédibiliser la vidéo de Thevissen, le nouveau CEO de la VRT Paul Lembrechts l’a mise sur la place publique par le biais d’une interview qu’il a accordée aux quotidiens De Standaard et De Tijd. Lembrechts ne s’était-il pourtant pas juré d’attendre l’été pour accorder ses premières interviews ?

« C’est vrai mais ici, une limite a été franchie », explique-t-il. « Cette vidéo manipulée n’est rien d’autre qu’une opération visant à nuire à l’image du service d’information de la VRT. C’est purement et simplement une tentative de manipulation de l’opinion publique. » Lembrechts en a conclu qu’il était de son devoir de sortir du bois afin de défendre ses collaborateurs.

Lembrechts lui-même ne voulait plus réagir hier à la question de savoir si ce n’était pas faire beaucoup d’honneur à la vidéo de Thevissen que d’en faire l’objet de sa première sortie médiatique en tant que CEO de la VRT. Son porte-parole Stijn Ombelets a toutefois signalé que l’on ne parle pas ici que d’une simple vidéo. « Ce qui est en jeu ici, c’est l’image qui est générée lorsqu’une vidéo telle que celle-ci est partagée sans aucune mise en contexte sur les médias sociaux et les sites web des journaux. » Il n’en demeure pas moins que Lembrechts souligne expressément que cette vidéo est le seul sujet sur lequel il souhaite s’exprimer dans ses interviews. « Je suis ici pour parler de la vidéo de Thevissen », réagit-il lorsqu’on l’interroge sur les critiques de Bourgeois.

Des émeutes, vraiment ?

Entre-temps, la rédaction serre les rangs. Dans un texte publié sur www.deredactie.be, le rédacteur en chef et le conseil de rédaction soulignent que la crédibilité sera toujours prioritaire à leurs yeux. « Nous nous devions de faire entendre notre voix », affirme le président du conseil de rédaction Tim Pauwels.  « L’une des pires critiques que vous puissiez formuler envers un journaliste est d’insinuer qu’il cache délibérément des choses. »

Nous laisserons le dernier mot dans cette affaire à Johan Berckmans, le porte-parole de la police de la zone de Bruxelles-Ouest, dont relève notamment Molenbeek. Peut-il démêler le faux du vrai dans ce jeu de poker menteur entre la VRT et Thevissen ? Et répondre à la question de savoir si, oui ou non, il y a eu des émeutes le samedi 2 avril ?

« Une chaise et quelques pierres ont été lancées en direction de la police. Il n’y a eu ni dégâts, ni victimes, ni à aucun moment confrontation physique. Pour nous, les choses sont claires : il n’y a pas eu d’émeutes ce jour-là. »

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