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Cyberharcèlement : pourquoi les jeunes filment leurs actes de violence?
22·08·23

Cyberharcèlement : pourquoi les jeunes filment leurs actes de violence?

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

Photo de Andrew Guan sur Unsplash

Ces dernières semaines, pas moins de trois vidéos de jeunes humiliant et battant leurs victimes sont devenues virales sur les réseaux sociaux. Chose surprenante : les coupables ont diffusé eux-mêmes les images violentes. N’ont-ils pas peur de se faire démasquer ? « Pour eux, c’est une manière d’attirer les regards. »

La semaine passée, une fois de plus, les réseaux sociaux ont révélé la plus immonde de leurs facettes. À Zelzate, un garçon, à qui l’on criait « un bisou, un bisou », a dû s’agenouiller pour embrasser les chaussures des auteurs de la vidéo, avant d’être « récompensé » par des coups de pied. Le même genre de coups qu’avaient donnés, sur le Meir d’Anvers et au Sportpaleis, des filles violentes, qui, elles, ont reçu des menaces de mort en retour. À Saint-Trond, dans le Limbourg, un garçon a été forcé de s’agenouiller, cette fois-ci pour s’excuser auprès de « El Patron ».

Si les faits sont indépendants les uns des autres, les jeunes harceleurs ont en commun un évident manque de scrupules. Au lieu de prendre leurs jambes à leur cou, ils attirent l’attention sur leur propre personne. Non seulement ils enregistrent des vidéos de leurs actes, mais en plus, ils les postent sur divers réseaux sociaux. Résultat : d’autres (jeunes) utilisateurs d’Internet ont liké et partagé ces images, désormais virales.

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C’est ce que les experts appellent le happy slapping, ou le vidéolynchage. « Ce qui caractérise le harcèlement en ligne, dont participe ce phénomène, c’est ce mélange des composants numérique et physique », explique Catherine Van de Heyning, experte en cyberviolence à l’université d’Anvers. La tendance n’est certes pas neuve. « Cette pratique, venue d’Angleterre, existe depuis la naissance du smartphone. Et comme toutes les tendances, elle connaît des hauts et des bas. L’une des premières vidéos virales en Belgique remonte à 2008, avec l’humiliation d’un garçon porteur d’un handicap à Anvers. »

Culture de l’image

Depuis lors, bon nombre d’études se sont penchées sur les raisons d’un tel phénomène. « Il en ressort que les causes peuvent être multiples. Et elles se décèlent parfois toutes chez une seule et même personne », ajoute Mme Van de Heyning. Par exemple, pour certains jeunes, la culture de l’image dans laquelle ils sont nés joue un rôle certain : « Dans la tête de nombreux jeunes, une chose n’existe que si elle a été filmée. Des concerts aux vacances, ils documentent chaque moment de leur vie. Parfois sans même y penser. »

Bien entendu, le fossé est énorme entre la vidéo de nos artistes favoris et une scène violente dont on est l’un des protagonistes. Les jeunes ne comprennent-ils pas cette différence ? En guise d’explication, Mme Van de Heyning se réfère à une forme moins lugubre et plus innocente de contenu en ligne : les vidéos de danse sur TikTok. « On y voit des jeunes qui imaginent sans cesse de nouvelles tendances pour sortir de la masse. On peut considérer que les clips violents constituent, en quelque sorte, une façon de faire le malin, d’attirer les regards, d’acquérir un statut. »

« Les clips violents constituent, en quelque sorte, une façon de faire le malin, d’attirer les regards, d’acquérir un statut. »

Les groupes de discussion sur Telegram représentent un lieu idéal pour poster de manière relativement anonyme les vidéos que l’on a prises. Les vidéos d’actes misogynes et de harcèlement s’y échangent abondamment. Mais en fin de compte, les vidéos violentes atterrissent parfois sur d’autres réseaux sociaux, comme Twitter, Snapchat ou Instagram. Mais qu’est-ce qui pousse d’autres personnes à partager ce genre d’images ?

« Ces personnes dissocient souvent les images de la victime, précise Mme Van de Heyning. Elles ne se rendent pas compte qu’elles ne font, en définitive, qu’aggraver la douleur de la victime. » Les réponses les plus populaires aux sondages réalisés pour connaître leurs motivations sont : l’humour, « je ne sais pas » et, récemment aussi – et de plus en plus fréquemment – des considérations politiques. Dans ce contexte, notons que le président du Vlaams Belang, Tom Van Grieken, a partagé plusieurs fois les images des violences à Zelzate.

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Répression ?

L’adolescence, cette période de développement mental qui rend les jeunes plus impulsifs et irréfléchis, joue également un rôle. Mais c’est surtout le manque d’éducation aux médias qui inquiète les chercheurs. À l’heure où les enfants reçoivent leur premier smartphone de plus en plus jeunes, les applications de réseaux sociaux ne proposent que très peu de mécanismes de contrôle des comportements en ligne. En outre, le rapport annuel de l’organisation Mediawijs regrette le manque d’investissement des écoles primaires dans l’éducation aux médias en ligne. Pour les enfants dont les familles parlent très peu de ce sujet, l’école s’avère pourtant un lieu essentiel pour apprendre à se comporter correctement en ligne.

« La société dans son ensemble ne cesse de se durcir et de se polariser. Les jeunes absorbent en très grande partie la culture dans laquelle ils vivent. »

Il n’est pas étonnant que les jeunes qui enregistrent ces vidéos proviennent souvent d’environnements familiaux plus vulnérables. Gie Deboutte, expert en harcèlement à la haute école UCLL, considère l’attitude de ces jeunes comme une tentative – vaine – d’attirer l’attention et d’échapper à leur environnement familial : « Ils ne savent pas s’y prendre de manière raisonnable, sans violence. Ils n’ont aucun exemple à suivre. »

M. Deboutte estime que la répression pure et simple ne constitue pas une bonne réponse : « Cela ne fera que réduire l’environnement de ces jeunes. Nous ne pouvons pas minimaliser leurs actes, mais nous devons aussi, nous tous, oser nous regarder dans un miroir. La société dans son ensemble ne cesse de se durcir et de se polariser. Les jeunes absorbent en très grande partie la culture dans laquelle ils vivent. »

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