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Méditation et pleine conscience… ou l’art de se sentir mal
23·10·20

Méditation et pleine conscience… ou l’art de se sentir mal

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

Photo by Simon Rae on Unsplash

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Pour la plupart des gens, la méditation consiste à percevoir la nature fondamentalement positive, belle et agréable de toutes les choses qui nous entourent. Si lon se heurte à soi-même, cest notamment à cause de la croyance selon laquelle tout doit être parfait, daprès le scénariste et écrivain Tom Hannes.

« La méditation peut-elle améliorer le bien-être des enfants ? L’université de Gand cherche des écoles primaires afin de se pencher sur la question », titrait un article paru la semaine dernière sur le site de la VRT. On pourrait penser qu’un homme comme moi – bouddhiste zen de longue date – a de quoi se réjouir à la lecture d’un tel titre. Ce fut, en effet, ma première réaction. Jusqu’à ce que, deux secondes plus tard, mon esprit fasse tilt : « N’allons pas trop vite en besogne… »

Notre sentiment de bien-être général s’effondre

Au cours de la dernière décennie, la réputation de la méditation a considérablement évolué. Depuis l’avènement des programmes de pleine conscience, la pratique est de plus en plus présentée comme un élément essentiel de la vie moderne. Car, comme nous le savons, notre sentiment de bien-être général s’effondre. Et la méditation semble pouvoir remédier au problème sans demander trop d’efforts en retour. En effet, cette pratique mentale n’exige pas d’embrasser quelque croyance que ce soit, ni de s’adonner à des rituels particuliers : il suffit de s’asseoir vingt minutes par jour. Le tout sans engagement, et récompense à la clé à tous les coups. Nul ne s’étonnera du succès grandissant de la discipline.

La méditation m’aide surtout à mieux gérer mon mal-être

Je n’émets évidemment aucune réserve à l’égard des cours de méditation à l’école ou de l’enquête menée par l’université de Gand. Puisse ma fille y participer. Je n’ai d’ailleurs aucun reproche à faire à l’article proprement dit. Or si le diable se cache d’ordinaire dans les détails, ici, il est présent dans le titre. Bien entendu, les titres sont les attrape-clics qui massacrent délibérément la subtilité de l’article qu’ils chapeautent. C’est précisément la raison pour laquelle le choix des mots importe autant dans l’en-tête. Les titres n’essayent pas uniquement de nous vendre quelque chose, ils nous racontent également ce que nous sommes censés trouver évident. Ils mettent en lumière ce qui survit dans nos esprits. Prenez l’exemple suivant : la méditation sert à se sentir bien dans ses baskets. Qu’est-ce qui peut bien clocher dans une telle affirmation ? En soi, rien. Je dirais même plus : c’est tout le mal que je vous souhaite. Mais en ce qui me concerne, plus je me fais vieux et plus je médite longtemps, plus il m’apparait clairement que la méditation m’aide surtout à mieux gérer mon mal-être.

On amasse, puis on se prélasse

Si l’on se heurte à soi-même, aujourd’hui, c’est en partie à cause de notre croyance selon laquelle tout doit être parfaitement en ordre. Les défauts relèvent du scandale. Cette idée se reflètent à travers deux tendances. La première est ce que l’on appelle communément la culture de « l’appât du gain » : plus je gagne de l’argent, plus j’accumule des biens et j’engrange des expériences à gauche à droite, et plus j’atteindrai un score élevé sur l’échelle du bonheur. Plus je m’y attèle, plus j’en tirerai de l’énergie. Des recherches scientifiques sur le bonheur ont détricoté ces dogmes depuis des dizaines d’années, mais notre société continue de s’y accrocher. La course à la grandeur, à l’efficacité, poursuit son rythme effréné, poussée par la sacro-sainte pensée selon laquelle le bonheur se trouve au bout du tunnel, par-delà l’horizon : là où la perfection sera enfin au rendez-vous.


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La culture de l’appât du gain est extrêmement éreintante. C’est pourquoi nous avons besoin, durant notre temps libre, de nous abandonner dans une culture secondaire que l’on pourrait qualifier de monde des Bisounours. Guère de concurrence ici, nous sommes tous des oiseaux de paradis, confortablement installés dans notre petit nid douillet. Nous délaissons l’action à-tout-va pour le prélassement. Nous ne grapillons plus rien, au contraire, nous lâchons du lest. Rien n’est imposé, tout est autorisé. Nous apprenons à percevoir que toutes les choses qui nous entourent sont fondamentalement positives, belles et agréables telles qu’elles sont. Il s’agit là de notre deuxième façon d’atteindre la perfection, à tout moment et en toute chose. C’est également sous ce prisme que nous abordons le plus souvent la méditation.

Détends-toi un peu !

Le titre de l’article peut être considéré comme un « attrape-clics », dans la mesure où il véhicule l’image omniprésente de la méditation en tant que « pause salutaire dans la culture du profit ». Il s’agit, en somme, d’une manière de tenir le coup. On amasse en journée, et on se prélasse en soirée, avant de se replonger dans la course au profit le lendemain. L’appât du gain et le prélassement sont ainsi les deux faces d’une seule et même pièce. La pièce qui nous force tous à être en permanence de belles pommes brillantes de supermarché, faute de quoi nous passons pour des louches. « Quoi ? Tout ce boulot ne te stimule pas ? Tu n’as qu’à t’inscrire à un cours de pleine conscience ! » « Comment ça, ton coussin de méditation ne te procure aucune sensation de joie ? Apprends donc un peu à te détendre ! »

À force d’élever toujours plus la perfection au rang d’impératif existentiel, on entre en conflit avec soi-même et avec les autres.

Si nous voulons faire plus de place à la méditation au sein de notre société, il faut en saisir ses rouages de A à Z. La méditation est bien plus qu’un petit moment de répit que l’on s’accorde avant d’entrer à nouveau dans l’arène. Il convient de ne pas (seulement) considérer la médiation comme le chemin du bien-être, mais aussi et surtout la voir comme un enseignement permettant de mieux appréhender le mal-être. À force d’élever toujours plus (et de plus en plus inconsciemment) la perfection au rang d’impératif existentiel, on entre en conflit avec soi-même et avec les autres.

Nous avons tendance à perdre de vue un élément crucial : le tragique intrinsèque de l’existence. Et qui dit loin des yeux, dit loin du cœur. Sans tragique, un cœur humain se retrouve bien vite dépourvu de noblesse. Nous ressentons aussitôt un vide que nous pensons devoir combler tantôt par l’amassement, tantôt par le prélassement. Vaines démarches. Utiliser la méditation pour se sentir mieux, d’accord, au fond, pourquoi pas. Mais la belle vie n’a rien à avoir avec le fait de vouloir constamment ressembler à une pomme de supermarché, brillante et sans le moindre défaut. D’où l’importance de s’initier, soi-même et mutuellement, au zen en tant qu’art du mal-être. Un monde nouveau nous ouvrira alors ses portes. Un monde meilleur. Tenez-le-vous pour dit.

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