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La sororité n’est pas l’apanage des femmes
28·09·20

La sororité n’est pas l’apanage des femmes

Griet Vandermassen est philosophe et autrice. Sa chronique bimensuelle paraît le mercredi dans le quotidien De Standaard. 

Temps de lecture : 3 minutes Crédit photo :

(cc) Pixabay

Auteur⸱e
Laurence Hamels
Traductrice Laurence Hamels

Quelle belle bande de femmes extraordinaires j’ai rencontrée dans les Ardennes, à l’occasion des enregistrements de la nouvelle saison de Taboe, l’émission télévisée animée par Philippe Geubels. Fougueuses, drôles, intelligentes, sûres d’elles, ouvertes. Je n’avais pas imaginé qu’une telle complicité naîtrait de cette rencontre. Généralement, cette émission à succès réunit des personnes qui font face à un problème analogue, tel que déficience physique ou précarité. Cela suscite d’emblée la cohésion. Or, c’est en raison de notre condition féminine que nous avons été invitées. Les femmes ne constituent pas une minorité, et toutes ne rencontrent pas les mêmes difficultés. Ainsi, rien ne laissait augurer une connexion émotionnelle profonde.  

Les femmes sont peu enclines à la sororité. Contrairement aux minorités ethniques et sexuelles auxquelles elles sont souvent comparées, la solidarité mutuelle n’est pas l’apanage des femmes. Shere Hite, la sexologue allemande décédée récemment (DS du 12 septembre) n’est pas la seule à l’avoir constaté. En 1976, son rapport iconoclaste, florilège de récits sans tabous d’expériences sexuelles féminines, a défrayé la chronique. Cet ouvrage était terriblement libérateur, y compris pour moi, qui l’ai découvert à la bibliothèque. En effet, les techniques d’onanisme – parfois très aventureuses – qui y étaient présentées, avaient de quoi faire pâlir la jeune fille de 18 ans que j’étais. 

Sur le plan théorique, Shere Hite laissait à désirer. Ses livres contenaient trop d’approximations et étaient dépourvus de cadre théorique. « Rivales ou amies », publié en 1998, est l’illustration que, à défaut de fondement solide, l’auteur risque de rater son effet. L’objectif de la sexologue était de comprendre pour quelles raisons la rivalité entre femmes est aussi forte. Pourquoi ne se regroupent-elles pas solidairement, à l’instar des hommes ? C’est parce que les mères taisent leur sexualité à leurs filles, suppose-t-elle. Ainsi, les filles apprennent que d’autres femmes ont quelque chose à dissimuler et qu’elles ne sont pas dignes de confiance. La lutte contre le patriarcat est simple : changez la relation mère-fille et tout ira bien. 

La seule évocation de cette analyse autour de notre table ardennaise aurait certainement suscité des ricanements. Ensuite, nous aurions repris la discussion à propos de nos expériences sexuelles entre femmes intelligentes, simples et franches. 

Une telle ouverture d’esprit entre six femmes se connaissant à peine relevait de l’étrange. Cependant, ce n’était pas une sororité, le pendant des formes typiquement masculines de solidarité évoquées par certaines en référence à leur propre expérience. Ces femmes ont parlé des hommes qui réseautent dans le monde du business, qui se font concurrence tout en s’accordant des privilèges, à tel point que, lorsqu’un CEO change de société, il emmène tout son réseau. Autre sujet abordé : les équipes d’hommes dans le monde des médias, à la fois compétitives et cohésives, et dont nous, femmes, ne pouvons pas vraiment faire partie. Si ces dernières ont parfois du mal à s’accomplir dans un environnement masculin, c’est notamment parce que les hommes, tout compétitifs qu’ils sont, savent conclure des coalitions. Or ça, ce n’est pas le truc des femmes. Et pour preuve : elles sont souvent les pires critiques les unes envers les autres. 

Et cela n’a rien à voir avec une sexualité maternelle tue. Pas plus que ce n’est le fait de misogynie intériorisée, une autre affirmation en provenance des cercles féministes. La tendance masculine à former des groupes se manifeste dès la petite enfance. Contrairement aux filles, les garçons de six mois préfèrent regarder des images de figurines qui se meuvent en groupe plutôt qu’individuellement. À l’âge de trois ans, tous les petits garçons du monde développent une prédilection pour les activités sauvages et la compétition en groupe, alors que les filles préfèrent jouer à l’infirmière, à deux ou en petits groupes. Ces comportements de jeu genrés révèlent la nature de leurs relations amicales. En effet, si les garçons sont portés sur les activités en commun et la camaraderie en grands groupes, les filles préfèrent discuter et créer des groupes réduits avec quelques copines triées sur le volet.

Par nature, les garçons tendent à former des coalitions. De nombreux éléments portent à croire que l’esprit grégaire masculin remonte aux prémices de l’évolution de notre espèce. En effet, les luttes opposant deux groupes étaient un défi courant pour nos ancêtres masculins. Elles ont donné lieu à une psychologie masculine axée sur la compétition sexuelle entre garçons et sur la hiérarchisation des groupes. Les garçons s’y exercent dès leur plus jeune âge. 

Les femmes aussi sont compétitives, mais seulement entre elles, et de manière beaucoup plus indirecte, une caractéristique qui peut les placer d’emblée dans une position désavantageuse lorsqu’elles se trouvent dans un environnement de travail masculin. Non pour des raisons sexistes, mais à cause d’une différence sexuelle qui n’est pas forcément un point faible. S’il le faut, nous pouvons y remédier. Les programmes de coaching en réseautage destinés aux femmes, par exemple, semblent très efficaces. 

Mais n’oublions pas le beau côté de notre différence. Dans cette maison de vacances ardennaise, il n’y avait pas de dynamique masculine typique, mais de l’amitié entre femmes, basée sur l’ouverture émotionnelle et le soutien mutuel. Cela dit, les hommes présents dans l’équipe n’étaient pas en reste. 

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