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L’homophobie en Afrique n’est rien d’autre qu’un héritage de l’époque coloniale
16·01·23

L’homophobie en Afrique n’est rien d’autre qu’un héritage de l’époque coloniale

Raf Njotea est scénariste et présentateur. Il écrit une chronique pour De Standaard, qui paraît un jeudi sur deux.

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

Image par Talpa de Pixabay

Auteur
Maxime Kinique
Traducteur Maxime Kinique

Le créateur de mode et activiste LGBTI kenyan Edwin ­Chiloba a été retrouvé mort il y a deux semaines, les yeux arrachés. Il a été sauvagement assassiné, jeté dans une malle métallique et abandonné sur le bas-côté de la route. Les autorités du pays ne confirment pas (encore ?) la thèse du crime haineux, mais force est de constater qu’il y a des antécédents en la matière au Kenya, avec le meurtre violent en avril 2022 d’une personne non binaire, Sheila Adhiambo Lumumba, et ceux en 2021 de l’activiste trans Erica Chandra et de l’activiste LGBTI Joash Mosoti. Le Kenya est l’un des nombreux pays au monde (ils sont près de septante !) où l’homosexualité est un crime, passible de quatorze ans d’emprisonnement. Et dire que c’est encore pire dans onze autres pays, où les homosexuels risquent carrément la peine de mort !

C’est triste à dire, mais la majorité des pays qui criminalisent l’homosexualité se situent en Afrique et en Asie. Les homosexuels n’y écopent certes pas tous d’une condamnation effective, mais n’allez pas croire que les personnes queer peuvent y vivre tranquillement, tant leur quotidien est obscurci par la haine et la violence.

Cette haine est alimentée par les voix conservatrices qui affirment que l’homosexualité n’est pas intrinsèque à leur pays ou à leur culture, mais que c’est l’héritage des mœurs occidentales corrompues. De tels propos témoignent d’une grande méconnaissance de l’histoire dès lors qu’on sait que beaucoup de cultures, y compris en Afrique et en Asie, ont longtemps été bien moins rigoureuses que l’Occident chrétien en matière de délimitation juridique des notions de genre et de sexualité. De nombreuses traces écrites en attestent, des hijras en Inde, qui sont trans ou intersexués, aux muxes fluides au Mexique en passant par les prêtres okule et agule en République démocratique du Congo et en Ouganda, etc.

« La criminalisation de l’homosexualité dans de nombreuses ex-colonies est une conséquence directe de la législation britannique. »

Ce n’est donc pas l’homosexualité, mais bien sa criminalisation qui constitue l’ « héritage occidental corrupteur » qui a gangrené ces cultures. Et à cet égard, l’Empire britannique, avec son rayonnement planétaire, a joué un rôle incontestable. La criminalisation de l’homosexualité est une conséquence directe de la législation britannique. Lorsque les Britanniques ont commencé à imposer leur système juridique et leur législation dans les colonies, ils n’ont pas laissé de côté l’article criminalisant l’homosexualité. En Inde, cela s’est passé dans les années 1860. Cette pénalisation de l’homosexualité aurait été motivée par la crainte que des soldats britanniques non mariés et du personnel colonial soient tentés de transgresser les normes victoriennes en vigueur en matière de sexualité. À l’époque, beaucoup considéraient les colonies comme des lieux exotiques peuplés de dépravés et cette perception a perduré pendant très longtemps.

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Bien entendu, affirmer que les autres orientations sexuelles et la fluidité de genre ont socialement toujours été parfaitement acceptées dans toutes ces cultures avant l’arrivée des Britanniques reviendrait à travestir la réalité, qui est forcément plus complexe. En d’autres temps, il n’était pas rare, par exemple, que les hijras indiens soient exclus de la société. Tout ce qui déroge à la norme est vite accueilli avec une certaine réticence par la société, mais l’impact de la loi sur les normes sociales est considérable. Si vous adoptez une législation qui criminalise l’homosexualité, le message que vous envoyez est que cette dernière constitue un fait punissable et il va de soi que cela contribue à généraliser le rejet de la société envers la communauté homosexuelle.

En Inde, une ancienne colonie britannique, la Cour suprême a dépénalisé l’homosexualité en 2018. C’est une étape très importante, qui contribuera à plus de tolérance et à moins de haine et de violence envers la communauté LGBTI. L’exemple de l’Inde nous montre qu’une telle évolution est donc possible, mais la lenteur de cette évolution confirme ce que nous savions déjà, à savoir que réparer les erreurs du colonialisme n’a rien de simple. Ce n’est pas un hasard si la plupart des presque septante pays où l’homosexualité n’a toujours pas été décriminalisée sont d’anciennes colonies britanniques et si un grand nombre de ces pays appartiennent toujours au Commonwealth.

« N’oublions pas qu’il y a également, dans tous ces pays, des visions divergentes et des voix dissonantes, celles de courageux et courageuses activistes qui se battent chaque jour pour les droits des membres de la communauté LGBTI, parfois au prix de leur vie. »

Les trois pays voisins que sont la Guyane, le Surinam et la Guyane française nous fournissent un parfait exemple de ces traces du passé britannique. Car si tant le Surinam, une ancienne colonie néerlandaise, que la Guyane française, un territoire d’outre-mer qui appartient officiellement à la France, ont adopté des lois pénalisant les discriminations envers la communauté homosexuelle, les relations sexuelles entre personnes de même sexe constituent toujours un crime dans l’ex-colonie britannique qu’est la Guyane. Cette différence de traitement nous montre à quel point le poids du passé peut impacter très concrètement le présent.

Après un événement aussi barbare que le meurtre de Chiloba, il est tentant de verser dans la critique culturelle facile et de fustiger le caractère prétendument arriéré des pays d’Afrique ou d’Asie et l’ultraconservatisme qui y sévit en matière de mœurs sexuelles. Le fait est, toutefois, que les droits des personnes LGBTI sont (nettement) mieux respectés chez nous que dans beaucoup d’autres endroits du monde. Mieux vaut être homo ici que là-bas. Cependant, n’oublions pas ce contexte historique et rappelons-nous, surtout, qu’il y a également, dans tous ces pays, des visions divergentes et des voix dissonantes, celles de courageux et courageuses activistes qui se battent chaque jour pour les droits des membres de la communauté LGBTI, parfois au prix de leur vie.

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