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07·08·15

Le temps est venu pour une agriculture 3.0.

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

Matthias Ripp

Le malaise qui règne dans le secteur de l’agriculture incite à souhaiter un retour à un maraîchage domestique et durable.

Des agriculteurs français qui vous pourrissent les vacances en vous bloquant sur les routes, des agriculteurs belges qui déversent un camion-citerne entier de lait sur la chaussée, un analyste qui affirme qu’un agriculteur doit pouvoir « se vendre » et « se réinventer »… Il serait bon de temps en temps que nous prenions conscience que tout ce que nous mangeons nous a été donné par la nature, a été récolté par l’agriculture et a souvent parcouru un paquet de kilomètres avant de se retrouver dans notre assiette. Le temps de la réflexion et du bon sens a sonné.

À y réfléchir, l’activité agricole n’a pas plus de 10 000 ans. C’était du temps où, suite à la dernière ère glaciaire, l’homme avait décidé de se sédentariser et de s’établir durablement en un même endroit. Un nouvel ordre social en est né, de même qu’une société, la notion de ville, une économie, une culture (en latin, ce terme signifiait à la base « agriculture ») et au bout du compte, un système industriel qui organise l’agriculture à grande échelle.

« Tout le monde connait l’histoire des porcs flamands transportés en Italie et ensuite rapatriés sous forme de jambon de Parme. »

Mais cette activité agricole a été chambardée par les lois de la macroéconomie. Tout le monde connait l’histoire des porcs flamands transportés en Italie et ensuite rapatriés sous forme de jambon de Parme. Je lisais il y a quelque temps que la Belgique produisait une grande quantité de farine de blé, mais que notre pain quotidien était principalement produit à partir de farine de blé allemande et française. La nôtre est destinée à l’alimentation animale et essentiellement vouée… à l’exportation. Sûrement rentable économiquement, mais cela nous rend dépendants, nous aliène de notre propre sol et endommage l’environnement.

Le marché global européen et la mondialisation ne jurent que par l’expansion et la circulation mondiale, par lesquelles du lait subventionné par l’Union européenne s’est retrouvé en Afrique, détruisant l’économie locale par la même occasion.

Par la diminution inévitable des prix, habilement exploitée par les chaînes de supermarchés, le démantèlement de ce système pernicieux a mis à mal les agriculteurs et leurs surplus. Voilà d’où vient le tumulte actuel.

L’héritage de Luc Versteylen

Au fond, il nous faut bien faire le constat que les aliments de notre assiette ont parcouru un très long trajet, nécessité trop d’énergie et exigé une trop grande superficie de terre. Nous mangeons trop et mal, et nous produisons de surcroît énormément de déchets. C’est la fameuse empreinte écologique : de quelle surface productive un être humain a-t-il besoin pour couvrir l’ensemble de ses besoins (cela inclut donc l’alimentation, mais aussi l’électricité, la mobilité, les autres biens de consommation, etc.) ?

Il existe des chiffres. Un citoyen nord-américain consomme 9,2 ha de surface productive pour combler l’ensemble de ses besoins. Un Africain moyen en consomme 1,4 ha. Nous, Européens occidentaux, nous situons vers les 5,1 ha. L’industrie de la viande en est le principal facteur, mais les transports absorbent aussi beaucoup d’énergie. Il suffit de penser aux kiwis de Nouvelle-Zélande. Y a-t-il une solution ?

En 1991, le père jésuite Luc Versteylen fonde le parti Agalev. « Anders gaan leven », Vivre autrement. Une devise osée à laquelle les bureaucrates verts tels que Jos Gheysels tordront plus tard le cou de manière magistrale. Cependant, le principe même mérite à nouveau réflexion : nous nous frayons un chemin à travers la vie, perdant le contact avec la nature, surexploitant cette planète mais aussi et surtout notre propre existence. Une existence qui nous domine, qui nous consomme comme tout ce qui termine dans une moulinette à viande. Nous sommes devenus un troupeau transhumant, du bétail électoral, de la matière fantôme qui alimente les statistiques, l’équivalent d’un cheptel élevé en un temps record pour l’abattage.

Luc Versteylen avait compris qu’une « révolution écologique » devait aussi consister en un changement de mentalité, une réflexion identitaire sur notre place d’humain et de citoyen dans la société et dans tout ce cirque macroéconomique appelé « société de consommation ». Avons-nous vraiment besoin du tout dernier iPhone ? Devons-nous à tout prix nous envoler deux fois par an vers une destination exotique pour nous ressourcer mentalement ? Un barbecue doit-il forcément être une orgie viandeuse ?

Agriculture 3.0.

La crise alimentaire est une problématique économique, mais aussi une crise politique et culturelle. Nous avons perdu le contact avec la terre et nous allons devoir le rétablir d’une façon ou d’une autre. Comment ? Il ne suffira pas de purger sa consommation d’énergie ou de manger moins de viande. Il ne s’agit pas de faire le jeûne ou le ramadan. Cela passera par un retour à la culture domestique des légumes dans notre jardin, à la nécessité de « cultiver son jardin » comme disait Voltaire, afin de ramener la nature au plus près de nous. Son contact est utile autant qu’esthétique. Les poules se nourrissent de déchets, pondent les œufs que nous mangeons. Ces poules ont aussi un nom, elles sont « quelqu’un ». Tuer Germaine ou Henriette, cela demande du courage et les enfants prendront conscience que ce morceau de viande dans leur assiette a un jour appartenu au règne du vivant.

Après les petits cultivateurs et l’agro-industrie, le temps de l’ agriculture 3.0. est peut-être venu. Et si la Flandre surprenait le monde ? Des jardins et des serres partagés, des légumes et des plantes comestibles sur des terrasses, des balcons-jardins, des fermes urbaines, et pourquoi pas des porcs sur les toits : la ville doit aussi prendre part à la transformation du monde en potager parcellisé, où tout un chacun devient un peu cultivateur et cultivatrice. La « campagne » telle que nous la connaissons disparait tout en devenant omniprésente. Passer son temps libre à cultiver ou produire sa propre nourriture crée l’autonomie, mais aussi une nouvelle répartition du travail. Les surplus sont vendus localement. Et cette philosophie implique aussi un gain d’énergie, loin des grands réseaux dominés par le profit et la politique.

Il ne s’agit en rien d’une vision utopique ingénue, mais d’une idée réaliste, qui met l’accent sur la valeur du travail : nous agissons, chacun de notre côté, sur notre petit carré de terre. Dans ce monde, le chômage n’existe pas. Nous récolterons bientôt notre premier légume et bye-bye Delhaize et consorts. Accueillons à bras ouverts cette période de vaches maigres.

Johan Sanctorum pour le Doorbraak

L’article original en V.O.

Traduit du néerlandais par Guillaume Deneufbourg

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